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Voilà un nouvel excellent article de David Brunat (célèbre sur notre blog avec ses lettres postumes) sur deux personnalités dont j'ai souvent parlé.
Le parallèle est tellement pertinent .. merci David.
En septembre 2011, quinze jours avant la mort de Steve Jobs, fut publié un sondage instructif.
Le « Reputation Institute » y répondait à cette question un peu bateau mais qui fait toujours recette :
« Quelles sont les personnalités les plus populaires et les plus admirées au monde ? ».
Plus de 50 000 personnes de 25 pays différents s’étaient prononcées.
Le palmarès ne laissa pas d’interpeller les observateurs.
La première place était occupée par Nelson Mandela.
Score légitime et attendu.
Mais après, tout juste derrière, venait Roger Federer !
Suivi par Bill Gates, troisième. Steve Jobs arrivait pour sa part en sixième position.
En ce week-end de victoire suisse en Coupe Davis – la première du genre -, il n’est pas complètement oiseux de souligner quelques analogies entre le champion helvétique et le mythique fondateur de la marque à la pomme.
Et pas seulement parce qu’ils sont tous deux devenus des légendes et ont trusté de longue date les bonnes places dans les enquêtes de popularité.
Il est incontestable que leur rayonnement planétaire a rapidement dépassé leur simple domaine de compétence – le tennis pour l’un, la conception de produits de haute technologie pour l’autre.
Et l’on ne peut d’ailleurs qu’être admiratif devant la sympathie, sinon l’amour, que ces deux « génies » aux parcours et au tempérament du reste si différents ont su susciter à travers le monde, quelle que soit la force de leurs détracteurs (les fans de Nadal pour Federer et, pour Jobs et ses successeurs, les adversaires de tout ce que représente Apple, société jadis rebelle mais parvenue à un statut d’icône qui sait « verrouiller » le consommateur et n’hésite pas toujours à abuser de sa position dominante sur certains segments de marché).
Au soir des premières rencontres de la finale de Coupe Davis, vendredi dernier, Federer n’avait logiquement pas de quoi pavoiser.
Battu, laminé, humilié par un Gaël Monfils en état de grâce, il avait toutes les raisons de broyer du noir.
Or, il n’en a rien été.
Il a tiré les enseignements de cette défaite, s’est dit prêt sans bravade à repartir au combat, plus déterminé que jamais à rapporter le trophée.
Il a montré qu’il n’était pas affecté par cette épreuve, positive et même salutaire en ce qu’elle lui avait donné les meilleures indications possibles sur son état de santé.
Combativité, résilience, aptitude exceptionnelle à rebondir, conviction que « tout est possible », etc. : du Steve dans le texte !
A ces dispositions dont l’analyse par l’intéressé ferait la matière d’un beau discours de Stanford (par analogie avec celui que prononça Jobs en 2005 devant les étudiants de cette université et dans lequel il raconta trois histoires de sa vie qui étaient autant d’échecs et d’épreuves qu’il avait réussi à sublimer), ajoutons un point fondamental : l’esprit d’équipe.
Pas de Coupe sans Wawrinka. Pas d’Apple sans Wozniak (parent éloigné de la joueuse de tennis Caroline Wozniacki ?), le geek génial et partenaire irremplaçable des premières années !
Federer et Jobs ont tous deux su résister à l’adversité avec un art consommé du combat, de l’innovation et de la temporisation.
Qu’il s’agisse de la monté en force de la concurrence ou des passages à vide auxquels ils ont dû faire face (Steve renvoyé d’Apple, Roger confronté à de mauvaises passes sportives récurrentes faisant craindre depuis plusieurs années un inexorable « déclin » avant de connaître des périodes de rémission et de rebond spectaculaires), ils nous ont fait comprendre que le talent, le génie, la niaque, ne suffisent pas pour s’imposer durablement.
Leçon d’endurance, leçon de vie, leçon d’intelligence.
Tous deux ont en outre introduit une nouvelle définition de la beauté dans leur spécialité.
Comme je l’ai rappelé avec Antoine Dubuquoy dans notre livre « Steve Jobs, figure mythique », l’un des plus grands tours de force de Jobs a été de provoquer la révolution de la beauté dans le monde de l’informatique, qui jusqu’à lui ne rimait pas exactement avec l’esthétique.
Quant à Federer, nombreux ont été les observateurs – jusqu’à certains chorégraphes et professionnels de la danse – à souligner la poésie qui émane de ses frappes, de ses déplacements, de chacun de ses gestes sur le court.
Un dernier point, qui n’est certes pas le moins bluffant : à l’âge qu’il a atteint, âge auquel la plupart des champions de tennis ne pensent, fortune faite, qu’à raccrocher la raquette et à passer à autre chose, Federer, lui, continue à manifester pour ce jeu, qui a fait de lui un demi-dieu, un amour ardent, juvénile, inextinguible.
A sa manière, belle et enthousiasmante, cet Helvète qui a tout gagné mais ne semble jamais blasé, applique l’adage jobsien :
« Stay hungry, stay foolish. »
Come on !
David Brunat
Allez, au plaisir de vous lire ...