La France vivrait-elle un repli identitaire ? Cette question a été largement posée après le succès du livre d’Eric Zemmour, qui ne serait que l’un des symptômes de ce mouvement de fond. Elle était déjà brandie il y a un an après la parution de « l’identité malheureuse » d’Alain Finkelkraut. Les succès électoraux du Front national lors des derniers scrutins prouveraient également la résurgence d’une pensée dénonçant la perte de « l’identité française ».
Des Français qui dénoncent de plus en plus une présence immigrée « trop nombreuse »
Les sondages montrent effectivement que l’immigration en France suscite un rejet croissant : d’après la dernière enquête du baromètre de la CNCDH (Commission nationale consultative des Droits de l’Homme), réalisée par BVA en décembre 20131, 74 % des Français estiment qu’ « il y a trop d’immigrés aujourd’hui en France ». En quelques années, l’augmentation de cette proportion est fulgurante : seuls 47 % des répondants interrogés il y a cinq ans partageaient cette opinion.
Le « baromètre de la confiance politique » que l’institut OpinionWay réalise pour le CEVIPOF confirme le phénomène : la dernière étude (décembre 2013) indique que 67 % des répondants sont en accord avec l’assertion selon laquelle « il y a trop d’immigrés en France », soit une progression de 18 points en cinq ans.2
Certains immigrés dérangent plus que d’autres et derrière ce rejet se cache également celui des « personnes d’origine immigrée » et des autres non-Blancs. Une récente étude conduite par l’Ifop pour la Fondapol permet de confirmer que la population maghrébine est celle dont la présence est la moins acceptée en France : 51 % des répondants considèrent que les Maghrébins sont « trop nombreux » dans notre pays. Les « Noirs d’Afrique » arrivent en deuxième position, avec 36 % des Français estimant qu’ils sont trop nombreux en France. La présence sur le territoire de personnes originaires d’Asie suscite moins de tensions, mais un Français sur cinq (20%) considère toutefois que les Asiatiques sont trop nombreux dans l’Hexagone.
Le regard porté sur les personnes de différentes confessions recoupe en partie ces résultats. La présence de musulmans est celle est qui est le plus jugée comme étant trop importante dans notre pays, avec un résultat identique à celui enregistré pour les « Maghrébins » : 51 % des répondants pensent que les musulmans font partie des catégories de populations « trop nombreuses » en France. A titre de comparaison, ce sentiment est loin d’être inexistant envers la population juive, mais beaucoup plus modéré : 16 % des Français pensent qu’il y a trop de juifs en France. Seuls 7 % pensent de même des protestants.
Le rejet des étrangers reste un marqueur de l’électorat FN
L’opinion selon laquelle les immigrés seraient trop nombreux en France diffère largement en fonction de la sympathie partisane. A gauche, ce sentiment n’est pas absent mais se révèle nettement minoritaire. Ainsi, alors que 40 % des Français qualifient les « étrangers en général » de « trop nombreux en France » dans l’étude de l’Ifop pour la Fondapol, seuls 21 % des sympathisants du Front de gauche et 24 % de ceux du PS partagent cette idée. Elle est également moins présente que la moyenne au centre et à EELV (25 % des sympathisants du MoDem et 34 % de ceux de l’UDI et d’EELV3 ).
Un sympathisant de l’UMP sur deux (51%) considère que les « étrangers en général » sont trop nombreux dans notre pays, soit 10 points de plus que la moyenne des Français. Parmi les sympathisants du Front national, cette opinion est nettement majoritaire (81 %, soit 40 points de plus qu’au sein de la population dans son ensemble), ce qui met à mal le discours du parti lepéniste avançant une « dédiabolisation » ; le rejet de l’étranger porte toujours très fortement parmi les personnes qui se sentent proches du parti de Marine Le Pen. Celles-ci sont encore plus unanimes à dénoncer une présence trop nombreuse des Maghrébins en France (91 % des sympathisants du FN estiment qu’ils sont trop nombreux, une opinion partagée par 70 % des sympathisants de l’UMP, 51 % de ceux de l’UDI, 39 % des sympathisants du MoDem, 34 % des sympathisants du Front de gauche et du PS et 31 % des sympathisants d’EELV).
Des opinions racistes loin d’être marginales
Cette critique d’une présence immigrée ou d’origine immigrée trop importante – présence qui est par ailleurs largement surestimée par les Français – se double souvent d’opinions relevant du racisme, qui s’exprime à l’égard d’« ethnies » mais également de groupes religieux associés à l’« étranger ». Ainsi, 34 % des Français pensent que les Français musulmans ne sont pas des Français comme les autres. Comme pour les opinions relatives à la présence des immigrés sur le territoire, le durcissement des positions sur cette question est net depuis quelques années : fin 2009, 79 % des Français estimaient que « les Français musulmans sont des Français comme les autres », soit 14 points de plus que dans la dernière enquête (fin 2013). Le résultat obtenu dans celle-ci rejoint celui enregistré en 2005.
