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[anthologie permanente] Friederike Mayröcker

Par Florence Trocmé

Les éditions Atelier de l’Agneau, qui ont entrepris de publier l’œuvre de la poète autrichienne Friederike Mayröcker, proposent un nouvel opus, CRUELLEMENT là, dans une traduction de Lucie Taïeb 
 
 
je ne bouge absolument pas je reste assise cruellement là, dis-je à Ely, ce début ne semble pas assez triste, Pétrarque, « études » sera peut-être le titre du prochain livre, inconcevable le plumage, il y a ces papillons de nuit qui boivent les larmes des hommes, dis-je à Ely, empleurement / enforestement de l’âme, dis-je, les pointes des montagnes les pointes des tulipes – le médecin au téléphone raconte qu’il a entaillé lui-même son doigt douloureux (tout comme s’entaillent les patients borderline).  
Il y a eu 1 coup de tonnerre tel dans la nuit j’ai pris peur, dis-je à Ely, j’étais secouée par la peur, dis-je, mon cœur tremblait, je me suis faufilée vers la porte de l’appartement et j’ai guetté à travers l’espion ou judas pour voir si quelqu’un dans le couloir s’approchait de ma porte, avant que le judas ne s’éteigne, etc., au matin je congédie la bave sur le parquet, dis-je, où éclosent les glaïeuls, le crachat les fait éclore 1 forêt entière de glaïeuls, de couleur orange couleur mauve bleue, durant plusieurs semaines ces fleurs fanées sur les toilettes, glaïeuls petits troncs des lilas feuilles de palme, pivoines se vidant de leur sang, plagiats, ce qui me rendait folle, « effleurée par la grâce », selon Jean Genet, on appelle l’ancolie aussi gant de Notre-Dame  Mignon, désormais, quant à savoir comment écrire, je suis troublée, dis-je à Ely, je suis 1 peu somnambule, quelque chose en moi se dessine, quoique l’intellect, je ne dis pas qu’il n’y ait aucune part, j’imaginais des lettres à Rumi ou E.S., en écrivant des lettres sur le lit j’ai dépassé du bord de la feuille et continué à écrire sur le duvet si bien que sur mon lit des traces de feutre noir……  
notre lit est notre bureau, dis-je, c’est ici qu’on dort qu’on écrit, parfois nous allons au jardin botanique (avec ses petites roses adonis), nous étions assis sur l’estrade face à la salle de lecture et je dessinais pour toi un oiseau aux ailes déployées censé signifier que nous pourrions voyager en avion, dis-je, les phrases une à une, dis-je, alignées assemblées pour composer des suites, comme Couperin ses concertos pour clavecin, je m’éveille avec les mots «  villages de parvenus » –  
après des semaines de grande chaleur il y eut un matin 5h moins le ¼ un pressentiment d’orage, ce qui brusquement m’éveilla, c’était comme si 1 immense roche se décrochait et roulait dans la vallée. Les feuilles sur mon bureau ont volé en l’air et tourbillonné dans toute la chambre au même moment je sentais que mon intestin comme 1 pelote de serpents furieux, j’allais bientôt vomir, tout cela après des rêves bienveillants, puis l’orage s’endormit et l’air du matin s’accroupit dans un coin de la chambre, le quartier de Josefstadt trempé dans la chope pleine, les 1ères voix des oiseaux les parures de l’été le parfum des bouquets de fleurs à la fenêtre les animaux qui ne riaient pas dans leur contemplation quelque chose en moi faisait rage, Brigitte St. dit au téléphone la vie ratée mais les beaux-arts, la lune se glissa dans les coulisses dormir plus la peine d’y songer, l’agneau dans le ciel bleu on le trouve dans les églises romaines je lis dans le glas de JD, 1 éclat, Splitter, est fragment et lumière, le drap gorgé d’humidité, je dis qu’il y avait bien quelqu’un dans mon enfance qui s’appelait Joschi portant un maillot de bain à rayures et dont je répugnais à prononcer le nom à vrai dire j’avais honte de prononcer ce nom (il portait probablement un froc réséda selon Jean Genet). 
 
