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La terreur diffuse : « The Thing », de John Carpenter (1982)

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Peu de réalisateurs peuvent aujourd’hui se targuer d’être parmi les gourous du cinéma d’épouvante. Aux côtés des plus importants réalisateurs du cinéma d’horreur que sont certainement Roger Corman, Wes Craven, ou encore Argento et Romero, Carpenter a une place de choix, étant l’un des rares à avoir questionné l’horreur sous toutes ses formes. Fortement inspiré par Stephen King ou encore Lovecraft, Carpenter a aussi bien réalisé un slasher movie des plus classiques, efficace et reconnu (Halloween en 1978), des films d’horreur fantastique (les fantômes de The Fog en 1980, ou encore Le village des damnés en 1995), des films d’épouvante infernale (Le Prince des ténèbres en 1987), des films d’épouvante machiniste (la voiture tueuse de Christine en 1983), et enfin des films d’horreur paranoïaque et de science fiction, comme The Thing réalisé en 1982, premier film de Carpenter produit par un grand studio hollywoodien.

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Souvent considéré comme le remake de The Thing From an Other World réalisé par Christian Nyby sous la tutelle de Howard Hawks en 1951, le film de John Carpenter est plutôt une réadaptation de la nouvelle La Bête d’un Autre Monde écrite en 1934 par John W. Campbell dont le film de Nyby était lui aussi adapté. Ce projet de réadaptation était déjà sur les rails en 1975-1976, mais les studios ne voulaient pas alors de John Carpenter qui n’avait pas encore montré l’étendue de son talent et ne justifiait pas qu’un budget soit monté autour de lui. D’abord proposé un temps à Tobe Hooper, ce n’est qu’après le refus de ce dernier et le succès phénoménal de Halloween en 1978 (le film ne coûta que 375 000 dollars et fut ensuite, pendant longtemps, le film le plus rentable de l’histoire du cinéma), que John Carpenter revint sur le projet et commença à travailler sur le film, avant de repartir à nouveau vers des productions indépendantes pour d’autre projets.

À l’époque, en effet, les studios étaient quelque peu réticents à l’idée de se tourner vers des productions novatrices qui voulaient allier horreur et science-fiction, le genre étant trop audacieux et trop onéreux pour se permettre de parier dessus. C’est la Fox qui lança le premier film du genre, osant la production d’Alien qui sortit en 1979, et ouvra, grâce à son succès, la voie à The Thing. Il est intéressant de noter, par ailleurs, que John Carpenter lui-même n’était pas pour rien dans la genèse du film de Ridley Scott. En effet, Dan O’bannon, le scénariste, était un proche de Carpenter depuis le début de la carrière du réalisateur, et fut le co-auteur de Dark Star, le premier film de Carpenter, dont il reprit de nombreux aspects lorsqu’il écrivit le scénario d’Alien.

Fort, donc, des succès d’Alien et de son slasher Halloween, Carpenter se voit confier le projet The Thing par Universal Pictures, pour lequel il eut une grande liberté de création, bénéficiant de plus d’un an de préparation et d’un budget confortable de 10 millions de dollars (au début, puisque le film coûta au final environ 15 millions). Même si le film n’eut pas le succès escompté (il fait partie de ces films, comme Blade Runner, qui, sortis le même mois, se firent « écraser » par le succès monumental de E.T. l’extraterrestre), il reste aujourd’hui comme l’un des films d’épouvante les plus reconnus, redécouvert et réhabilité par critiques et cinéphiles (qui le fustigèrent à l’époque, certains traitant Carpenter de « pornographe de la violence ») dans les années 1990, avec l’arrivée de la VHS qui rendit son statut de grand film d’épouvante à une œuvre qui le mérite amplement.

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Car il fallait toute l’audace d’un jeune réalisateur quelque peu impétueux pour mener à bien et réussir à mettre en scène brillamment le récit de The Thing qui, au-delà de sa maestria technique dont on parlera plus tard, brille par la mise en place sobre, mais non moins efficace, d’un huis-clos sombre, qui tend plus, par certains moments, vers la paranoïa que vers le cinéma d’horreur pur.

The Thing se prête bien, d’ailleurs, à ce travail sur la paranoïa et sur la peur d’un mal qui rôde sans que l’on sache où il se trouve. Car The Thing est précisément l’histoire d’une mission scientifique américaine en Antarctique qui essaye de combattre une « chose » qui, après avoir décimé l’équipe norvégienne qui l’a sortie de son hibernation glacière de plusieurs milliers d’années, s’attaque à eux. Petit à petit cette créature métamorphe (qui assimile et imite à la perfection n’importe quelle créature vivante) tue et prend peu à peu la place de toute l’équipe scientifique qui, menée par le charismatique McReady (Kurt Russell), tente de combattre ce monstre se cachant donc au milieu du groupe.

Il faut reconnaître que le film s’approche alors d’une dimension paranoïaque que Carpenter réussit à sublimer en faisant une chose rare dans un film d’horreur comme celui-ci. Alors que l’équipe découvre que la chose est capable de prendre la forme de toute vie organique et d’imiter son comportement lorsque celle-ci décime entièrement le chenil de la station américaine, la chose disparaît complètement pour laisser l’équipe face à la dépouille de la créature qui était en train de copier la morphologie des chiens. Ce choix rare et audacieux que prend alors Carpenter pour traiter son film, c’est de ne pas du tout montrer la chose attaquant les membres de l’expédition, et de ne s’attacher qu’à la paranoïa qui contamine petit à petit toute l’équipe qui, au fur et à mesure qu’elle découvre de quoi est capable la créature, se demande si elle est toujours là ou pas, découvrant les indices montrant qu’elle a certainement pris la forme d’un des membres de l’expédition.

