A lire dans le sujet du mois :
Sur La Nuit des morts-vivants par Alice Letoulat
Sur Massacre à la tronçonneuse par Marianne Knecht
Sur La Colline a des yeux par Thomas Olland
Sur The Thing par Simon Bracquemart
Sur La Mouche par Jean-Baptise Colas-Gillot
Présentation:
Bien qu’il soit un genre aujourd’hui installé, avec ses cinéastes-auteurs et ses films de référence au milieu d’une production très abondante, le cinéma d’horreur américain a connu sa période la plus faste dans les années 1970 et 1980.
Durant cette période, le genre a non seulement connu ses films les plus importants – aujourd’hui déclinés en franchises, la preuve que la production actuelle manque d’allant – mais également ses premiers galons qui l’ont sorti du carcan des midnight movies et des séries B. Pour nous, la date marquant le début de cette »ère » du film d’horreur enfin élevé au rang de genre respectable (d’un point de vue actuel, car ce ne fut évidemment pas tout à fait le cas au moment de la sortie des films), est 1968, soit l’année de la sortie de La Nuit des morts-vivants, de George A. Romero, petit film sans budget qui connut le succès que l’on sait.
Une telle réussite montre bien que, dans les années 1970 et 1980 aux Etats-Unis – et dans le monde occidental où les films diffusés connaissent la même réception enthousiaste –, les auteurs et les spectateurs s’entendent sur la nécessité de voir représentés sur les écrans monstres et peurs. Quels sont donc les enjeux historiques et sociaux qui permirent à un genre déconsidéré de gagner ses lettres de noblesse ? Quels sont donc les tenants – que se passe-t-il avant, aux Etats-Unis en général et dans le cinéma en particulier ? – et les aboutissants – quelle postérité et quelle réception pour ces films ? – de cette période faste ?
La peur comme objet
Le cinéma d’horreur, c’est d’abord l’art des conséquences plutôt que des causes : il s’agit de savoir comment se déroulent les événements (exemplairement la panique des personnages), plutôt que pourquoi cela se passe (rares sont les films explicitant les raisons des événements). Et même, il ne s’agit parfois pas de découvrir le déroulement des dits événements, puisque les choses se passent souvent de façon identique d’un scénario à l’autre. Le film d’horreur est bien un film de genre, c’est-à-dire extrêmement calibré et souvent – c’est le risque – répétitif.
Ce qui intéresse au premier chef le film d’horreur, ce sont donc les conséquences d’un événement hors-du-commun, autrement dit la peur. Ca semble être une évidence, et pourtant… Les films d’horreur (et, de façon plus large, d’épouvante) mettent en scène des peurs qui ont beaucoup à dire des hommes et de leur époque, que ce soit bien sûr dans la façon de les exposer mais également dans les problématiques que ces peurs amènent avec elles.
Peurs fondamentales et angoisses contemporaines
Les peurs qu’évoquent les films relèvent tout à la fois de hantises archaïques et du contexte historique et social dans lequel ils voient le jour. Les peurs fondamentales et immémorielles exposées dans les films sont les mêmes que celles qui sous-tendent toute une part de l’histoire de la culture humaine, de la théologie à la littérature en passant par la psychanalyse et la peinture.
Comme dans le Carnaval, tout y est question de seuils : entre la vie et la mort, le familier et l’étranger, le naturel et le surnaturel, l’humain et l’inhumain, le noble et l’ignoble… Les films d’horreur brouillent les distinctions conventionnellement admises entre ces règnes, et c’est cette confusion qui génère le malaise voire la peur. Ce qui effraie dans Alien (R. Scott, 1979), par exemple, c’est bien cette intrusion (littérale) du corps étranger dans le corps familier, ravivant une double peur originelle, celle de l’enfantement monstrueux et celle du danger invisible tapi dans le semblable.
Réveillant donc ces vieilles peurs, le cinéma d’horreur américain des années 1970-1980 joue également des hantises propres à son temps, des hantises qui touchent le monde social qui entoure les cinéastes, mais également l’esthétique du cinéma lui-même. A la fin des années 1960, les pays occidentaux sont déjà régis pas une société de consommation de plus en plus aliénatrice, où tout le monde achète les mêmes produits, mais sans créer pour autant les contacts nécessaires à l’instauration d’une communauté. Dans le même temps, c’est une période d’agitation et de revendication politique et sociale. Dans les deux cas, les foules – consuméristes ou revendicatrices – forment l’image de la société occidentale. Cependant, elles sont absentes des écrans : le cinéma ne représente plus la masse des peuples (pour des raisons tant économiques que politiques). Il y a donc une inadéquation du monde social et de sa représentation au cinéma.
