Mr B. est mon oncologue…
Je l’ai rencontré il y a presque 2 ans maintenant, et nos relations ont été particulièrement difficiles pendant pas mal de temps…
Déjà, il faut se replacer dans le contexte… Quand vous apprenez que vous avez un cancer, ce n’est pas non plus l’annonce d’une prochaine migration vers les pays chauds… Je ne comprenais pas grand-chose à toutes ses explications, au déroulement du protocole… Il employait des termes aussi inconnus pour moi que du chinois mandarin…
« Vous voyez ce que je veux dire ? » me disait il parfois… « Non, je ne vois pas »… ne pouvais je que répondre… Il prenait alors un air pas possible, pathétique à souhait et, en me fixant froidement, me sortait un truc du genre « ce n’est pourtant pas bien compliqué… » Dans ces cas là, j’avais envie de lui mettre deux claques et de sortir… J’avais fait des études de droit, moi, pas des études de médecine option cancer, option déconsidération du malade…
J’avais en tête des milliers de questions auxquelles il ne voulait jamais répondre…
« Une étape après l’autre, me répondait il à chaque fois »… Cette non réponse me froissait les plumes de façon permanente. J’étais d’une humeur massacrante à chacun de nos entretiens, et c’était tout à fait réciproque…
Je le trouvais très pro, certes mais aussi hautain et largement condescendant. Lorsque vous êtes malade, cette suffisante est plus que désagréable à supporter…
Lorsque j’ai commencé mes chimios, il venait, comme pour tous les malades, me voir dans mon box, après l’examen cardiologique, pour vérifier les résultats et me parler de la prochaine séance. Je ne l’écoutais même pas… Grelottante sous 3 couettes, généreusement entassées sur ma petite personne, par d’adorables infirmières, j’avoue que j’avais les neurones qui ne connectaient pas toujours… Bien souvent j’ai eu envie de lui répondre, de le contredire, de lui montrer que je n’étais pas un oiseau docile et conciliant, mais trop fatiguée, je ne pouvais le faire. Mon heure n’était pas encore venue…
Le jour de la 7ème chimio, mon andalou et moi sommes arrivés très avance. Nous avons donc été à la cafétéria. En train de siroter mon thé, j’ai aperçu une autre malade, devant un café, non loin de moi.
Son visage me disait vaguement quelque chose… Elle par contre, a tout de suite tilté… Elle s’est approchée de nous, en me demandant « c’est la combien ? »
C’était bien une patiente de l’onco… Et c’était notre 7ème séance à toutes les deux… Nous étions chacune d’humeur très joyeuse, parce que nous savions qu’à partir de ce jour, les choses allaient être moins difficiles, les dosages étant moins lourds…
Très naturellement, nous avons évoqué Mr B… C’était également son oncologue, et elle avait sur lui, le même avis que moi…
Arrivées dans le service, les infirmières ont tout de suite senti la connivence déjà installée entre elle et moi…
« On vous installe ensemble ? »
C’est ce jour là que tout a commencé…
Mr B. n’a pas trop apprécié lorsqu’il est entré dans le box, de nous trouver réunies toutes les deux… Il a demandé à l’une de nous deux de sortir, pendant qu’il regardait les résultats de l’autre… Nous avons refusé. « On reste ensemble »…
« Cela ne va pas être PO SSI BLE » a-t-il articulé, d’un ton sec, comme un maître d’école à deux élèves indisciplinées… Nous n’avons pas cédé, et il en a été médusé… Cela a été la 1ère étape…
Et puis, est venue l’heure des complots…
Nous avions très vite remarqué qu’après le passage de Mr B, et si tout allait bien, celui-ci partait alors du service, pour se rendre au centre de radiothérapie. Nous avions le droit, après cela, de sortir un peu du box, et d’aller notamment nous préparer un café dans la cuisine réservée aux malades…
Nous avons âprement négocié, auprès des infirmières, de sortir du service pour aller à la cafétéria. Cela a été pour nous, les moments les plus heureux de tout ce parcours… Même si nous ne disposions que de 30 minutes, nous avons vécu ces instants de liberté, de la plus belle des façons… Nous sommes devenues copines avec le personnel de l’accueil, avec la responsable de la boutique cadeaux, et plein d‘autres personnes… Nous rigolions comme deux folles échappées d’un asile… Parfois, même, nous sortions dehors, sur le parvis de l’hôpital. Mon andalou allait alors chercher notre chien, qui venait me retrouver, fou de bonheur…
Mr B. n’était pas au courant de ces escapades… C’était notre secret, et les infirmières seules savaient où nous étions.
