on a volé le lapin de maître Delerme !

Publié le 27 novembre 2014 par Dubruel

d'après LE LAPIN de Maupassant

La fille de ferme

Accourut vers maître Delerme*

Et s’écria d’un air ahuri :

-« C’te nuit, on vous a volé un lapin.

-« Un lapin ? »

-« Oui, l’gros gris. »

Le fermier alla regarder.

La cage était vide et brisée.

-« Va à la gendarmerie.

Dis-leur qu’ j’ les attends d’ pied ferme. »

Puis Delerme rapporta à sa femme :

-« V’là qu’on a volé un lapin, l’ gros gris. »

-« Qué qu’ tu dis !

Qu’on a volé un lapin ? »

-« Oui, l’ gros gris. »

« Qué misère ! Qué qu’a pu l’ volé, çu lapin ? »

-« Ça doit être Polyte. » -« Sûr, c’est li !

C’est li, Delerme, tu l’as dit ! »

Ce Polyte avait été employé

À la ferme Delerme puis congédié.

Depuis, il faisait tous les métiers.

Aide-maçon, faucheur, charretier…

Les gendarmes, rapidement arrivés,

Se rendirent sur le lieu du méfait

Et le brigadier, sûr de lui, annonça :

*En Normandie, un fermier est souvent appelé ‘maître’

-« Faudra voir la femme à Duprat.

V’là un mois qu’elle couche avec Polyte…

Vu qu’il n’a pas d’ gîte !

Attendons midi ; au déjeuner,

Je le pincerai. »

À midi, le brigadier entrait

Chez les Duprat

Et annonçait :

-« Je viens rapport à une petite enquête.

Vot’ mari n’est pas là ? »

-« Non. » -« Alors pourquoi deux assiettes,

Deux couteaux et deux fourchettes ?

Avec qui vous mangez ?...

Ça sent bon. C’est du lapin qu’ vous faites ?

On jurerait du lapin sauté. »

-« Non, c’est un p’tieu d’ beurre su l’ pain »

-« Du beurre sur du pain ?

Vous faites erreur.

C’est plutôt du lapin au beurre.

Il sent bon vot’ beurre.

Dites, ousqu’il est vot’ beurre ? »

-« Mon beurre ? » -« Oui, vot’ beurre. »

-« Mais dans l’ pot ! »

-« Alors oùsqu’il est l’ pot ? »

-« Qué pot ? » -« L’ pot d’ beurre. »

-« Le v’là. »

Le brigadier le flaira

Et dit en relevant le front :

-« C’est pas l’ même. Non.

I’ m’ faut l’ beurre qui sent l’ lapin sauté.

Gendarme Cornu ! Vois su l’ buffet ;

Mé, j’ vas guetter sous le lit. »

Le brigadier s’approcha du lit,

Se pencha

Et s’écria :

-« J’ l’ tiens ! J’ l’ tiens ! »

-« Qué qu’ tu tiens ? L’ lapin ? »

-« Non, l’voleux ! Amène-toi, Cornu ! »

Le captif gigotait, ruait, s’arc-boutait.

Les gendarmes tiraient, tiraient.

La figure de Polyte apparut,

Suivirent un bras, une main,

Un manche de casserole dans l’autre main

Puis la casserole qui contenait

Le lapin sauté.

-« Nom de Dieu ! » hurla le brigadier.

Les gendarmes menottèrent le prisonnier.

Le lendemain, Jean Duprat

Croisa

Maître Delerme :

-« Bonjou’, Maît’ Delerme. »

-« Qu’est-ce que vous voulez ? »

-« C’est-i vrai

Qu’on vous a volé un lapin ? »

-« Mais oui, c’est vrai. »

-« Qué qui l’a volé, çu lapin ? »

-« C’est Polyte, le journalier. »

-« C’est-i vrai

Qu’on l’a trouvé sous mon lit ? »

-« Oui, mon pauv’, c’est vrai. »

-« Qu’est-ce qui vous l’a dit ? »

-« Un p’tieu tout l’ monde. Je m’entends. »

-« Ma femme a-t-il l’drait d’coucher avé Polyte? »

-« Comment ça… de coucher avec Polyte ?

Vu la loi ? »

-« Mais non, c’est pas son droit. »

-« J’ai-t-i l’ drait de li fout’ des coups,

À elle et pi à li, itou ? »