Lorsque l’on voit comment le système médiatique organise selon son bon vouloir la promotion de telle ou telle œuvre cinématographique qui, eu égard à leurs qualités intrinsèques, ne mériterait pas plus de promotion que le nouveau sandwich du MacDo ou les dernières frasques de la shampouineuse Nabilla, il y a de quoi être blasé, voire irrité du bulbe par rapport au peu d’écho accordé au cinéma de Fabrice du Welz.
Certes le trublion belge qui s’est fait connaître avec Calvaire (2004) n’est pas un réalisateur qui y va avec le dos de la cuillère et son œuvre est loin d’avoir vocation à fédérer un large public allant de 7 à 77 ans, mais tout cinéphile qui se respecte est obligé de reconnaître que ses films ne laissent jamais indifférent.
Une sorte de cousin germain de Gaspard Noé où chaque film se révèle être une expérience intense, unique, où tout un flot d’émotions nous traverse que ce soit la fascination (Calvaire) ou la répulsion (Vinyan), du Welz repousse à chaque fois les limites afin de soutirer le spectateur hors de son petit confort habituel et la sortie d’Alleluia, deuxième volet de sa « Trilogie des Ardennes » après Calvaire, allait à coup sur être un moyen pour le visiteur de salles obscures que nous sommes d’être à nouveau poussé dans ses retranchements.
® Panique s.p.r.l - Radar Films - Savage Film
Et le ton est donné dès le premier plan, une image craspouille avec des grains gros comme le poing (du Welz tenait à tourner en pellicule) comme on en a rarement vu à l’heure où l’on jure par le tout numérique, mais qui permet d’introduire au mieux cette relecture de la cavalcade des « Lonely Hearts Killers », fait divers macabre qui ébranla l’Amérique au milieu des années 40.
Ce couple sordide, Martha Beck et Raymond Fernandez, avait pris pour habitude d’écumer les routes à la recherche de femmes esseulées, d’abord pour les soutirer de leurs deniers, mais comme les deux amants ne se contentaient pas de peu, les pauvres victimes finissaient pas trépasser sous la folie de leurs agresseurs.
Transposé dans le pays du « Mannequin qui pisse », le film de du Welz ne se veut pas une radiographie précise des faits mais axe son point de vue sur cette histoire d’amour hors norme et traite avec brio ce mélange de fascination/répulsion qui habite ce couple marginal rebaptisé pour l’occasion Gloria et Michel et interprété par des acteurs tout bonnement exceptionnels.
Lola Dueñas et Laurent Lucas nous hypnotisent en livrant clairement l’une de leurs meilleures performances d’acteurs. Leur alchimie est absolument parfaite quitte à nous donner quelques frissons dans le dos quand on voit avec quelle facilité les deux amants peuvent passer d’un meurtre à un autre sans que leur questionnement moral ne soit remis en cause une seule seconde.
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À travers le portrait de ces deux adultes qui ne sont en fait que des enfants, du Welz nous livre une peinture très noire et pessimiste du monde dans lequel l’amour censé triompher de tout est justement ici la cause de bien des drames.
Le personnage de Gloria est fascinant à plus d’un titre, elle qui, sur un coup de tête et pour ne pas finir seule est prête à abandonner sa fille pour suivre son amant gigolo, n’est pas sans nous rappeler le personnage de Bartel (Jackie Berroyer) dans Calvaire, amoureux transi prêt lui aussi à commettre les pires exactions.
Le rythme est haletant, la violence et la tension montent en crescendo et, si l’ensemble du long métrage peut s’avérer linéaire et sans grands éclats dans son scénario, Fabrice du Welz sait nous tenir en haleine du début jusqu’à la fin, grâce à de nombreuses séquences psychédéliques (le couple dansant autour du feu, Gloria entonnant une chanson devant un cadavre) et à un dernier acte à vous glacer le sang où le réalisateur se joue des conventions pour nous déstabiliser dans nos habitudes de cinéphile.
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Ça ne plaira pas à tout le monde certes, mais il serait dommage de ne pas se laisser tenter par ce que le cinéma d’auteur (le vrai) expérimental peut proposer de mieux. Du Welz est l’un des rares réalisateurs à nous proposer ce genre d’expérience unique et immersive où nos cinq sens sont constamment mis à l’épreuve, là où beaucoup de ses confrères ne pensent qu’à flatter l’intelligence du spectateur dans le sens du poil.
On ressort d’Alleluia comme on ressortirait d’une exposition d’art abstrait, on ne sait pas trop ce qu’on vient de voir, on est pas sûr de le conseiller à nos parents et on mettra peut être longtemps avant de retourner le voir, mais Dieu sait que les images que l'on a eu sous nos yeux pendant plus d'une heure vont nous rester longtemps en tête et n’auront pas fini de nous questionner.
Il s'agit sans nul doute du film le plus surprenant et intrigant de cette fin d'année 2014 aux côtés de Locke (2014) réalisé par Steven Knight avec Tom Hardy, deux films qui sont la preuve qu'un petit budget n'est pas antagoniste de grandes idées.
Maintenant que demander de plus à Fabrice du Welz, lui qui a parfaitement compris la puissance évocatrice du cinéma, si ce n’est de conclure sa « Trilogie des Ardennes » avec autant de force et de panache que ses deux premiers volets.
On est tous prêts pour une troisième claque.
TomR
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