En octobre 2012, dans le département du Cher une église est mise en vente. Les journaux locaux crient au scandale lorsqu’une association musulmane s’en porte acquéreuse, souhaitant la reconvertir en mosquée. Face à cette levée de bouclier, l’association recule… Au même moment chez nos compatriotes belges, une église est transformée en discothèque. Personne ne s’insurge, les jeunes branchés s’y retrouvent, pas de débat, tout va bien.
Ces deux situations nous interrogent sur la société en général mais comme le but n’est pas de faire – hélas- un pamphlet révolutionnaire, attardons nous quelque temps sur l’idée de plus en plus courante de la reconversion des édifices patrimoniaux. Le premier principe de reconversion est de tenter de conserver la mémoire du lieu et de la rendre au mieux. Je me pose la question : qu’est ce qui aurait été le plus satisfaisant pour garder l’âme d’un édifice religieux ? Un autre édifice religieux ou une boîte de nuit ? Passons…
Tout vient de la pensée d’Aloïs Riegl, chercheur autrichien (1858-1905), qui établit dans son ouvrage Le culte moderne des monuments, un système de valeurs propre aux édifices qui pourraient amener ou non à leur conservation. Entre toutes les valeurs (ancienneté, historique, commémorative) s’en tient une qui fit recette : la valeur d’usage. C’est un tournant car à partir de là le patrimoine se doit d’être utile et de remplir une fonction. Au diable donc toutes ces églises qui ne servent plus à rien sauf à endetter les communes auxquelles elles appartiennent, aux oubliettes les usines qui ont fermé et dont la présence sur le territoire nous rappelle seulement la triste désindustrialisation française. Pourtant, bien que certains considèrent qu’ « on ne peut pas tout garder », il se trouve qu’on ne peut pas non plus tout détruire.
La reconversion n’est pas une idée neuve. Le panthéon à Rome bâti au 1er siècle avant JC pour célébrer tous les Dieux romains, put être conservé car consacré comme église chrétienne au VIIe siècle. Pendant la Révolution française, la majorité des abbayes furent réutilisées et adaptées à un nouvel usage (Clairvaux en prison, le couvent des Capucins devient le lycée Condorcet…).
Quelques exemples actuels illustrent la théorie. Depuis 2013, l’ancienne briqueterie de Vitry-sur-Seine accueille le centre chorégraphique du Val-de-Marne. L’architecte, Philippe Prost, a transformé l’édifice pour qu’il puisse répondre aux nouvelles exigences tout en s’attachant à conserver la structure ancienne. Ainsi, les nouveaux utilisateurs dansent au sein d’une architecture de briques et de métal, typique de la fin du XIXe siècle. Même les machines ont été restaurées et conservées. Ici, il est vrai que la reconversion a été plutôt réussie et témoigne d’une attention particulière à l’histoire du lieu et à son implantation sur le territoire urbain.
Cependant, un des écueils de la reconversion patrimoniale est le « façadisme », pratique qui ne cherche qu’à conserver la façade du bâtiment. L’intérieur est alors totalement détruit niant complétement l’édifice ancien. Cette option a été retenue pour la transformation de l’ancien hôpital Saint-Lazare en médiathèque à Paris. La façade devient une coque dans laquelle tout est modifié. Nous pourrions nous interroger sur la pertinence de ce genre de pratique. A quoi bon garder si c’est pour détruire ?
Ce qui est certain c’est que la reconversion empêche en un sens la destruction et donc la perte totale d’un bâtiment qui peut se révéler majeur. L’exemple des Halles à Paris construites par Baltard en 1848 et détruites en 1972 est significatif. Au lieu de conserver et de réhabiliter cet édifice en tout point patrimonial, on construisit un nouveau bâtiment qui est à nouveau détruit et remplacé en ce moment. Quelle perte de temps, d’argent et de mémoire !
La reconversion peut donc se révéler utile et être un moindre mal. Lorsqu’elle est bien faite elle, offre une nouvelle vie au lieu et permet une réappropriation locale. Pourtant cette pratique montre selon moi un malaise. Malaise d’une société tiraillée entre l’ancien et le moderne qui recherche son histoire tout en souhaitant s’inscrire dans le futur. Mais surtout, la reconversion prouve que les idées d’utilité et de valeur ont gagné mettant parfois à mal le concept de bien commun, essence même de patrimoine. En effet, malgré tous les efforts des architectes, jamais plus en entrant dans une église reconvertie on ne pourra sentir l’odeur humide des pierres si attachante. Alors la reconversion oui, mais faisons attention à ce qu’elle ne se généralise pas trop et qu’elle ne devienne pas systématique car la culture ne doit pas seulement être rentable.
Un autre exemple de reconversion réussie : le Silo de Marines reconverti pour accueillir une collection d'art contemporain