Le petit oiseau
L’Amérique du Sud, cette terre de football comme l’aime à rappeler certains commentateurs, est pourtant liée depuis ses débuts avec la culture ovale. Que ce soit en Uruguay, en Argentine ou même au Chili, le rugby fait son apparition dès le XIXe siècle, grâce à l’arrivée massive de sociétés britanniques. Il mettra néanmoins un demi-siècle à réellement s’installer dans ces pays, et voir ainsi émerger des championnats et des équipes nationales.
C’est en 1951, que le premier match de l’équipe uruguayenne a lieu, face aux argentins à Buenos Aires. Malgré une défaite sévère 62 à 0, l’Unión de Rugby del Uruguay (URU) était créé. Le premier championnat organisé par l’URU, le Campeonato Uruguayo, se tiendra dans la foulée. Au fil des ans, le rugby se développe sur la rive Est du Rio de la Plata, permettant à l’équipe nationale de terrasser ses voisins (bien que Los Pumas prendront un malin plaisir à rappeler qui est le meilleur en Amérique du Sud). En 1973, les journalistes donneront enfin un surnom à l’équipe uruguayenne, à partir d’un petit oiseau présent un peu partout. Los Teros étaient nées!
Diego Ormaechea
Ça ne sera que dans les années 90 que la croissance sera la plus forte. En 1989, l’URU rejoint l’IRB (maintenant World Rugby) et enchaine les victoires face aux voisins. Los Teros s’exportent en Amérique du Nord, mais ne parviennent pas à battre les États-Unis ou le Canada. Malgré tout, leurs efforts seront récompensés par la première qualification du pays pour une phase finale de RWC en 1999 au Pays de Galles. L’équipe mené par l’emblématique numéro 8 Diego Ormaechea, se retrouve dans la poule de l’Afrique du Sud, de l’Ecosse et de l’Espagne. Le 2 octobre 1999 se tient donc le premier match des uruguayens face au cousin espagnol, et la bande à Ormaechea, déjà 40 ans, va enflammer le pays en gagnant 27-15. Les deux autres matchs s’en suivront par des défaites logiques mais Los Teros avaient fait un bond en avant. Le début des années 2000 se soldera par des victoires face au Canada, aux États-Unis, et quelques matchs européens (notamment contre l’Italie). Et qui dit victoire dit nouvelle fois qualifications pour la coupe du monde!
Pablo Lemoine
Cette fois-ci, l’équipe menée par Pablo Lemoine (actuel entraineur de l’Uruguay) se retrouve dans une poule encore plus compliqué avec l’Afrique du Sud, l’Angleterre, les Samoa et la Géorgie. Bilan une nouvelle fois négatif avec une seule victoire face aux géorgiens. Mais l’avantage d’enchainer les participations en RWC est que l’URU se doit de développer le sport au pays. De nombreux clubs mettent en place de véritables institutions, comme le Carrasco Polo Club d’où est issu Ormaechea, afin de propager le rugby dès le plus jeune age. Des tournois internationaux sont créés (le VII de Punta del Este, ou encore la coupe sud-américaine junior), et des tournées en Europe sont mise en place.
Malheureusement les années qui suivirent marquèrent le coup pour le rugby criollo, la qualification pour les RWC 2007 et 2011 leur filant entre les doigts au repêchage face aux États-Unis et au Portugal respectivement. Los Teros n’en démordent pourtant et continuent les bonnes prestations durant les Campeonatos Sudamericanos de Rugby, en conservant leur seconde place derrière Los Jaguares (Arg. A). Au niveau local, la croissance est plus lente, un peu comme en Argentine. Le championnat est composé de 9 équipes (7 dans la capitale Montevideo, 1 à Paysandu et une dernière à Punta del Este), dominé par le Carrasco Polo Club. Des tournois existent aussi pour les U19, U17 et U15 en Uruguay, mais aussi dans les pays voisins.
