J'aime bien cette phrase et elle caractérise parfaitement un personnage que nous avons déjà évoqué sur ce blog. Voici, après l'oppressant et stressant "Territoires", un roman noir beaucoup plus léger, dans le fond comme dans la forme. La lecture récréative, si je puis dire, car on retrouve souvent cet adjectif accolé à des substances interdites dont il est beaucoup question dans notre roman du jour. Vous avez envie de vous marrer sans vous prendre la tête, ce livre est écrit pour vous ! Après "les talons hauts rapprochent les filles du ciel", Olivier Gay met une deuxième fois en scène son loser magnifique, Fitz, dans un milieu qui fait fantasmer : celui des concours de beauté et des castings de mode. "Les mannequins ne sont pas des filles modèles" est disponible au Masque en grand format, en ce qui me concerne, mais également en poche depuis quelques semaines.
A peine remis de ces récents déboires et nanti d'une "magnifique" cicatrice, Fitz a repris sa vie de noctambule vendeur de cocaïne dans les boîtes à la mode de la capitale. Et il n'est plus question, mais alors plus question du tout de jouer les enquêteurs, c'est vraiment trop dangereux et Fitz est bien trop malchanceux pour ça.
Flanqué de ses deux fidèles amis, Deb et Moussah, enfin, de ses gentils parasites toujours en demande d'un peu de poudre à se mettre dans le pif, Fitz fait des affaires, pépères. Enfin, ces derniers temps, il voit plus souvent Deb que Moussah, car son videur d'ami est amoureux. Eh oui, tout arrive. Et c'est réciproque, en plus !
Moussah, qui plus est, ne file pas le parfait amour avec n'importe qui : Cerise, sa chère et tendre (et plus si affinités, et il y a manifestement souvent affinités), gagne sa vie comme mannequin. Et, si vous permettez cette vanne fitzienne, vu son physique particulièrement avantageux, Cerise doit assurer dans son boulot (oui, celle-là, je la rends volontiers à César Gay...).
Et il est mimi, le gros nounours de Moussah, en amoureux transi ! Jusqu'au jour où... il vient retrouver Fitz en catastrophe. Car la belle Cerise a soudainement disparu. Pas vraiment une surprise pour le dealer qui, certainement un peu jaloux aussi, ne voyait pas cette idylle s'éterniser. Mais Moussah est certain que sa belle ne l'a pas plaqué sans prévenir.
Pour lui, c'est clair, il est arrivé quelque chose à la jeune femme, et quelque chose de grave. Un enlèvement, ou pire ! Il faut ab-so-lu-ment que Fitz lui file un coup de main, qu'il remette sa casquette de d'enquêteur, même si, question points communs avec Sherlock Holmes, la coke, ça fait léger, surtout quand on la vend alors que le détective la consommait...
Réticent, parce que sa dernière expérience a surtout failli lui coûter la vie. Mais, d'un autre côté, la seule piste que possède Moussah pour faire débuter l'enquête, c'est ce que s'apprêtait à faire Cerise quelques jours plus tard : participer à un concours pour intégrer une agence de mannequins et décrocher un contrat lucratif.
Concours + mannequins... Vous entendez les méninges de Fitz tourner en rond, telles un hamster dans sa roue ? Vous sentez la chaleur monter d'un cran pendant que ses hormones se mettent à bouillir ? Vous sentez ce picotement qui se manifeste à l'idée de se retrouver dans la même pièce qu'une cohorte de filles canons, remonte le long de l'échine et va redescendre rapidement vers... hum, restons-en là, si vous permettez...
Allez, malgré ses bonnes résolutions, et vraiment parce que c'est Moussah, Fitz accepte de mener l'enquête pour comprendre pourquoi Cerise a aussi brusquement disparu. Avec une idée évidente : elle avait toutes les chances de remporter n'importe quel concours. Sa beauté était juste prodigieuse et, contrepartie, elle avait tout pour attiser les jalousies de concurrentes possédant des canines de longueur déraisonnable, sans pour autant altérer l'harmonie de leur visage de chipies...