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Et toute la qualité de la mise en scène de Carpenter est alors de rester proche du point de vue de son personnage principal, McReady, gardant ses effets pour plus tard, mettant en place une pression accrue qui deviendra vite étouffante dans cet intérieur de base arctique, qui nous apparaît alors comme un vrai labyrinthe dans lequel l’horreur peut surgir de n’importe quel recoin. La musique d’Ennio Morricone est pour beaucoup dans l’instauration de cette ambiance pesante. Et bien entendu – car le spectateur n’attend que ça –, c’est l’apparition impromptue de la chose qui entrainera tout le monde dans une paranoïa encore plus aiguë. Et plus encore que la dernière morphologie de la chose dans l’une des séquences finales, c’est dans la scène où elle se révèle enfin, véritable climax du film, que la créature sera la plus réussie, la plus effrayante, prenant, en l’espace de quelques minutes l’apparence d’une mâchoire énorme engloutissant les bras du médecin faisant un massage cardiaque à l’un des membres de l’équipe (dont la chose avait donc pris forme), puis la forme d’une araignée dont le corps est la tête de sa victime.

L’intérêt est la manière dont Carpenter décide de montrer comment la créature « contamine » l’équipe petit à petit. Plus qu’un virus qui contamine l’ensemble du groupe, la chose est un cancer qui attaque chaque organe vital d’un corps homogène (chaque membre a une fonction importante dans l’organisation globale de la mission scientifique) qui se désagrège petit à petit, les symptômes restant invisibles longtemps, ne se révélant que lorsqu’on se met réellement à leur recherche. La scène du test de sang pour savoir qui est soi-même et qui est la chose se cachant au milieu du groupe est un sommet exceptionnel de crise et de paranoïa qui montre à quel point la « maladie » est cachée et qu’il faut la débusquer pour l’éradiquer.

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Mais le talent d’un réalisateur réside aussi dans sa capacité à savoir s’entourer et c’est ce que fit Carpenter qui prouve encore sur cet aspect du film son talent de réalisateur réussissant à fédérer sur un projet les meilleurs éléments qu’il pouvait trouver, ce qui lui a alors permis de mettre en place l’esthétique particulièrement impressionnante et réaliste du film. Face à la retenue, au réalisme d’un film paranoïaque qui joue pleinement sur l’invisible, Carpenter fait le choix de rendre le plus réaliste possible l’indescriptible chose qui menace les personnages du film. Pour le début des années 80, la prouesse réaliste sanglante et « dégueulasse » fut d’ailleurs la source de nombreuses critiques virulentes, venant notamment de Nyby (le réalisateur du premier film adapté de la nouvelle) qui, paraît-il, aurait dit lors de la sortie du film qu’aller le voir et aller chez un boucher regarder des carcasses sanguinolentes revenaient au même.

Pour atteindre donc ce degré de réalisme, Carpenter fait alors appel à de très bons techniciens qui étaient alors des grands, ou futurs grands, de leurs domaines respectifs et, sans eux, le film prêterait peut-être aujourd’hui à rire, ce qui est le cas de certains films tels que L’Exorciste de William Friedkin, aujourd’hui parfois moqué. Rob Bottin (maquillage, y compris des « marionnettes » du monstre), Roy Arbogast (effets spéciaux mécaniques), Dean Cundey (directeur photo), Albert Whithlock (effets spéciaux visuels), et John Lloyd (décoration) sont tous ceux-là sans lesquels The Thing n’aurait pas eu ce réalisme visuel, cette maestria technique qui nous fait « croire » en ce monstre, bien que ce dernier soit informe et indescriptible. Et si il est nécessaire de parler de tous les collègues de Arbogast et Bottin qui n’ont peut-être pas de rapport direct avec la conception des marionnettes « représentant » le monstre, c’est qu’ils ont grandement contribué à la réussite du film, en rendant crédibles son environnement (la lumière, l’Antarctique) ainsi que son arène (les décors intérieurs qui, souvent, étaient réfrigérés lorsque la scène se déroulait aussi à l’extérieur).

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The Thing est donc un film iconoclaste de l’horreur et de l’épouvante américaine des années 1970 et 1980, car il ne joue pas seulement sur les apparitions monstrueuses de la chose, mais aussi sur une terreur diffuse, exacerbant la paranoïa des personnages, et, au travers de ces derniers, celle d’un spectateur tenu en haleine du début jusqu’à une scène finale somptueuse qui n’a toujours pas révélé tous ses secrets. Et, ce qui est encore plus beau et plus fort, c’est que le film, en ayant le défaut et parfois même l’incohérence de faire en sorte que des personnages soient contaminés alors qu’il ne semble pas que la créature ait eu l’occasion de les tuer et remplacer, gagne encore plus avec ces imperfections, le rendant alors encore plus opaque, mystérieux, et, de facto, plus terrifiant encore.

Simon Bracquemart


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