Je peux difficilement résister à un texte qui me plonge dans le monde hassidique. Cette fois encore, je m’en félicite, cette curiosité m’a permise de découvrir un roman captivant.
C’est pour Alexandra, une adolescente de 15 ans rapidement rebaptisée Ziva, expatriée pour fuir l’univers de prostitution maternelle, que l’on nous ouvre grand la porte d’une résidence de juifs hassidim d’Outremont. On nous ouvre également la porte de l’école et même celle de la chambre à coucher du couple habituellement fermée à double tour (littéralement dans l’histoire).
Sous le regard extralucide de cette jeune fille, le lecteur découvre les en-dessous d'une hiérarchie implacable et des règles rigides. L’ado affrontera cet univers avec un courage surhumain, acceptant de combler les lacunes de la dame de la maison perturbée par un mari rude et autoritaire. Elle assurera des tâches accablantes générées, non seulement par la demi-douzaine d’enfants, mais par la complication causée par les innombrables interdits. J’en ai pour exemple la cuisine qui a presque tout en double pour ne pas que se touchent certains aliments. Si encore, on séparait la nourriture uniquement mais on sépare les femmes des hommes, ceux-ci ne mangeant pas à la même table. Même pendant la cérémonie du mariage, les époux sont séparés.
Alexandra avait pleine liberté en sa Russie natale et se retrouve encadrée par un agenda débordant de tâches à accomplir, tout en veillant de près à son éducation religieuse pour le moins complexe. Elle apprend en même temps que le lecteur, ce qui ajoute à l'intérêt du récit. Assez rapidement, elle découvrira un lourd secret concernant cette famille, qui tente de projeter une image de normalité. Elle deviendra quasiment une enquêtrice, prenant en note des indices et suivant un fil qui l'amènera à découvrir un pot aux roses qui est loin de sentir la fleur.
Je donnerais comme plus grande qualité à ce roman la crédibilité procurée par une connaissance approfondie du sujet, tant du point de vue du fonctionnement de la famille hassidique, que des us coutumes passés que l'auteure passe au crible. J’avais déjà lu quelques bouquins sur le sujet, c’est cependant la première fois que j’arrive à vraiment plonger dans leur vie quotidienne. On découvre que par de là leurs gestes routiniers, il y a leurs travers. Autrement dit, là où il y a de l’homme, il y a de l’"hommerie" qu’il soit lustré d’un vernis hassidique, catholique ou athée, c’est du pareil au même. Chaque être est mu par l’ambition d’être admis dans un groupe et mieux encore, compris et aimé. On pourrait aussi dire aimé, parce que compris.
Par de là cette accessibilité indéniable qui rend le roman intéressant jusqu’à la dernière ligne, il y a certains points qui me sont apparus ne pas tenir la route au niveau psychologique. Je me suis demandé si une adolescente transplantée d’une terre où elle avait trop de liberté auprès de sa mère, à celle où elle n’en a plus aucune, réagirait d’une manière aussi soumise. Surtout que personne ne la soutient, pas même son frère de qui elle est coupée. La jeune fille fait preuve d’une maturité doublée d’une lucidité qui dame discrètement le pion à tous, jusqu’aux rabbins de la communauté hassidique. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle est faite forte ! Cet être qui vient de vivre un drame cuisant dans son pays natal, amplifié par le rejet de sa mère arriver à encaisser toute cette adaptation, sans confident, sans soutien et qui plus est fait preuve d’une maturité hors du commun.
Chacun des personnages est crédible ; le père rude et affairé, la mère dépendante et débordée, les grands-parents sages, l’amie « langue sale », le portrait des enfants coloré, il ne reste qu’à accepter le penchant héroïque de l’actrice principale, Alexandra. Il y a somme toute deux histoires dans une et à partir du moment où la mèche est éventée (réf. au pot aux roses), entre en scène une autre personne qui mettra, par sa vulnérabilité excessive, le côté héroïque d’Alexandra en relief.
Le style ne coule pas toujours de source, devant certaines phrases, j’ai butté jusqu’à me demander si c’était une traduction, par contre le rythme est excellent, les personnages captivants, l’intrigue solide. Ce que je peux vous assurer c'est qu'après cette lecture, vous comprendrez comment et pourquoi ses adeptes choisissent de ne pas sortir des traditions hassidiques. Roman palpitant.
Yiosh !
Auteure : Magali Sauves
Hamac Classique
296 p.