"Charles Monnard - L'éthique de la responsabilité" de Pierre Bessard

Publié le 27 novembre 2014 par Francisrichard @francisrichard

Qui est Charles Monnard?

Né en 1790, mort en 1865, ce fut à la fois un professeur de lettres - étudiant, il a cofondé et présidé la Société de Belles-Lettres de Lausanne -, un théologien - il a été pasteur -, un homme politique - il a été député libéral au Grand Conseil vaudois, puis représentant du canton de Vaud à la Diète fédérale -, et un penseur libéral.

Il y a tout juste un an, le 30 novembre 2013, se tenait un colloque sur les idées de Charles Monnard, au Théâtre du Lapin-Vert à Lausanne (ce théâtre appartient à la Société de Belles-Lettres), au cours duquel ont été retracées "certaines des nombreuses facettes de Monnard et de son expérience".

Le livre publié par l'Institut Libéral, sous la signature de son directeur, Pierre Bessard, en est en quelque sorte le prolongement: "Le présent ouvrage propose de redécouvrir l'univers de ses idées essentielles, sans visée exhaustive, et d'en extraire la pertinence pour le monde d'aujourd'hui".

Avant de parler des idées essentielles de Charles Monnard il n'est pas moins essentiel de souligner avec Pierre Bessard "la grande compatibilité et surtout la grande correspondance de sa pensée avec les inspirations que sont les géants Emmanuel Kant et Benjamin Constant, avec ses contemporains économistes Frédéric Bastiat et Michel Chevalier, qui tirent les mêmes conclusions sur la justice et la morale, ou encore avec son ami l'historien Alexis de Tocqueville".

Comment alors ignorer un tel homme? Il est d'autant plus impossible de le faire quand on a pris connaissance de la conclusion de l'introduction de Pierre Bessard: "Le goût de la patrie n'empêche pas l'homme des Lumières d'honorer et d'apprécier celle des autres. Ubi libertas ibi patria, là où prévaut la liberté se trouve ma patrie: telle pourrait être la devise personnelle de Charles Monnard...".

Quelles sont les idées essentielles de Monnard?

Monnard a examiné le célèbre couple kantien du droit et du devoir. Le fruit de cet examen? Un humanisme du devoir et une éthique du devoir conformes à la sensibilité libérale: la reconnaissance de l'égalité en droits, qui doit être réciproque, l'amour du devoir, qui ne doit pas être utilitaire mais déontologique, et résulter de "la volonté raisonnable et intrinsèque de faire ce qui est juste et ce qui est bien".

La contrainte? "La contrainte morale est toujours exercée par la raison individuelle; l'obligation est acceptée librement par la volonté de la personne. La contrainte forcée qu'exerce le pouvoir organisé par l'Etat dans la société ne peut légitimement entraver que les actes individuels contraires à la liberté."

Charles Monnard distingue les vrais droits des faux, lesquels menacent l'équilibre entre le droit et le devoir. Il distingue ainsi les droits de (faire quelque chose) des droits à (obtenir quelque chose). Quand l'Etat ne joue plus son rôle d'administrateur du droit, il devient, comme le dit Monnard "une source de bénéfices où chacun puise le plus qu'il peut".

Les droits à sont donc un abus de langage, comme l'est la solidarité si elle n'est pas volontaire: "C'est bien pour préserver l'éthique de la responsabilité et de l'autonomie, mais aussi la générosité et la solidarité en vertu de l'éthique du devoir, que [les libéraux] s'opposent à l'Etat-providence bureaucratique."

Il est une autre manière de dire le couple "droit et devoir", c'est de dire "liberté et responsabilité". En les dissociant, l'Etat-providence infantilise les citoyens, alors "qu'une vie humaine digne et remplie requiert de se prendre en charge": "Le fonctionnement d'une société libre repose sur l'égalité en droits et l'inégalité des situations, reflet de l'infinie variété humaine. [...] La liberté conduit à l'harmonie, relève Monnard, grâce aux inégalités des forces, des talents, des richesses."

Monnard dit bien que la liberté "n'est pas le but de la vie, mais la condition d'une vie complète, la condition de la civilisation, du développement de la pensée, de l'activité, de l'industrie, des lettres, des sciences, la condition des progrès de l'humanité". Mais cela ne signifie pas qu'elle autorise à faire tout ce dont on a envie, "mais tout ce qu'on est en droit de faire, c'est-à-dire tout ce qui est juste et honorable", autrement dit l'accomplissement du devoir.

L'Etat n'est légitime et utile que dans la mesure où il assure droit et justice. Aussi doit-il être limité à ce seul rôle, subsidiaire: "Les libéraux ne reconnaissent le droit de violer les droits individuels ni à une majorité, selon l'absolutisme démocratique de Rousseau, ni à l'"utilité" d'un Jeremy Bentham sans les limites du droit, qui tend à conduire à l'arbitraire et à l'extension ininterrompue de l'Etat dans l'espoir d'en tirer profit, au détriment du devoir, du fait que les justifications des interventions publiques peuvent bien sûr s'inventer à l'envi."

Quelles sont les conditions culturelles de la liberté? Cela passe par l'éducation et la persuasion, et par ce rappel: "Poursuivre son intérêt aux dépens des autres n'est pas acceptable moralement. Poursuivre son intérêt bien compris implique de reconnaître que ses droits sont accompagnés de devoirs, selon les principes de la bonne volonté et de la réciprocité."

La morale judéo-chrétienne a joué un rôle, continue et continuera à le jouer pour que ces conditions culturelles de la liberté soient remplies: "La séparation entre le pouvoir temporel et le pouvoir divin, et la reconnaissance de la nature spirituelle du christianisme ne signifient pas cependant que celui-ci ne comporte aucune dimension politique. Le message chrétien est essentiellement un plaidoyer pour la liberté et la responsabilité personnelles, qui suppose un scepticisme envers l'Etat, tant au niveau culturel que politique ou économique."

Francis Richard

Charles Monnard - L'éthique de la responsabilité, Pierre Bessard, 94 pages Institut Libéral