Les liserons qui le long de la clôture en bois abîmée par le temps noircie par les intempéries des décennies grimpaient comme des clématites à cette époque lors des étés à D. Plus on superpose de couches et plus chaste le corps. Ely et moi dans le verger de ce restaurant hier soir et il disait c’est sûr tu écriras de nouveau dans le livre des poètes, vraiment, dis-je, 1 entreprise périlleuse, entamer l’écriture d’un nouveau livre – 
 
 
ich rühre mich nicht von der Stelle ich sitze nur grausam da, sage ich zu Ely, der Anfang scheint nicht traurig genug, Petrarca, der Titel des nächsten Buches vielleicht »études«, unfaszbar die Plumage, es gibt diese Nachtfalter welche die Tränen der Menschen trinken, sage ich zu Ely, Beweinung / Bewaldung der Seele, sage ich, die Zacken der Berge die Zacken der Tulpen – der Arzt telefoniert er habe sich den schmerzenden Finger selber aufgeschnitten (wie borderline Patienten sich selber aufschneiden).  
Es war 1 Sturmläuten in der Nacht dasz ich Angst bekam, sage ich zu Ely, ich wurde von Angst geschüttelt, sage ich, mein Herz zitterte, ich schlich zur Wohnungstür und lugte durch den Spion oder Judas, ob ich jemanden sehen könne der auf dem Korridor sich meiner Tür näherte, ehe der Judas erloschen war, usw., am Morgen entlasse ich den Speichel auf den Fuszboden, sage ich, wo die Gladiolen sprieszen, die Spucke läszt sie sprieszen 1 ganzer Wald von Gladiolen, orangefarbene lilafarbene blaue, viele Wochen standen die verwelkten Blumen auf dem Abtritt, Gladiolen Flieder- stämmchen Palmblätter, verblutende Pfingstrosen, Plagiate, was mich manisch machte, »von der Gnade gestreift«, so Jean Genet, die Akelei wird auch Handschuh Unserer Lie- ben Frau genannt, nämlich Mignon ich bin jetzt verwirrt, was die Vorgangsweise des Schreibens angeht, sage ich zu Ely,  
ich bin 1 wenig somnambul, mir schwebt etwas vor, wenn- gleich der Intellekt ich meine nicht unbeteiligt, erdachte Briefe an Rumi oder E.S., beim Briefeschreiben im Bett habe ich über den Blattrand hinausgeschrieben auf der Daunen- decke weitergeschrieben so dasz mein Bett mit schwarzen Filzstiftspuren …… unser Bett ist unser Büro, sage ich, hier wird geschlafen geschrieben, manchmal besuchen wir den Botanischen Garten (mit Adonisröschen), wir saszen auf dem Podium zum Lesesaal und ich zeichnete dir einen Vogel mit weit ausgespannten Schwingen was bedeuten sollte wir könnten eine Reise mit dem Flugzeug, sage ich, die einzelnen Sätze, sage ich, an einander zu Suiten gereiht, zusammenge- faszt, wie Couperin seine Cembalokonzerte, ich wache auf mit den Worten »neureiche Dörfer« – 
nach Wochen großer Hitze gab es eines Morgens ¼ 5 eine Ahnung von Sturm was mich jählings wach werden liesz, es war als löste sich 1 riesiger Felsbrocken und rollte zu Tal. Die Blätter auf meinem Arbeitstisch flogen in die Luft und wir- belten im Zimmer umher gleichzeitig fühlte ich dasz mein Gedärm wie 1 Knäuel wütender Schlangen, dasz ich mich übergeben muszte, dies alles nach wohlmeinenden Träumen, dann schlief der Sturm ein und die Morgenluft hockte in einem Winkel des Zimmers, die Josefstadt ins volle Henkelglas getunkt, die 1.Vogelstimmen die Sommergewänder der Duft von Blumensträuszen am Fenster, die nichtlachenden Tiere in ihrer Kontemplation etwas tobte in mir, Brigitte St. sagte am Telefon das miszglückte Leben aber die schönen Künste, der Mond schob sich in die Kulissen an Schlaf war nicht mehr zu denken, das Lamm im blauen Himmel man findet es in römischen Kirchen, ich lese in JDs Glas, 1 éclat ist 1 glitzernder Splitter, das Bettuch fühlt sich feucht an, ich sage, da war doch jemand in meiner Kindheit der Joschi geheiszen hat in einer gestreiften Badehose, dessen Namen ich ungern aussprach, tatsächlich schämte ich mich, diesen Namen auszusprechen, (vermutlich trug er eine Resedenhose, nach Jean Genet). 
 
Die Winden die am verwitterten Holzzaun der geschwärzt durch die Witterungen der Jahrzehnte sich hochrankten wie Klematis damals in jenen Sommern in D. Je mehr Hüllen über einander desto keuscher der Leib. Ely und ich im Obst- garten dieses Lokals am gestrigen Abend und er sagte, du wirst ja wieder im Dichterbuch schreiben, also, sage ich,  1 waghalsiges Unternehmen, ein neues Buch zu schreiben beginnen – 
 
 
Friederike Mayröcker, CRUELLEMENT là, traduction de l’allemand (Autriche), Lucie Taïeb, coll. transfert, Atelier de l’Agneau, 2014, p. 9 
 
Friederike Mayröcker dans Poezibao : 
bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2, extrait 3 ,extrait 4 , extrait 5 (présentation de L’Asile des saints), brütt ou les jardins soupirants (parution), extrait 6


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