Jacques Roubaud a publié il y a plusieurs années un recueil de poèmes intitulé « Quelque chose noir ». Il y parle de sa femme Alix Cléo Roubaud, morte peu avant. J’ignorais qu’elle avait préparé une exposition, une série de photographies intitulée « Si quelque chose noir », contenant cinq + sept + cinq photos (comme les haïkus contiennent cinq+sept+cinq syllabes) tournant autour de la mort dans la lumière d’une fenêtre. Les photos d’Aix Cléo Roubaud sont exposées à la Bibliothèque nationale de France (site François Mitterrand). La visite ne laisse pas indemne. Non parce que nous serions bouleversés par ce qu’on voit, mais parce que le travail lui-même est plus qu'étonnant : la photographe travaille ses photos, ses tirages, comme le ferait un peintre, et, une fois les tirages jugés satisfaisants, elle détruit les négatifs. Ce que nous voyons est donc unique. Il y a d’abord une réflexion théorique et philosophique à l’oeuvre, et une construction rigoureuse de l’image, même quand elle montre des situations qui semblent exubérantes (je pense par exemple aux photos en hommage à Morris Louis : désordre de draps, verre renversé). La rigueur s’allie au jeu, superpositions, pinceau lumineux, application de couleurs sur des paysages noir et blanc (« J’ai couché le soleil », dit-elle). Mais la mort est toujours présente, ou pas très loin. La mort qui va l’emporter encore jeune, asthmatique, elle qui écrivait à une amie que la photographie est du « futur antérieur » : ce que je photographie ne sera plus quand tu verras la photo, je peux donc dire, au moment où j’appuie sur le déclencheur, « Cela aura été ».