d'après LA PORTE de Maupassant
Lors d’un bal mondain,
J’ai connu un mari d’une espèce rare.
Il s’était défendu de l’accident commun
D’une façon spirituelle et bizarre.
Sa femme était une agitée,
Grande, mince, fort entourée.
Elle me plut par son esprit
Et je crois que je lui plus aussi.
Je lui fis
Une cour insistante
À laquelle elle répondit
Par des provocations évidentes.
J’hésitai cependant,
Comparant
Les agréments
Que je pouvais espérer
Et les inconvénients
Que je devais redouter.
En effet,
Je venais de constater,
Que le mari nous surveillait.
À ma cavalière, j’ai alors murmuré :
-« Votre mari
Nous espionne. » -« Mon mari ? »
-« Oui. » -« Allons donc ! Vous êtes sûr ? »
-« Tout à fait sûr. »
-« Pourtant, il se montre ordinairement
Aimable avec mes amis. »
-« Peut-être, mais il a remarqué…
Que j’avais pour vous un certain penchant. »
-« Allons donc ! Et puis
Vous n’êtes pas le premier !
Toute femme un peu en vue a des soupirants. »
-« Oui, mais moi, je vous aime sincèrement.
-« En admettant que ce soit vrai,
Est-ce qu’un mari le devine jamais ? »
-« Alors, il n’est pas jaloux ? »
-« Je ne me suis jamais aperçue qu’il fût jaloux. »
-« Il ne vous a jamais…jamais surveillée ? »
-« Non, comme je vous le disais,
Il est très aimable avec mes amis. »
Cette femme ne me plaisait guère en fait
C’était …un décor,…pas un logis.
Mais aiguiser la jalousie du mari me tentait.
Le mari s’approcha de moi peu après :
-« Nous partons demain aux Fontaines,
Notre propriété dans les Ardennes.
Accepteriez-vous de venir y passer
Quelques jours. Nous chasserons le sanglier. »
J’acceptai mais restai stupéfait.
Une idée me passait dans l’esprit :
‘’Voyons, qu’est-ce que cela signifie ?
Voilà un mari qui a tant d’égards pour moi
Qu’il m’invite chez lui,
En ayant l’air de de me dire :
‘’Allez, cher ami, allez, la voie est libre.’’
Alors qu’il a remarqué que sa femme et moi
Étions en galanterie.
À mon arrivée aux Fontaines, le dîner
Fut cordial et très gai.
Le lendemain matin, le mari me fit monter
Dans sa chambre pour me montrer
Sa collection de gravures d’eau-forte.
Derrière une large porte,
J’entendais marcher, remuer.
Et soudain le mari
Me dit :
-« Oh ! J’ai une merveille à côté.
Je vais vous la chercher. »
Il ouvrit cette porte à deux battants
Et derrière, dans le boudoir attenant,
Un grand être nu, maigre, dépeigné,
Une jupe froissée à ses pieds
Se retourna, dissimulant, l’air effaré,
Une fausse gorge de coton.
Le mari articula d’un drôle de ton :
-« Voilà une bévue que vraiment
Ma femme ne me pardonnera jamais ! »
Il referma les deux battants.
Et moi, par le premier train, je rentrai.