La magie des mots, par Francesca Tremblay…

Publié le 28 novembre 2014 par Chatquilouche @chatquilouche

Je voulais me persuader que l’amour subsistait encore. Il devait être là, caché sous la neige euphorique d’un novembre arrogant. Je voulais me convaincre que l’amour n’était pas parti avec eux, enfermé dans leurs cœurs qui s’aimaient à deux. Il devait être là, dissimulé au fond des prunelles d’un autre comme moi…

Le café de la gare se remplissait de lumières très tôt en fin de journée et les ombres grandissantes créaient l’émoi chez les passants. Une douce fébrilité s’emparait d’eux comme un démon passé midi. L’hiver naissait rapidement cette année et la chaussée glissante ralentissait les ardeurs des travailleurs qui retournaient à la maison.

Souvent, il m’arrivait d’observer les couples d’amoureux qui s’étreignaient et je ressentais l’irrépressible convoitise d’être à leur place. Moi aussi, j’aurais voulu me perdre, main dans la main, sur les chemins qui mènent à Rome. Pourtant, j’étais incapable de me retrouver dans une autre moitié, une âme jumelle, celle rencontrée dans d’autres vies que celle-ci. Celle retrouvée pas plus loin qu’ici. Un éclat de rire, un sourire enjôleur par-ci, des œillades enamourées par-là, des moments où tout se jouait en un seul instant, il y en avait. Des réponses à mes questions, des folies sans raison. Les absences répétées d’un corps torride contre lequel se lover et avec lequel éprouver maints plaisirs… Ça aussi, il y en avait.

Je voulais me convaincre que l’amour existait encore. Quelle sorte de « moi » il y aurait sous ce masque rigide que j’enlèverais enfin, si je l’osais, pour aimer sans déguisement ! Cette autre que j’étais devenue parce que je croyais plus que tout que c’était ce qu’il fallait devenir. Et ces énigmes montaient vers les nuages de novembre, qui dormaient là-haut. Elles chutaient du ciel, sous forme de minuscules flocons, pour parsemer les ruelles que j’empruntais de retour vers mon appartement. Ils attendrissaient mon chagrin devenu pigeon d’argile que l’on vise et que l’on tire. Chagrin que je meurtrissais avec ferveur parce que le noir n’était pas ma couleur favorite. Je préférais les roses soleils couchants, les roses fleurs que l’on tend. Les rouges lèvres qu’on embrasse et les rouges joues qui s’embrasent.

Je m’étais vêtue d’habits confortables et m’étais assise devant le téléviseur fermé, avec pour seule lumière celle de ma fenêtre qui donnait sur la rue. Le vacarme de l’horloge fit sortir de sa torpeur l’adulte que j’étais. L’enfant que je ne serais plus. Je tripotais pensivement les laines brisées de ce chandail trop grand. L’amour avait glissé sur moi, comme l’eau sur le dos des oiseaux. Ne s’accrochant même plus aux perches que je lui tendais ni aux écorchures qui se refermaient.

Je voulais me convaincre que l’amour existait encore. Mais j’étais si loin de ce que je ressentais, si loin des sentiers que je voulais emprunter et, annihilée par la peur, je me barricadais dans le bourdonnement des silences qui guettent une femme seule.

Les brumes soporifiques de la ville me firent rêver à une autre, comme moi, qui descendrait l’escalier de l’immeuble pour aller à un rendez-vous avec un galant. Elle embrasserait ses lèvres pour le remercier des lys rouges. Son bras autour de sa taille, elle lui répèterait combien terne était la vie sans sa lumière. Ils remonteraient la rue vers leur restaurant favori, s’arrêtant quelques fois pour s’embrasser sous la neige légère d’un novembre arrogant. Les passants souriraient en les voyant s’aimer. Mais quelle femme étais-je pour croire que l’amour pouvait mourir un jour ? Tant qu’il y aurait des roses, il y aurait des gens qui s’aiment.

Et j’espérai encore que cette femme serait moi. Une fois, seulement.

Je voulus donc détruire le sourire narquois de l’hiver qui s’installait pour de bon et qui me voyait frissonner de solitude. Je m’habillai chaudement et sortis en trombe de cet appartement. D’un pas décidé, j’empruntai les ruelles blanches qui me conduiraient un jour à Rome. Puis, sur les trottoirs, je courais sous les lampadaires ne sachant trop vers où aller. Et soudain, je m’arrêtai net.

Dans la grande vitrine du café de la gare, je vis mon reflet. Une jeune femme au foulard rouge, haletante, ne sachant quoi espérer de la vie. Derrière cette image se trouvait un homme qui s’affairait à nettoyer les tables. C’était l’homme qui me souriait chaque matin en me servant mon café. Tout devint limpide. Comme si je lui avais demandé de me regarder, il leva les yeux vers moi et, surpris de me voir si tard sans doute, il me fit un large sourire. De ceux qu’ont les gamins lorsqu’ils déballent un cadeau. Il se préparait à la fermeture, mais il ouvrit la porte tout de même et, d’un grand geste de la main, il m’invita à entrer. Mes silences de femme seule n’auraient plus raison d’exister.

Le café de la gare veillait très tard dans la nuit. Nos ombres grandissantes dansaient sur les murs de briques rouges. Tandis que nos rires se racontaient la vie, je compris que l’arrogance de novembre m’avait persuadée d’ouvrir mon cœur à l’amour.

 NOTICE BIOGRAPHIQUE

En 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages.  Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre.  À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises.  Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.

Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté.  Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre.  Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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