Pour la seconde fois, après le très remarqué Robberto Succo, Cedric Kahn s’attaque à un fait divers pour composer la trame d’un film. L’histoire de Xavier Fortin, père de famille ayant entraîné ses fils de 7 et 8 ans dans une cavale de onze années, constitue le point de départ de Vie sauvage, son dernier long métrage. Notre avis.
Cedric Kahn est un cinéaste qui creuse son sillon dans le cinéma français avec tant de discrétion qu’on en oublierait presque qu’il existe. De Robberto Succo à l’Ennui, en passant par Feux rouges ou son dernier Une vie meilleure, Kahn renouvelle son style et propose un cinéma aussi varié que passionnant. Certains n’hésitent pas d’ailleurs à le classer parmi les meilleurs réalisateurs de l’hexagone. Ce fils spirituel de Maurice Pialat, et qui a eu la chance d’être son assistant, a su retenir les enseignements du maître (dont on sait Pialat avare) pour se créer une identité, et affirmer son esthétique propre.
L’une des choses les plus difficiles au cinéma, et en particulier pour un film qui traite d’un sujet délicat, est de trouver le ton juste. Si le film plonge dans le sentimentalisme, le jugement, la mièvrerie, exacerbe un sentiment de façon trop appuyé, ou si le cinéaste défend un point de vue trop tranché, dénué de nuance, l’édifice s’écroule et le film en devient douteux. L’histoire de ce père de famille marginal, ou du moins étiqueté comme tel, décidant de soustraire ses fils à la garde de leur mère pour les conduire dans un périple de clandestinité durant onze ans, nécessitait que Cedric Kahn aborde le sujet sans consensus mou, mais avec de la nuance dans le regard. Ne prenant parti ni totalement pour le père, ne souscrivant pas non plus à un soutien partisan des souffrances de la mère, le film se place plutôt à hauteur du regard des enfants. Et quoi de plus vrai, de plus brut et sans concession que le regard d’un enfant ? Kahn réussit à épouser leur ambivalence, leur tendresse, et leur dureté.
Le film est littéralement porté par un couple magistral. Matthieu Kassovitz, dans le rôle du père est irritant, touchant, juste et fou, idéaliste et fidèle à une idée de l’existence. Le travail de l’acteur dans le regard, la voix, et la façon d’assumer son acte et ses conséquences, est saisissante et contribue à éviter de poser un jugement tranché sur son personnage. Celine Salette, quant à elle, interprète, elle aussi avec brio, une mère désœuvrée et pétrie de souffrance.
Cedric Kahn a su parfaitement organiser le récit et insuffler un bon rythme, sachant prendre son temps sur des scènes qui nécessite d’entrer lentement en empathie avec les personnages, au travers de l’utilisation de gros plans ou de plans fixes notamment. En quelques séquences, tournées sobrement, durant lesquelles les deux enfants sont filmés avec leur père au début de leur cavale, le cinéaste nous fait entrer dans les tourments intérieurs qui animent ces trois individus dont la vie se situe au niveau d’un tournant qui laissera en eux une emprunte indélébile. A d’autres moments le film sera plus haletant, et des cassures chronologiques dans l’histoire nous feront avancer de façon fluide vers la fin de cette aventure.
La seconde moitié du film se déroule pendant l’adolescence des deux enfants, période de bouleversement et de remise en question intense que le film sait restituer dans sa complexité. Là encore, malgré les diatribes du fils aîné à l’égard du projet fou de son père, le cinéaste maintient son cap non moralisateur et se garde bien de tout jugement. Comme un musicien se doit de choisir le bon tempo pour interpréter une mélodie, un cinéaste doit comprendre à quel rythme l’histoire doit être narrée au spectateur pour faire infuser son message. C’est donc avec une douceur mâtinée d’un flot de sentiments contradictoires que le spectateur arrivera au terme de ce périple, dans un épilogue qui ne manquera pas d’émouvoir les plus insensibles d’entre nous.