"Citez-moi n'importe quel problème, n'importe quelle catastrophe, n'importe quel fléau de l'humanité - la pauvreté abjecte qui afflige des millions de gens, par exemple - et je vous parie dix dollars que je trouve le coupable en moins de temps qu'il ne faut pour citer les noms des membres du Boys Band N'Sync : un Blanc.
Et pourtant, quand j'allume la télé à l'heure des infos, chaque soir, qu'est-ce que je vois ? Des Noirs, rien que des Noirs, accusés de meurtre, de viol, d'agression, de coups et blessures, de tournante, de pillage, d'émeute, de trafic de drogues, de proxénétisme, d'injures sexistes, de faire trop de gosses, de balancer leurs gosses par la fenêtre des HLM, des Noirs sans foi ni loi, sans feu ni lieu, sans Dieu et sans un radis. "Le suspect serait un individu de type afro-américain, le suspect serait un individu de type afro-américain, LE SUSPECT SERAIT UN INDIVIDU DE TYPE AFRO-AMERICAIN..." Peu importe dans quelle ville je me trouve, c'est toujours la même histoire, le suspect est toujours un individu de type afro-américain. Ce soir, je suis à Atlanta, et je jurerais que le portrait-robot de l'individu de type afro-américain exhibé à la télé par la police locale est le même que celui de l'autre individu de type afro-américain que j'ai vu hier soir à la télé à Denver et celui de la veille à Los Angeles. Et sur tous les portraits-robots, il a le même regard menaçant et le même bonnet de laine ! A croire que c'est le même Black qui commet tous les crimes recensés sur le territoire des Etats-Unis !
Le problème, c'est que les Américains sont tellement habitués à cette image de l'homme noir comme danger public qu'on peut parler d'un véritable lavage de cerveau aux conséquences particulièrement néfastes. Dans mon premier film, Roger et moi, il y a une scène où une femme blanche au chômage tue un lapin d'élevage d'un coup de matraque pour le vendre comme "comestible" plutôt que comme animal de compagnie. J'aurais aimé pouvoir toucher une pièce de cinq cents chaque fois qu'un spectateur est venu m'expliquer à quel point il avait été "choqué" et "traumatisé" par la scène de la mort du "pauvre petit lapin si mignon" au cours des dix dernières années. Tous me disent qu'ils en étaient physiquement malades. Certains préféraient même se couvrir les yeux ou quitter la salle, et nombreux étaient ceux qui m'ont demandé pourquoi je n'avais pas coupé cette scène au montage. En tout cas, elle a valu à Roger et Moi d'être interdit aux moins de treize ans par la Motion Picture Association of America, incident qui a d'ailleurs amené l'émission 60 Minutes à faire un reportage sur l'imbécillité dudit système de classification. Je reçois sans arrêt des lettres d'enseignants qui me disent qu'ils doivent couper la scène du lapin pour pouvoir projeter le film à leurs élèves sans risque.
Le problème, c'est qu'à peine deux minutes après que la dame au lapin a fait son office, on assiste à une autre scène où un Noir vêtu d'une cape de suyperman et armé d'un pistolet jouet en plastique se fait tirer dessus par la police de Flint. Or personne ne m'a jamais dit : "Quelle horreur ! Un Noir abattu par la police ! Comment pouvez-vous montrer une chose pareille à l'écran ? C'est répugnant, ça m'a empêché de dormir pendant des semaines."
Mais c'est vrai quoi, c'était juste un Noir, pas un mignon petit lapin. Il n'y a rien de scandaleux à montrer un Noir se faire descendre au cinéma.
Pourquoi ? Parce que personne n'est choqué par le spectacle d'un Noir abattu à bout portant. Bien au contraire, c'est normal, c'est même naturel. Nous sommes tellement habitués à voir les Noirs se faire descendre, que ce soit au cinéma ou aux actualités télévisées, que nous en sommes venus à considérer qu'il s'agit d'un procédé parfaitement acceptable.
C'est quand même bizarre que, malgré le fait que la plupart des crimes sont commis par des Blancs, nous associons généralement l'idée de crime aux hommes afro-américains.
Et bien entendu, inutile d'insister sur la plus grande dangerosité statistique des criminels blancs, le message ne passe pas. Et pourtant, chaque fois qu'on allume la télé pour apprendre la nouvelle d'un nouveau massacre dans un lycée, le coupable est un adolescent blanc. Chaque fois qu'on attrape un tueur en série, il s'agit d'un malade mental à la peau blanche. Chaque fois qu'un terroriste fait sauter un immeuble fédéral, vous pouvez être certain que c'est un membre de la race blanche qui fait des siennes.
Alors pourquoi n'avons-nous pas acquis le réflexe de prendre nos jambes à notre cou quand un Blanc se pointe à l'horizon ? Pourquoi ne flippons-nous pas comme des malades à l'idée que notre fille puisse épouser un Blanc ?"
(Michael Moore, Mike contre-attaque !, 2003)