Le temps de permission accordé, tellement attendu et précieux, était, certaines séances, largement écourté à cause de moi. Contrairement à ma copine, ma perfusion était branchée sur une pompe, pour un débit plus rapide. Si dans la vie, je suis plutôt du genre oiseau hyperactif, par contre, question écoulement dans mon Zarb, c’était vitesse escargot…
J’ai eu le malheur d’étrenner un nouveau modèle de pompe électronique, hyper sensible… A chaque fou rire, elle se déclenchait presque automatiquement, avec une alarme retentissante, et une voix désagréable qui ne cessait de hurler en continu « attention, risque d’occlusion, attention risque d’occlusion… »
Il fallait alors que je remonte, avec tristesse, en oncologie.
Un jour, alors que nous nous échappions à nouveau du service, au moment de franchir les portes battantes,
une voix désagréable et interloquée, a retenti derrière nous…
« Mais elles vont où, ces deux là ??? » C’était Mr B, qui était toujours dans le service… Penché derrière le grand bureau en arrondi des infirmières, nous ne l’avions pas vu…
Nous n’avons pas répondu, et nous avons rejoint, presque en courant, l’ascenseur… Vous avez déjà essayé de courir, une perche de perf à la main ? Nous, nous l’avons fait, en gloussant comme des poules…
Pour être honnête, on a, ce jour là, passé nos 30 minutes d’oxygène, à nous demander si Mr B. serait encore là, lorsque nous allions remonter…
Et il était encore là, planté au beau milieu de la salle commune… En nous voyant, il est devenu rouge comme une tomate, et nous a passé une engueulée (il n’y a pas d’autre mot) monstrueuse… Devant tous les autres malades, et les infirmières tétanisées…
Mr B. a levé les yeux au ciel, excédé au possible… « Non mais je rêve… » a-t-il juste dit, et il est aussitôt parti, furieux comme tout…
Après cet épisode tragi comique, Mr B. n’a plus jamais été le même avec nous… Je ne sais pas pourquoi… Il a tenté de petites incursions dans le domaine de l’humour, mais malheureusement sans aucun succès. Mr B. est comme ma voisine, il n’a pas d’humour, c’est dit… Il est du genre, en plus, à être de mauvaise plume si personne ne comprend ses sous entendus comiques… Mais au moins, il a essayé… Il est devenu plus avenant et nettement moins crispant. Presque a croire que Mr B. a potassé les cours de psycho du malade, cours sur lesquels il devait avoir beaucoup de retard et de lacunes…
Mr B. a continué, néanmoins comme avant avec les autres malades, régnant sur sa petite cour de cancéreux, avec mauvaise humeur et démarche altière, comme un coq tout puissant…
Nous n’en sommes pas au point de nous faire la bise, n’exagérons rien… Seulement voilà… Entendre Mr B. passer devant nous, grand sourire aux lèvres nous déclarer : « ça va les filles ? », c’était assez inimaginable, il y a quelques mois…
Avoir résisté à Mr B, c’est notre grande victoire, à ma copine de chimio et à moi… Cela a alimenté nos conversations pendant des mois, et au final, son changement d’humeur et d’attitude sont un beau cadeau…
Au fil du temps, j’ai fini par apprécier Mr B. Il n’a pas eu la vie facile avec nous… Lors d’une conversation récente, il m’a dit que toutes les deux, nous avions « révolutionné » le service par notre bonne humeur, et que cela en avait été profitable pour le moral des autres malades…
Je crois bien que Mr B. m’a fait le plus beau compliment du monde…