Plus illustratif peut-être, cette même enquête nous révèle que 37 % des Français jugent qu’il est peu ou « pas grave du tout » d’être contre le mariage d’un de ses enfants avec une personne d’origine maghrébine, 20 % de refuser de louer un logement à une personne d’origine maghrébine qui remplit toutes les conditions financières et 19% de refuser l’embauche d’une personne d’origine maghrébine qualifiée pour le poste. Si ces opinions à l’égard des musulmans ou des Maghrébins ne sont pas majoritaires, elles sont cependant largement répandues.
Un durcissement qui vient rompre une tendance de long terme d’augmentation de la tolérance
Le mouvement enregistré depuis quelques années ne doit cependant pas cacher une tendance de plus long terme allant vers plus de tolérance, qui s’explique notamment par le renouvellement générationnel : selon des données de l’Ifop, en 1966, 62% des Français déclaraient qu’il y a avait trop de Maghrébins en France (soit 11 points de plus qu’aujourd’hui) et 51 % trop d’étrangers « en général » (11 points de plus également).4
A moyen terme, le durcissement du regard porté sur les immigrés et les populations d’origine immigrée vient néanmoins en partie effacer cette progression des opinions tolérantes. Ainsi, 61 % des Français estiment qu’« aujourd’hui, on ne se sent plus chez soi comme avant », une proportion inédite pour cette question posée dans le baromètre de la CNCDH depuis 1990. Par ailleurs, les Français considèrent de moins en moins que « la présence d’immigrés est une source d’enrichissement culturel ». Si elle reste toujours nettement plus présente que durant la première moitié des années 1990, depuis la crise économique, cette idée régresse.
Aujourd’hui, 35 % des Français se disent racistes, soit une augmentation de 6 points en un an (baromètre CNCDH / SIG / BVA). Cette proportion n’avait plus été aussi élevée depuis 2001, mais reste toujours moindre que dans les années 1990. L’interprétation de cette question demeure néanmoins complexe, car se déclarer raciste est plus ou moins dicible selon les périodes.
Quelles répercussions politiques ?
Depuis 2009, les opinions à l’égard des immigrés et de leurs descendants se sont nettement durcies. Ceci a des conséquences directes sur l’acceptation de certaines mesures liées à l’immigration et bénéficiant aux minorités ethniques. On constate notamment que le droit de vote des étrangers n’est désormais soutenu que par seulement 36 % des Français, alors qu’une majorité y était favorable en 2008-2009 (59 %-58% selon les données du baromètre de la CNCDH).
Les immigrants et leurs descendants apparaissent touchés par le même mouvement qui produit également un durcissement des attitudes à l’égard des plus fragiles dans notre société, quelle que soit leur origine. Cette dénonciation de plus en plus répandue de ceux qui rencontrent des difficultés engendre des opinions de plus en plus favorables à une réduction de l’État-providence, dont les immigrés constituent souvent l’une des figures favorites d’incarnation du « profiteur ». Cette idée de l’immigré profiteur s’est même renforcée depuis le début de la crise économique. Selon le baromètre de la CNCDH, 56 % des Français estiment qu’on a plus de facilités pour accéder aux prestations sociales quand on est d’origine étrangère ou immigré (+9 points par rapport à janvier 2011), 45 % qu’il est alors plus facile d’accéder aux soins médicaux (+8 points par rapport à janvier 2011) et 36 % à un logement (+8 points). En revanche, l’idée qu’on puisse plus facilement accéder à un emploi lorsqu’on est immigré ou d’origine étrangère reste peu présente (9 %) et c’est même l’idée inverse qui est nettement majoritaire (63 % des Français estiment qu’on a alors plus de difficultés). Les discriminations vécues par les immigrés et leurs descendants sur ce plan s’avèrent donc très largement reconnues.
- Les résultats sont disponibles en annexe de ce document [Revenir]
- Les écarts entre les chiffres des deux enquêtes s’expliquent par la marge d’erreur ainsi que par la différence de méthodologie : le baromètre de la CNCDH est réalisé en face-à-face et le baromètre du CEVIPOF par internet. [Revenir]
- pour nuancer ces résultats qui montrent des sympathisants d’EELV moins tolérants que ceux du Front de gauche ou du PS, notons que ce sont les sympathisants écologistes qui jugent le moins que la présence de « Noirs d’Afrique » et de « Maghrébins » est trop nombreuse en France [Revenir]
- Relevons néanmoins que la présence des « Noirs d’Afrique » est de moins en moins acceptée : 36 % des répondants les jugent aujourd’hui « trop nombreux », soit 8 points de plus qu’en 1966. [Revenir]