Psychoses et éveil

Publié le 27 novembre 2014 par Joseleroy

Un lecteur du blog me pose cette question :

"Bonjour José, 

Permettez-moi de vous interpeler sur un sujet qui me tient à cœur. 

Aujourd’hui sont en concurrence différentes formes de psychothérapie et nombre de voies spirituelles. Lorsqu’elles ne se dénigrent pas les unes les autres. J’ai remarqué au cours de mes lectures que la plupart des enseignants et guides spirituels contemporains ne tiennent pas ou peu compte des progrès de la psychologie et minimisent allègrement le pouvoir de l’inconscient, à savoir son caractère littéralement "démoniaque». D’aucuns font même carrément l’impasse dessus.  En son temps j’ai beaucoup lu Krishnamurti qui, tout au long de son œuvre, n’hésitait jamais à parler du « soi-disant inconscient ». Je comprends mieux son amertume et sa déception, lorsqu’à la fin de sa vie, il a tenté de mesurer l’impact de son enseignement auprès du public. J’ai personnellement adoré Krishnamurti, mais j’estime qu’avec d'autres il a largement sous-estimé le côté mortifère de la pensée en l’homme. Et que dire de ceux qui laissent croire que l’on peut se débarrasser de son ego comme d’un vêtement usagé ?  Et aussi de ceux qui laissent croire à la possibilité de la « maitrise », fantasme d’obsessionnel selon Lacan. Entre parenthèses, j'aime bien Wayne Liquorman, l'un des rares enseignants spirituels à ne pas être dupe de cette illusion...

La « Vision sans tête » se présente comme une voie de libération, à laquelle j’adhère pleinement. Un des derniers articles de votre blog a été consacré au thème de la pensée. Et vous savez combien le rapport à la pensée peut-être un véritable enfer chez  les plus fragiles d’entres nous .

Je vous ai adressé un commentaire, demeuré sans réponse, pour vous demander si, dans votre expérience d’enseignant  et de conférencier, vous aviez déjà rencontré des sujets très névrosés ou psychotiques qui aient été authentiquement et directement libérés grâce à la pratique de la « Vision sans tête ». Si nous pouvions faire l’économie d’un détour par un travail psychologique ou psychothérapeutique, et ce grâce à la méthode de Douglas Harding, cela serait en effet très appréciable et cela constituerait une véritable révolution. D’où l’importance pour moi de votre témoignage.

Sur le site « VOLTE & ESPACE, on peut lire ceci : « Le pari que le monde, et surtout l’occident s’ouvre à nouveau largement à la dimension de l’esprit ; ce qui était autrefois réservé à une élite, est aujourd’hui, grâce à Douglas Harding, simplement acessible à tous. Et c’est fort heureux car il y a véritablement urgence ».

Oui, il y a urgence, et ma situation de psychanalyste libéral travaillant aussi pour des institutions psychiatriques, me donne une position d’observateur privilégié. Un des effets pervers du discours de la science, et je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué, est notamment la déshumanisation  croissante des rapports entre individus. La perte des repères symboliques qui, il n’y a pas si longtemps nous structuraient, est catastrophique. Se multiplient dans nos sociétés occidentales des types d’humains autrefois minoritaires : personnalités narcissiques, cas- limites, psychotiques, psychopathes et décérébrés. Signe d’un profond malaise dans la civilisation, pour reprendre une expression freudienne…

Il me semble qu’aujourd’hui nous courons à notre perte, sauf mutation à court terme de la conscience humaine. Pourquoi pas via la « Vision sans tête » ? Mais est-elle réellement accessible à tous, ou seulement à des individus privilégiés, particulièrement réceptifs à cette méthode ? Il me serait désagréable de penser qu’elle ne soit réservée qu’à quelques centaines voire quelques milliers de bourgeois en quête d’un supplément d’âme. En fait, à ceux qui n’ont pas trop été abimés par la vie… 

La Vision Sans Tête est-elle accessible aux personnes en grande souffrance psychologique ( névrose grave ou psychose ) ?.  Avez-vous dans votre parcours d'écrivain, d'enseignant et de conférencier, rencontré des sujets en détresse qui aient été authentiquement délivrés par le seul recours à cette méthode ?
J'avoue que votre réponse me serait précieuse car, dans l'affirmative, cela me permettrait - avec certains patients-  de réaliser des raccourcis thérapeutiques qui leur épargneraient la répétition du cycle infernal de la douleur d'être.
Qu’en pensez-vous ?

Merci de votre réponse.

Très amicalement."

Les questions que vous posez sont sérieuses.

La Vision Sans tête est accessible à tous. L'enseignement est gratuit; on peut venir à des ateliers sans dépenser un centime et lors des stages d"été d'une semaine je ne me fais pas payer. Pas question ici d'une philosophie de bourgeois! J'ai rencontré des gens de tous les milieux (ouvrier, facteur, professeur d'université, juge, policier, infirmier, chomeur, rentier...etc) même si les professeurs, les thérapeutes et les médecins sont en plus grand nombre du fait de leur métier de soin ou de transmission.

Cependant je rajouterai que cet enseignement direct et radical est accessible à tous... à condition que les gens soient prêts à le recevoir.

Il y a d'une part des personnes sans souffrances psychologiques graves mais qui sont incapables de recevoir cet enseignement car l'identification à l'égo est trop puissante. Donc l'inversion de la conscience vers la vacuité leur échappe complètement pour l'instant. Cela ne veut pas dire que ce sera encore le cas plus tard, mais actuellement toute voie vers un dépassement de l'ego leur semble tout simplement dépourvu de sens.

Pour les gens qui ont de graves problèmes psychologiques comme des psychoses ou des schyzophrénies, je déconseille de présenter les exercices de vision sans tête ou toute autre voie directe d'éveil. Pour voir son absence de tête, il faut déjà en avoir une; c'est-à-dire pour dépasser son égo il faut déjà en avoir un. Chez des personnes mentalement déstructurées, le déficit d'attention rend plus difficile en tout cas la vision de sa vraie nature. Et même si le vide est reconnu, la stabilisation de l'expérience sera problématique.

Autrement dit, pour aller au-delà de son ego, il faut que le sien soit relativement structuré. C'est pourquoi pour certaines personnes, je pense qu'un travail psychologique est un préalable nécessaire avant d'aborder des voies spirituelles directes. Comme vous le dites, la pensée peut littéralement être un enfer sur terre pour certaines personnes.

Je n'ai pas été témoin d'une sortie d'une psychose grave grâce à cet enseignement. Il n'y a certes pas besoin d 'être parfait - personne ne l'est - mais je dirai qu'il faut déjà une certaine santé mentale pour avancer sur un chemin spirituel qui nous confronte à la vacuité de la personne.

Ceci n'est que le résultat de mon expérience, mais c'est une expérience de 20 ans de partage et de milliers de rencontres.

La vision sans tête n'est pas une thérapie psychologique. Ce qui change ce n'est pas le contenu de la conscience, c'est l'éveil à la nature même de l'esprit.

cordialement

José Le Roy