Les yeux écarquillés, Fitz n'en revient pas : ce concours n'a pas grand-chose à voir avec ce qu'il imaginait, bien moins sexy, finalement, que dans ses rêves les plus... fous. Et surtout, cette ambiance de compétition exacerbée où chacune semble prête à tout pour décrocher un ersatz de gloriole sur papier glacé ou en 4 par 3... Dans le meilleur des cas...
Eh oui, les petites filles modèles n'ont rien d'enfants sages comme des images. Et les malheurs, n'en doutez pas une seconde, ne sont pas pour Sophie, mais pour Fitz, l'aimant à emmerdes... La mission fastoche dans un milieu rose bonbon sucé plein de paillettes, de blush, de gloss et de bombes de laque est une sacrée chausse-trappe. Et Fitz n'a vraiment rien à gagner à se fourrer dans de tels ennuis...
A part les beaux yeux d'Aurélie, évidemment...
Aurélie ? Ah oui, je n'en avais pas encore parlé. Et je ne vais pas en parler plus. Et toc. Laissons ce brave Fitz se liquéfier devant la demoiselle en question. et parlons de cette deuxième enquête dans le monde impitoyable de la mode. Une intrigue assez classique, mais c'est la manière de l'enrober, de la mettre en mots qui est le plus intéressant.
La manière de jouer avec ses personnages et de transformer cette enquête en une espèce de pièce de boulevard complètement loufoque où plus personne ne contrôle grand-chose de ce qui se passe. Olivier Gay, c'est certain, a le sens de la situation. Pas seulement pour mettre ses (anti-)héros en danger, mais pour les plonger dans un inconfort équivalent à s'asseoir sur une pelote d'épingles en devant absolument conserver le sourire de la Joconde.
On s'amuse parce que l'auteur a le sens de la formule et son personnage, celui de l'autodérision. Il faut dire que Fitz, John-Firzgerald, de son prénom véritable, en a eu rapidement besoin dans la vie. Et aussi, parce que ce grand dadais est le roi des maladroits. Le genre qui contourne la peau de banane sur le trottoir pour se prendre le pot de fleurs sur le coin de la tronche... Ou vice-versa.
Attiré comme une phalène par une lampe halogène, Fitz rapplique au pays des merveilles et des mensurations parfaites. Mais, toujours comme ladite phalène, c'est avec le risque de salement se brûler les ailes, et la tête, et la queue... euh, alouette ! Et l'alouette et la linotte sont de lointain cousins, alors... Alors, on imagine bien qu'après les périls, suivra le "va, je ne te hais point", à tête de litote.
Je me suis énormément amusé avec la description cheap de chez cheap de ce monde des castings pour princesses sorties tout droit de contes de fée qu'on leur a racontés depuis leur tendre enfance et ambitionnant désormais de devenir reines de beauté. Il y a quelque chose de pathétique dans cette démarche tant elle semble devenue commune et ne sacre plus vraiment d'exception.
Il y a beau avoir peu d'élues par rapport au nombre des candidates, il y a désormais bien trop de jolies frimousses étalées au mètre carré, des pages de magazine au panneaux publicitaires, en passant par les écrans de télé, de ciné, d'ordi, de portables, de tablettes et même les écrans de tutti quanti... Partout, les canons de la beauté contemporaine s'exp(l)osent et l'oeil frise, mais surtout l'overdose...
Trop, c'est trop, n'en jetez plus ! Elles sont belles, charmantes, sexy, tout ce que vous voulez, elles sont là, dans cette salle des fêtes défraîchie à attendre leur tour, c'est déprimant. On n'est loin du rêve, des marches de Cannes, des unes de Elle et des contrats avec des zéros en nombres longs comme leurs jambes...
Et on se dit qu'elles auraient bien mieux à faire que de se précipiter, tête baissée, dans ce miroirs aux alouettes (encore elles !!)... C'est là que j'en viens à LA référence qui tue et qui va me griller pour longtemps (mais promis, je l'ai vu lors d'un long voyage en bus, si, si, où dans un avion volant au-dessus de l'Atlantique ou... pfff, laissez tomber...).