Le déclic ?
Le capitaine Nicolas Klappenbach
En 2012, l’URU renouvelle le staff technique de Los Teros, et décide de faire appel à Pablo Lemoine, Emiliano Caffera et Fernando Paullier. Le premier est connu pour être devenu le premier joueur uruguayen professionnel en intégrant l’équipe de Bristol en Angleterre en 1998. Certains d’entre vous se rappelleront de ce pilier sud-américain car il évoluera par la suite au Stade Français de 2000 à 2006 (91 matchs et 4 essais). Il prend donc les rennes d’une équipe meurtrie par les ratés des qualifications. Lemoine va alors créer un véritable groupe de joueurs sous la bannière Uruguayenne et ne pas les lâcher.
Le travail du staff et des joueurs finit par payer, car le 11 octobre dernier, Los Teros finissent par terraser l’Ours Russe à Montevideo et ainsi se qualifier pour la coupe du monde 2015 en Angleterre. Ce ne fut pourtant pas chose aisé, car après un match aller perdu d’un petit point en Russie, les Uruguayens se devaient de ne pas décevoir les 14000 hinchas venus les encourager. Et quel match!
La première période était rude pour Los Teros tant l’équipe coaché par Raphaël Saint-André semblait prendre le contrôle du match, malgré un 8 de devant moins puissant. Celle-ci se terminera néanmoins par un 12 partout. Les Russes cueilleront à froid les Urugayens dès l’entame de la seconde MT avec un essai et une pénalité, portant l’écart à 8 points. Malheureusement pour les Russes, l’Uruguay de Capo Ortega se réveilla et les avants firent le boulot pour finalement inscrire 3 essais coup sur coup. Los Teros gèreront la fin de match pour finalement s’imposer 36-27 et ainsi se qualifier pour leur 3e RWC.
Peu de temps après, le coach Pablo Lemoine fut interviewé par le quotidien El Pais. Ses propos furent dans un premier temps élogieux envers l’URU. En effet, cette dernière a mis en place un Centre de Haut Niveau, du type de Marcoussis, à l’Estadio Charrua. Ce centre a permis aux joueurs et au staff de simplifier l’environnement de travail. Tout est à portée de main (du médecin à la salle de muscu), afin d’éviter les déplacements inutiles et ainsi pouvoir se focaliser sur l’entrainement.
Il a tenu ensuite à féliciter ses joueurs d’avoir su former un groupe solide, sans lequel l’Uruguay n’en serait jamais arriver là. Lemoine continue en disant que ce groupe s’est construit depuis plusieurs années et se connait bien. Il se repose sur les qualités fortes des sud-américains, une défense intraitable et un sacré gros paquet… d’avants. Il souligne aussi l’impact de Rodrigo Capo-Ortega (seul Uruguayen évoluant dans le meilleur championnat du monde mais à Castres ) qui a joué le rôle de Papa pour la sélection.
Rodrigo Capo Ortega
L’entraineur rappelle néanmoins qu’aucun relâchement n’est permis et qu’il faut maintenant prouver que leur place est méritée après 12 ans d’absence en RWC. De plus, parmi les 20 qualifiés, l’Uruguay reste la seule nation dont la sélection est amatrice. Ce qui complique fortement les choses en terme d’organisation pour un tournoi tel que la coupe du monde, tout simplement parce que les joueurs ont soit un travail, soit poursuivent des études. Et un tournoi de cet ampleur ne se prépare pas en quelques semaines, mais dès maintenant.
Prendre exemple sur le voisin
L’Argentine n’en serait pas là sans avoir multiplié les compétitions, et les appels du pied à l’IRB. C’est pourquoi Sebastian Piñeyrua, actuel président de l’URU, est train de mettre en place un planning pour faire de l’Uruguay une équipe du Tier 2, et cela de façon durable. Pour le moment, la composition des « Tier » est la suivante. Le Tier 1 est composé des équipes du Rugby Championship et du 6 Nations, et le Tier 2 par le Canada, USA, Géorgie, Roumanie, Japon, Fidji, Tonga, Samoa. Le reste des équipes compose le Tier 3 (Namibie, Russie, Uruguay, Portugal, etc…). L’idée étant donc de se mettre au niveau des équipes T2, afin d’intégrer directement la RWC, et d’éviter les barrages/repêchages.
