Après le succès de The Artist, présenté en 2011 à Cannes, Michel Hazanavicius revenait cette année en compétition sur la Croisette avec The Search. Notre avis.
En 2011, Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, était heureux de présenter sur la Croisette la petite pépite qu’il dénichait plusieurs semaines auparavant. Michel Hazanavicius, que l’on connaissait alors surtout pour son diptyque des aventures de l’anti-héros OSS 117, présentait donc sa nouvelle œuvre, The Artist. Ce nouveau pastiche, imprégné d’une folle ambition et porté par les mimiques expressives de Jean Dujardin, rendait à sa manière hommage aux premières lueurs du cinéma. Finalement, il repartait de Cannes le prix d’interprétation masculine sous le bras, alors inconscient du fou succès qu’il rencontrerait quelques mois plus tard, outre-Atlantique. Trois ans, un sketch, six Césars et cinq Oscars après, Michel Hazanavicius revient à Cannes présenter un nouveau film, qui donne un nouveau tournant à sa carrière.
Si Hazanavicius n’a concocté et écrit jusqu’ici que des comédies, ce nouveau film lui fait prendre, en effet, un virage en épingle. Dans The Search, quatre destins s’entrecroisent : celui d’un enfant fuyant son village et de sa sœur partie en quête pour le retrouver, celui d’une femme travaillant pour l’Union Européenne, et celui d’un garçon de 20 ans, rejoignant l’armée puis le front.
Reposant sur la deuxième guerre de Tchétchénie, qui sert de contexte au drame, le scénario ne laisse cette fois plus aucune place à l’humour. C’est un tableau sombre et difficile que va brosser cette fois Michel Hazanavicius, et les écueils sur lesquels il risque d’échouer pour un premier film d’une telle envergure sont nombreux. Il faut éviter de se noyer dans le pathos, nager à contre-courant des stéréotypes et du manichéisme, et pourtant tenter, malgré la dureté et le sérieux du sujet, de faire émerger subtilement les émotions que le spectateur s’apprête à braver. La complexité du thème et de l’enjeu général, fait donc de The Search un pari très ambitieux mais risqué pour un auteur qui n’a écrit jusqu’alors que des scénarios à trame comique.
Michel Hazanavicius et le directeur de la photo Guillaume Schiffman
Compte tenu du défi lancé, The Search parvient à tirer son épingle du jeu sur plusieurs points. Michel Hazanavicius construit son film non-linéairement, et opte pour la forme d’un film choral, où tous les fragments de vie s’entrecroisent jusqu’à refermer la boucle. Il garde ainsi un rythme intriguant à son scénario et se dégage d’une structure classique et linéaire, qui aurait forcément fini par ennuyer.
Mais c’est aussi l’interprétation bouleversante du très jeune Abdul Khalim Mamutsiev qui fascine et tient en haleine. En effet, la performance artistique du jeune garçon, qui commence ici sa carrière et pourrait avoir de bonnes raisons de la continuer, induit l’émotion sans fausse note et mouche même des acteurs plus expérimentés, comme Bérénice Béjo, dont le jeu était pourtant cette fois moins surfait que dans Le Passé, d’Asghar Farhadi. Les interventions du jeune acteur, tout en finesse et délicatesse, sont l’occasion pour le réalisateur d’opposer la douceur de certaines scènes (celles entre Béjo et l’enfant) à la dureté d’autres (les scènes de guerres, entre autres).
Mais le film trébuche dans son scénario. Prétendument dénonciateur, The Search saute pieds joints et yeux bandés dans le piège du manichéisme. Hazanavicius oppose sagement les gentils aux méchants, et les quelques tentatives d’y échapper manquent fortement de nuance. Cette absence irrationnelle et désagréable condamne le film au point qu’il devient vraiment difficile d’y croire, malgré les éloges des reporters de guerre saluant l’exactitude historique du film. Ce que l’on attendait de The Search, c’est-à-dire la poigne, l’authenticité et l’audace d’un scénario incisif, est étouffé par cette vulgaire et naïve stigmatisation, qui partait certainement à l’origine d’un (trop) bon sentiment.
Le jeune Abdul Khalim Mamutsiev et Bérénice Béjo
Souhaitant changer radicalement de registre, Hazanavicius s’est peut-être un peu trop vite précipité en s’attelant aussitôt un sujet fort et délicat à mettre en scène. Bien que la mise en scène, qui comprend la direction des comédiens, soit souvent bien maîtrisée, il rappelle néanmoins l’importance de fonder un scénario sur des piliers solides, et prouve qu’il faut aussi choisir le bon moment pour se jeter à l’eau. The Search arrive peut-être un peu précocement dans la filmographie du cinéaste.