Aller à la rencontre du couple fondateur de Saravane s'inscrivait dans une forme de logique. Depuis le temps que je les cite à chaque fois (ou presque) que j'utilise les associations d'épices qu'ils ont inventées l'envie de les entendre parler de leur passion ne s'était pas émoussée.
Leurs épices sont conçus comme des parfums, avec la subtilité qu'on peut en attendre. Leurs currys sont puissants mais tempérés par une douceur qui les empêche d'arracher le palais.
C'est la ville de Rameswaram, en tamoul இராமேஸ்வரம், située sur une île au sud de l'Inde, à l'extrême pointe sud du Tamil Nadu, face au Sri Lanka, reliée au continent par un grand pont et une voie ferrée dont le ruban se déroule au raz des flots. Rien de comparable dans le Bassin d'Arcachon mais l'air y est tout de même marin et cette île a donné son nom à leur entreprise.
C'est un endroit où Florence et Yves Dubus sont passés. Ils avaient retenu le nom et la double évocation de la savane et de caravane leur plaisait. Quinze ans ont passé et le souvenir demeure aussi vif.
Florence a cherché à redonner ses lettre de noblesse à ces produits si précieux au Moyen-Age quand ils représentaient une monnaie d'échange. Elle a consacré une année avec son mari à comprendre l'univers du poivre et de la cardamone.
Ils sont partis en Inde, sac à dos, avec leur fils de 7 ans. Ils ont arpenté les vergers où poussent les poivriers, dans des petits villages, à flanc de montagne. Dans le sud de l'Inde, le Kirala leur est apparu comme le jardin des épices. C'est là qu'on trouve la cannelle et la girofle.
Ils ont fait connaissance avec un brooker qui possède une licence d'exportation et qui leur a permis d'acheter exactement le poivre qu'ils voulaient. Surtout pas la poussière dont certains se contentent.
Les premières années, Saravane donnait aux poivres qui étaient commercialisés un nom qui signifiait leur terroir, comme le poivre Coonoor, vif et légèrement fumé qui est récolté dans un petit village en pleine montagne. La couleur, le calibre, le grade pouvaient être aussi des sources d'inspiration.
On n'arrête pas de vendre, mais on ne fait pas de commercial .... Entendez par là que la notoriété de Saravane évite de démarcher. La clientèle aimerait pourtant qu'une boutique Saravane soit ouverte mais c'est un autre métier que d'être épicier et ce duo de créateurs compense en quelque sorte en faisant régulièrement des portes ouvertes dans leur show-room, 3 à 4 fois dans l'année. A noter aussi qu'Internet présente un complément intéressant.
S'ils sont spécialisés dans les currys ils ont aussi toute une gamme d'herbes aromatiques puisqu'on retrouve les senteurs de la Provence dans le mélange Cajun. Le thym est présent dans le zahtar. S'ils ne les commercialisent pas en tant que tels ils ont aussi certains produits comme le tamarin ou l'assa fetida qui entrent dans la composition de mélanges bien spécifiques.
Leur métier commence par la vérification des produits. Même s'ils ne veulent pas entrer dans l'appellation "bio", le contrôle est devenu une obsession. C'est Yves qui a la charge de la "confection" qui commence par un broyage, toujours en quantité raisonnable, jamais plus de 20 kilos. Saravane demeure artisanale : nous voulons garde la liberté de faire ce qu'on veut en le faisant bien; Et surtout continuer à choisir, évoluer et voyager.
Yves surtout est un créateur. Il travaille comme les parfumeur, avec son nez. Il peut tout autant concocter des mélanges spéciaux, pour satisfaire la demande particulière d'un chocolatier ou une conserverie d'escargots (remarquez l'ampleur de son champ d'intervention !) que préparer une nouvelle recette qui sera vendue sous le label Saravane. On fait un métier où faut être couteau suisse, entendez par là avoir une large palette de compétences.
Yves a néanmoins une forme de nostalgie quand il songe à tous les essais qu'il a faits et qui n'ont pas encore abouti, faute de temps. Il rêve au moment où il rencontrera un jeune tout autant passionné que lui avec qui il pourra "rembobiner" le film et reprendre des projets.
Florence aimerait avoir davantage de temps à consacrer aux voyages. Pour le moment ses départs restent limités à trois semaines, malgré l'envie de multiplier les petits reportages. Elle reste frustrée dans son désir de faire plus de photos.
Interrogée sur ses préférences elle confie adorer le galanga, une sorte de gingembre, et le macis, l'enveloppe de la noix de muscade. Yves choisirait les mélanges et pour cause puisque c'est lui qui les a inventés.
Il est admiratif de l'hygiène de vie des indiens qui ne consomment pas d'alcool, mangent beaucoup de légumes, à heure régulière et dans le calme, adeptes d'une forme de chronobiologie culinaire presque tyrannique. Il faut l'entendre raconter comme tout s'arrête dans ce pays à heure fixe.
Il y a beaucoup de leçons à retenir de leur mode de vie et de nombreuses recettes à imiter, comme les crêpes dossa, très fines, très saines et digestes.
D'autres créations ont un nom étonnant. Comme Massala Kafe qui a été imaginé pour un grand acteur du marcher du café et qui a été conservé dans la gamme de Saravane.
Florence comme Yves ont toujours beaucoup idées de recettes. Ils associent la fève Tonka à la coquille Saint-Jacques. Le mélange Saté sert à mariner du poulet coupé en tous petits morceaux dans du lait de coco. On les roule ensuite dans des cacahuètes écrasées avant de les griller.
Personnellement, je décline la tarte Tatin entre deux extrêmes : la douceur avec Alma Mater, la puissance avec le Sweet mélange.
Et puis des thés, natures ou parfumés, ou en mélanges Tchai que jusqu'à un passé récent ils ne préparaient que pour des amis.
Je suis revenue avec une quinzaine de boites. Il a fallu ajouter une étagère dans la cuisine mais les boites protégeant les épices de la lumière je vais pouvoir les avoir sous les yeux pour les employer sans hésitation.
Et parmi les nouveautés, Citrus Pepper, un poivre noir du sud de l'Inde, associé à une huile essentielle de citron fait merveille sur une omelette aux cèpes.