El Estadio Charrua et le Rio de la Plata en fond
Mais outre la bonne volonté, il faut de l’argent pour mettre en place un tel programme. Outre des besoins d’infrastructures, les déplacements/organisations de tournois, l’URU doit faire face à l’éventuelle professionnalisation des joueurs pendant la période pré-RWC, afin qu’ils puissent se consacrer entièrement à l’équipe nationale comme le souhaite Pablo Lemoine. L’idée étant de leur fournir un salaire de base, en plus des 8000 pesos (500€) qu’ils reçoivent comme dédommagement actuellement. Et pour cela, en plus d’investisseur privés, la World Cup (ex-IRB) va doubler ses aides, de 130k€ à 320k€, pendant 4 ans. (Impossible malheureusement de trouver plus d’informations à ce sujet, notamment sur les aides proposées aux autres nations). Néanmoins cela ne couvrira qu’1/4 des dépenses prévues par l’URU…
Pour en revenir au programme, voici les matchs prévus par l’URU et le staff de Los Teros :
- Début 2015 : Plusieurs possibilités. La plus intéressante serait de suivre le parcours des Pampas XV (il y a plusieurs saisons) en intégrant la Vodacom Cup (3e compétition Sud-Africaine après le Super Rugby et la Currie Cup). Un autre choix serait de participer à la Pacific Nations Cup. Cette compétition regroupe les Tonga A et Samoa A ainsi que les équipes B des Reds et Waratahs, plus les Pampas XV (actuel tenant du titre). Dernière possibilité mais qui semblerait moins intéressante serait de mettre en place un tournoi des provinces sudaméricaines. Le niveau étant moins élevé, les deux premiers tournois semblent plus intéressants pour faire progresser los Teros.
- Mars/ Avril 2015 : Après un premier tournoi, l’URU serait prête à organiser un tournoi équivalent à l’Americas Rugby Cup (Canada A, Uruguay A, USA A et Argentine A) où l’équipe première uruguayenne jouerait. En parallèle se tiendra le tournoi Sudamericano qui regroupe le Brésil, le Chili, le Paraguay et donc la seconde équipe nationale, l’Uruguay A.
- Juin 2015 : En vue de la RWC, l’Uruguay partirait en Europe pour affronter la Roumanie, l’Italie A et l’Irlande A lors de la Nations Cup.
- Octobre 2015 : A un mois de la coupe de monde, et après avoir engrangé plus d’une dizaine de matchs, Los Teros intégreront un centre d’entrainement de haut niveau dans une des super structures disponibles à l’étranger (Les Argentins ont pris l’habitude d’aller à Pensacola, Etats-Unis, par exemple). Cette période d’entrainement se terminera par un match face à la Namibie, dans un lieu qui reste encore à définir.
Tout ceci en ayant pour objectif le match du 20 septembre 2015 face au Pays de Galles au Millenium Stadium de Cardiff, 12 ans après leur dernière participation à une coupe du monde !
Suffisant ?
Los Teros semblent donc en bonne voie pour arriver à 100% pour la prochaine coupe du monde, et aussi mettre en place un calendrier pérenne afin de continuer à progresser. Cependant, l’URU semble miser une majorité de ses intérêts sur l’équipe nationale, mais il faut aussi prendre soin du vivier de joueurs afin de ne pas passer pas une traversée du désert lorsque la génération actuelle ne sera plus au niveau (Un peu comme l’Argentine post-2007). Il sera donc intéressant de suivre les prochaines déclarations de l’URU.