C’est qu’à la fin des années 1960, le cinéma lui-même est en crise. Les problèmes de désillusion propres à la société moderne depuis un siècle touche la modernité du cinéma : que peut-on montrer, maintenant que tout a déjà été fait, que tout est donc devenu cliché, que les images ne véhiculent plus que des symboles sans sens dans le meilleur des cas, ou à vocation publicitaire ou propagandiste dans le pire ? Les films de genre – qui tombent le plus aisément dans le cliché donc, puisqu’ils sont soumis à un code –, nombreux jusqu’alors (le western, le film noir, la comédie musicale), connaissent un désamour croissant. Ainsi, les seuls westerns américains de la période seront ceux, évidemment singuliers, de Sam Peckimpah.
Le cinéma d’horreur, sursaut esthétique et politique
Dans un tel contexte esthétique et social, comment expliquer l’intérêt presque soudain d’un nombre important de jeunes cinéastes pour le film d’horreur ? Ces jeunes réalisateurs ont déjà le goût du genre : Carpenter aime les westerns, de Palma les mélodrames. Mais, ces genres périclitant, il devient impossible pour eux de faire produire de tels films. Pour la plupart de gauche et sans moyens, ils constatent aussi la désertion des écrans où les scénarios des films projetés se limitent à quelques personnages.
Le film d’horreur a donc pu apparaître comme le recours esthétique et politique nécessaire. Peu cher, le genre permet aussi de travailler la question du cinéma, puisqu’il s’agit d’un genre exposant particulièrement ses codes. Le film d’horreur s’en prend justement aux images et aux clichés qu’elles sont devenues (au premier degré pendant les années 1970-1980, avant que le second degré ne fasse son apparition dans le film d’horreur, notamment avec Scream en 1996). Ainsi, avec le cinéma d’horreur, les cinéastes peuvent – pour peu cher et sous des thématiques décalées – réintroduire la question des foules et affirmer leur rejet de la belle image.
Des motifs récurrents
Parmi les sujets qui forment les préoccupations des films de la période, un certain nombre d’entre eux sont devenus de véritables motifs, voire des icônes, comme la figure du zombie. Des années 1960 aux années 1990, on note la récurrence de monstres et d’obsessions similaires. La proximité des choix se lit juste dans l’inspiration qui les fait naître : le cas Ed Gein, par exemple, auteur d’un fait divers macabre, a nourri les scénario de Psychose (1960), de Massacre à la tronçonneuse (1974) ou encore du Silence des Agneaux (1991).
Les grands motifs trouvent leur origine dans le cinéma d’épouvante qui précède notre période : les Dracula de Browning puis Fisher annoncent le monstre d’intelligence (Freddie dans Les Griffes de la nuit, Craven, 1984) ; la créature de Frankenstein (Whale) inspire les figures d’idiots (Leatherface dans Massacre à la tronçonneuse) ; La Féline (Tourneur) ou encore Les Yeux sans visage (Franju) anticipent l’obsession de la transformation monstrueuse (Le Loup-Garou de Londres, Landis, 1981) ; les body snatchers de Siegel reviennent dans The Thing (Carpenter, 1982). Hitchcock surtout expose la figure du maniaque au couteau (Psychose, qui constitue ainsi un premier slasher movie, sous-genre entériné par Halloween, de Carpenter, 1978) et celle de la masse terrifiante (Les Oiseaux, foule agressive de retour dans La Nuit des morts-vivants).
Très productif et formant un ensemble plutôt cohérent dans lequel surnagent plusieurs grands films jusqu’au milieu des années 1990, le cinéma d’horreur a connu un tournant en 1996 avec Scream. Le film de Wes Craven s’applique à détourner les codes très installés du genre pour le tirer vers le second degré et la réflexivité. Film sur le film d’horreur, retraçant par ailleurs l’histoire du genre depuis vingt ans, Scream travaille la figure d’un tueur-logo démultiplié et use du ressort protecteur de l’ironie. Faisant ainsi le bilan de près de trente ans de cinéma de genre, le film en souligne aussi l’épuisement et met en évidence le piège de l’auto-référence.
Ces dernières années, le cinéma d’horreur a connu un certain déplacement géographique (le film suédois Morse ayant ainsi bénéficié en 2008 d’un succès assez inattendu) et même si le cinéma d’horreur américain demeure vivace (les productions abondent), les films continuent d’exploiter une veine ironique (Piranha 3D par exemple, d’Alexandre Aja, 2010), comme si le cinéma d’horreur ne pouvait plus être pris au sérieux.
Même si quelques films sortent du lot (Mister Babadook récemment), dans l’ensemble le genre semble avoir à son tour périclité, au point que l’une des figures les plus emblématiques de l’épouvante, le vampire, se retrouve à figurer dans des films et séries qui ont davantage à voir avec le mélodrame. Multipliant les reboots, remakes et autres suites ou prequels, le cinéma d’horreur américain montre sa difficulté à se renouveler et continue de se raccrocher aux branches de sa période la plus faste.
De La Nuit des morts-vivants à La Mouche en passant par La Colline a des yeux, nous avons choisi de (re)mettre en lumière ces grands films de genre qui restent, encore aujourd’hui, des références.
Alice Letoulat