En fait, dans cette seconde aventure, Fitz, c'est un peu Sandra Bullock dans "Miss Détective" (ah, ben oui, ne venez pas vous plaindre, j'avais prévenu, oh !)... Le chien dans le jeu de quilles en forme de charmantes demoiselles, l'éléphant dans le magasin de peaux de porcelaine... Pour ceux qui y verraient un spoiler déguisé, non, Fitz ne va pas s'infiltrer en se déguisant en miss... Vous pouvez respirer !
Mais, j'ai retrouvé ce même mélange de kitscheries bon marché, de prêt-à-tout pour arriver au prêt-à-porter, de situations foutraques et de n'importe quoi totalement assumé qui fait aussi, parfois, mon bonheur, je le confesse (oui, pour ma faute, ma très grande faute, je ferai deux Pater et trois Ave...). Mon bonheur simple de lecteur qui, au milieu de romans sombres, sinistres et violents, a aussi besoin d'un peu de rigolade sans prétention.
Allez, vous voulez une autre référence ? Je l'avais déjà en tête en lisant la première histoire, mais, là, elle est revenue avec force, sans doute en raison du milieu dans lequel tout cela se déroule et d'une tendance plus marqué au "brand-dropping". Oui, lorsqu'il ne me fait pas penser à Sandra Bullock (mon imagination est plus souple que moi, elle pratique sans aucun mal le grand écart facial), Fitz me rappelle... Patrick Bateman.
Oui, l'American Psycho de Brett Easton Ellis ! Là encore, il me faut préciser quelque chose. Si vous placez Bateman sur un cercle, tracez une droite passant à la fois par la position du golden boy cinglé et le centre dudit cercle. Poursuivez jusqu'à couper une nouvelle fois le cercle. Oui, enfin, en gros, allez à l'autre bout du diamètre du cercle... et vous trouvez Fitz.
Le même soin de sa petite personne les relie et les références incessantes aux fringues et accessoires portés pour briller en société, afficher son rang et sa réussite. Après, ça diverge, oui... Bateman n'a pas ce côté loser magnifique de Fitz. Il est simplement dément. Alors que notre dealer parisien a la tête bien posée sur ses épaules, mais se laisse attirer par la moindre oeillade et mener par le bout... du nez.
Plus sérieusement, Fitz, c'est l'anti-Bateman, parce qu'on sait qu'il sera toujours du côté des ennuis, qu'il en prendra plein la figure pendant 350-400 pages et que nous, nous ricanerons bêtement, interjectant des trucs lourdement intellos du genre "ah, le con !" ou "mais qu'il est con, ce con"... Vous comprenez mieux ma réticence à ne pas interjecter trop souvent à voix haute...
Fitz, Deb et Moussah, ce sont les pieds nickelés des beaux quartiers. Les Ribouldingue, Croquignol et Filochard du Paris-by-night qui sniffe et qui pétille. On a du mal à croire que leur situation se sera améliorée à la fin du livre, mais on est certain qu'avant d'en arriver là, ils auront eu leur content de galères et d'aventures.
J'arrête là mes délires et je vous laisse avec ou sans Fitz. Du roman noir qui ne se prend pas au sérieux, qui ne révolutionne rien, mais qui vous assure quelques heures de détente bien venues. On ne lésine pas sur les personnages, gentiment caricaturaux, parfois, mais ce n'est pas grave, on attend de connaître la nature de la prochaine tuile qui tombera sur le coin de la figure de Fitz.
Et on s'attend à le retrouver fort dépité et fort dépourvu en fin de compte. Essayant de tirer des leçons de tout ça, jurant, mais un peu tard, qu'on ne l'y reprendrait plus, mais n'étant pas dupe une seconde que les prochains cils allongés au mascara dernier cri qui papillonneront juste ce qu'il faut le feront replonger...
Mais, là, c'est une autre histoire.