Chronique « Mascarade »
Scénario, dessin et couleurs de Florence Magnin,
Public conseillé : Ado / Adultes,
Style : Thriller Fantastique,
Paru chez Daniel Maghen, le 6 novembre 2014, 144 pages couleurs, 29 euros
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L’histoire
C’est dans un vrai trou perdu de campagne que la mère de Gaëlle a choisi de passer ses vacances. Elle regrette vite ce choix, pris un peu vite afin d’être seule avec sa fille de onze ans pour essayer de lui expliquer les raisons d’un divorce et lui présenter Denis, son nouveau compagnon.
Un échec total puisque l’enfant s’éloigne chaque jour de sa mère, pour retrouver Titou, un orphelin un peu en retard pour son âge, qui vit avec sa grand-mère. Cette dernière connaît toutes les traditions anciennes et notamment celle des masques, qui permet de visiter en rêve le domaine des esprits. Malgré les conseils et les interdits fixés par la mamé, Gaêlle va fabriquer ses propres masques et commencer à passer de l’autre côté…
Et affronter les dangers du domaine des esprits
En fuite avec le loup blanc, devant la Baba-Yaga
Magie, ce livre parle de magie. Mais surtout, il confronte les images de légendes souvent cruelles aux ogres des temps modernes qui tuent l’innocence de l’enfance.
Dès sa première rencontre, Gaëlle risque de se faire dévorer par une Baba-Yaga. Elle échappe de justesse au festin de l’ogresse grâce à la désobéissance d’un chat mélomane et d’un loup blanc, Fafnir, qui va aider la jeune fille à revenir vers la réalité en prenant l’apparence d’un chien errant. Gaêlle comprend qu’elle s’est mise en danger et s’aperçoit qu’elle reçoit des pouvoirs puisque lorsqu’elle est seule, Fafnir peut lui parler.
Dans le monde réel, Fafnir, le chien errant veille sur Gaël
La curiosité va l’emporter rapidement et à nouveau Gaëlle fabrique un masque. Elles se perdra dans un dédale d’où elle ramène un œuf magique, rejoindra l’univers lunaire de l’impératrice, cette femme cruelle qui a l’apparence de sa mère et qui nous renvoie aux créations de Lewis Carroll. Elle risquera d’y perdre à nouveau la vie mais la sauvera en devant elle aussi faire un choix de cruauté. Chaque fois, un vieux Shaman vient à son secours. Ce dernier poursuit une vieille quête, celle d’éliminer enfin l’ogre, l’être qui vit dans son château du domaine des esprits et celui qui sévit près du village des vacances de la gamine, en un lieu qui cache les ruines du château où régnait autrefois un sosie de Gilles de Rais… Gaelle rencontre d’ailleurs souvent le fantôme de Cathy, une fillette assassinée quelques années auparavant.
Souvent, agacée par les choix de vie de sa mère, elle se réfugie chez Julien, un ami de Titou, un adulte au cœur d’enfant. Un artiste qui vit reclus chez lui et qui développe une relation ambivalente avec Gaëlle, l’habillant en princesse pour la photographier, la peindre…
Perdue dans le labyrinthe où elle manque encore de perdre la vie !
Tourmentée par ses relations tendues avec sa mère, passionnée par cette vie en pleine nature et par ses secrets et ses démons, Gaëlle vivra des expériences terrifiantes, sera manipulée par un Shaman dont le but ultime mettra la vie de la gamine et de ses proches en danger. Elle quittera le monde de l’enfance et celui des esprits avec le goût de l’amertume à la bouche, mais en ayant acquis une expérience unique qu’elle conservera à tout jamais en son cœur.
Un énorme roman graphique
« Mascarade » est un livre unique, un énorme roman graphique de 240 pages et une véritable performance d’auteur complet réalisée par Florence Magnin. J’avais beaucoup aimé ses aventures dans « L’Autre Monde », puis « Mary la Noire » scénarisées par Rodolphe. J’avais été un peu moins conquis par « L’Héritage d’Émilie » réalisée en solo, puis la fin des aventures de « L’Autre Monde ».
Ici, elle explore en profondeur ce monde qui peut être aussi enchanteur que vénéneux. D’entrée de jeu, elle pose l’horreur sur la vision d’un enfant maltraité et emprisonné dont le dernier vestige d’humanité et son ours en peluche recousu…
Ensuite, c’est le grand voyage, avec une technique toute de légèreté au crayon et à l’aquarelle, sans encrage, pour le monde réel ; des pages en noir et blanc qui marquent fortement le danger, voire l’horreur ; son style très pictural et très coloré, on le retrouve lorsque Gaêlle envahit le monde des esprits ; quelques grandes illustrations, pleines pages splendides réalisées à l’aquarelle sont posées telles des charnière qui magnifient le cours du récit.
Mon coup de cœur en cette fin d’année
Pénétrer dans l’univers de « Mascarade », c’est rejoindre ses propres rêves d’enfant, ses peurs et ses cauchemars également. C’est retrouver le Petit Chaperon rouge, Pinocchio et Gepetto (que l’on croise), des pirates, le cirque ou la fête foraine (j’ai pensé à « La foire des ténèbres » de Bradbury), les contes de Grimm ou d’Andersen.
Des pirates aussi…
C’est gambader à nouveau dans les forêts ou les prés, l’esprit libre, mais c’est aussi être rattrappé par les obligations du jeune adolescent qui grandit et, parfois, des tourments de la vie à un âge où ils ne devraient pas exister. Une double évocation de l’enfance qui s’enfuit et de celle qu’on martyrise.
Je m’y suis perdu avec délectation, me revoyant dans certaines époques heureuse de mon enfance, dans ces maisons extraordinaires de Montmorençy (c’est la maison de Julien qui me les évoque) et des parcs emplis d’une nature originale. Merci Florence pour ces souvenirs emplis de nostalgie.
Il y a longtemps que je n’avais à ce point laisser vagabonder mon regard sur des vignettes qui confinent à l’enchantement. Poussé par la magie du récit, sa formidable légèreté vite bousculée par son extrême gravité, par l’envie de s’enfoncer plus loin, au creux de ces 240 pages exceptionnelles qu’on se surprend à lire sans se laisser le temps de reprende souffle.
Pour résumer
« Mascarade » est le plus beau livre réalisé par Florence Magnin , un livre à tiroirs dont on ne sait quel secret formidable ou inavouable va sortir et un des plus beaux livres de cette fin d’année, avec cette couverture rouge qui tend vers la passion et le danger et qui installe Gaëlle en premier plan, entourée de masques, avec cette ombre grandissante, derrière, emplie de symboles et de menace.
Un incontournable, à aborder dès 12 ans pour les enfants et, surtout, par les adultes car ce livre n’est surtout pas à prendre pour un livre Jeunesse.
Chacun y trouvera de la magie… et avant Noël, il faut lui faire Fête !
Notez l’Exposition à la Galerie Daniel Maghen à Paris d’une soixantaine de planches et de la couverture de « Mascarade », du 26 novembre au 6 décembre 2014.
Illustrations © Florence Magnin et Éditions Daniel Maghen (2014)