d'après LE LAPIN de Maupassant
La fille de ferme
Accourut vers maître Delerme*
Et s’écria d’un air ahuri :
-« C’te nuit, on vous a volé un lapin.
-« Un lapin ? »
-« Oui, l’gros gris. »
Le fermier alla regarder.
La cage était vide et brisée.
-« Va à la gendarmerie.
Dis-leur qu’ j’ les attends d’ pied ferme. »
Puis Delerme rapporta à sa femme :
-« V’là qu’on a volé un lapin, l’ gros gris. »
-« Qué qu’ tu dis !
Qu’on a volé un lapin ? »
-« Oui, l’ gros gris. »
« Qué misère ! Qué qu’a pu l’ volé, çu lapin ? »
-« Ça doit être Polyte. » -« Sûr, c’est li !
C’est li, Delerme, tu l’as dit ! »
Ce Polyte avait été employé
À la ferme Delerme puis congédié.
Depuis, il faisait tous les métiers.
Aide-maçon, faucheur, charretier…
Les gendarmes, rapidement arrivés,
Se rendirent sur le lieu du méfait
Et le brigadier, sûr de lui, annonça :
*En Normandie, un fermier est souvent appelé ‘maître’
-« Faudra voir la femme à Duprat.
V’là un mois qu’elle couche avec Polyte…
Vu qu’il n’a pas d’ gîte !
Attendons midi ; au déjeuner,
Je le pincerai. »
À midi, le brigadier entrait
Chez les Duprat
Et annonçait :
-« Je viens rapport à une petite enquête.
Vot’ mari n’est pas là ? »
-« Non. » -« Alors pourquoi deux assiettes,
Deux couteaux et deux fourchettes ?
Avec qui vous mangez ?...
Ça sent bon. C’est du lapin qu’ vous faites ?
On jurerait du lapin sauté. »
-« Non, c’est un p’tieu d’ beurre su l’ pain »
-« Du beurre sur du pain ?
Vous faites erreur.
C’est plutôt du lapin au beurre.
Il sent bon vot’ beurre.
Dites, ousqu’il est vot’ beurre ? »
-« Mon beurre ? » -« Oui, vot’ beurre. »
-« Mais dans l’ pot ! »
-« Alors oùsqu’il est l’ pot ? »
-« Qué pot ? » -« L’ pot d’ beurre. »
-« Le v’là. »
Le brigadier le flaira
Et dit en relevant le front :
-« C’est pas l’ même. Non.
I’ m’ faut l’ beurre qui sent l’ lapin sauté.
Gendarme Cornu ! Vois su l’ buffet ;
Mé, j’ vas guetter sous le lit. »
Le brigadier s’approcha du lit,
Se pencha
Et s’écria :
-« J’ l’ tiens ! J’ l’ tiens ! »
-« Qué qu’ tu tiens ? L’ lapin ? »
-« Non, l’voleux ! Amène-toi, Cornu ! »
Le captif gigotait, ruait, s’arc-boutait.
Les gendarmes tiraient, tiraient.
La figure de Polyte apparut,
Suivirent un bras, une main,
Un manche de casserole dans l’autre main
Puis la casserole qui contenait
Le lapin sauté.
-« Nom de Dieu ! » hurla le brigadier.
Les gendarmes menottèrent le prisonnier.
Le lendemain, Jean Duprat
Croisa
Maître Delerme :
-« Bonjou’, Maît’ Delerme. »
-« Qu’est-ce que vous voulez ? »
-« C’est-i vrai
Qu’on vous a volé un lapin ? »
-« Mais oui, c’est vrai. »
-« Qué qui l’a volé, çu lapin ? »
-« C’est Polyte, le journalier. »
-« C’est-i vrai
Qu’on l’a trouvé sous mon lit ? »
-« Oui, mon pauv’, c’est vrai. »
-« Qu’est-ce qui vous l’a dit ? »
-« Un p’tieu tout l’ monde. Je m’entends. »
-« Ma femme a-t-il l’drait d’coucher avé Polyte? »
-« Comment ça… de coucher avec Polyte ?
Vu la loi ? »
-« Mais non, c’est pas son droit. »
-« J’ai-t-i l’ drait de li fout’ des coups,
À elle et pi à li, itou ? »