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Vélib’ ou de l’art du gadget comme principe de gouvernement

Publié le 13 juin 2007 par Jean-Paul Chapon

Encore une de ces nouvelles excitations médiatiques qui a le don de me mettre en colère. On avait déjà eu la Saint-Tram, aujourd’hui c’est la Saint-Vélo. C’est le grand jour, on est sauvé. Vélib’ est lancé avant sa mise en service au 15 juillet prochain.

Donc grâce à 10.000 vélos dans un premier temps et 20.000 dans un second temps (vélos qui au passage ne pèsent pas moins de 22 kilos chacun, les cyclistes dont je fais partie apprécieront ;-) le problème des déplacements de 11 millions de personnes dans l’agglomération parisienne va être résolu. De qui se moque-t-on, soyons sérieux un moment et arrêtons de nous abriter derrière un guidon pour ne pas regarder en face la réalité dans toute son ampleur dramatique, et là, les habitués de la ligne 13 et de la ligne D, sans parler des autres apprécieront à leur tour.

Vélib’ c’est très bien, c’est très sympathique, mais qu’on le veuille ou non, c’est un gadget, ce n’est pas une solution à l’échelle du problème des transports dans l’agglomération parisienne dans laquelle il y a 33 millions de déplacements quotidiens. Un article récent de Pouvoirs Locaux * présente un schéma des déplacements motorisés dans l’agglomération avec pas moins de 3 millions pour le seul Paris intra-muros concerné aujourd’hui par cette opération de promotion du vélo. On parle bien de 200.000 abonnés à terme pour vélib’, mais avec 20.000 vélos, tous pris à la même heure si l’on veut en faire un moyen de transport pour les trajets domicile-travail, cela va être difficile. Pour autant ne faut-il pas faire Vélib’ me direz-vous ? Là n’est pas la question. Vélib’ ne fera de mal à personne, ou presque. Cycliste moi-même, je suis toujours effrayé lorsque je vois les cyclistes non aguerris s’aventurer dans les rues de Paris à vélo. C’est dangereux quand on ne maîtrise pas bien l’usgae de la bicyclette. Il n’y a pas de permis vélo, et le port du casque (qui n’est pas une sécurité absolue, mais déjà un faute-de-mieux) n’est pas obligatoire. Etonnant d’ailleurs de la part de la Mairie de lancer un tel programme sans avoir lutté pour obtenir cette mesure de bon sens et de sécurité.

Mais ce que l’on attendrait des médias c’est un peu plus de professionnalisme et un peu moins de complaisance, si ce n’est d’incompétence. Une nouvelles, ça se met en perspective, un dossier ça se travaille. Un journaliste n’est pas seulement l’agent publicitaire béât d’un annonceur… Il était d’ailleurs assez amusant d’écouter l’envoyée spéciale de France Info dont l’enthousiasme s’émoussait, au fur et à mesure de la journée, essoufflée au micro côté Montmartre, évoccant les couloirs et la cohabitation difficile avec bus et taxis, sans parler des scooters, retrouvant un peu ses esprits sur le Champ de Mars, où il n’y avait pas de piste cyclable, mais tout de même on entendait les oiseaux, les poussettes et le crissement des foulées des joggers, puis de la retrouver sous la pluie, sur son chemin de retour vers la Maison de la Radio, interviewant une femme en tailleur et chaussure à talon qui furieuse contre la pluie qui la trempait alors qu’elle allait d’une réunion à l’autre… Eh oui, le vélo c’est sympa, mais quand il pleut, quand ça monte, quand le trajet est long, quand… Le vélo ne saurait être la réponse au problème qui se pose à l’agglomération parisienne, qui est celui des transports de masse. Et que l’on montre les vrais chiffres. La Mairie de Paris s’est glorifiée au printemps des 5 millions de voyageurs transportés par le Tram des Maréchaux en 3 mois, c’est le nombre de voyageurs que Métrophérique, le métro de rocade proposé par la RATP en petite couronne, transporterait en 1 semaine !

Et ce qui me révolte le plus dans cette journée, c’est qu’une fois de plus, on sort le vélo comme symbole facile et pratique derrière on cache l’incapacité et l’impuissance des uns et des autres, villes de l’agglomération, départements, région, Etat qui se défausse, à apporter une vraie solution au problème des transports. Les lignes sont saturées, le service est de plus en plus mauvais, pas fiable, et aujourd’hui, on nous parle de 20.000 vélo…

Le comble de la malhonnêteté intellectuelle semble avoir été atteint par notre nouveau super ministre de l’écologie, Alain Juppé arrivé à vélo au conseil des ministres comme l’annonçait France Info. Le même super écolo, qui selon le Canard Enchaîné, a tout de même poussé le vice avec Fillon, le Premier Ministre de Sarkozy de venir inaugurer le TGV Est en Falcon, obligeant le train à marquer un arrêt non prévu et infligeant un retard de plus de 20 minutes au voyage inaugural. Juppé, le ministre écolo à vélo, c’est bon pour les photographes, épatons le bon peuple et donnons l’exemple. Quelle triste et cynique mascarade, de qui se moque-t-on ?

* Transport et mobilité durable en Ile-de-France : enjeux et issues, Yves Crozet Professeur à l’université de Lyon, Directeur du Laboratoire d’Economie des Transports - LET-ISH
Pouvoirs Locaux, les cahiers de la décentralisation, numéro 73 - mai 2007


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