Libéral n'est pas un « gros mot »

Publié le 25 mai 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Par Daniel RIOT

En marge de la querelle Ségolène Royal-Bertrand Delanoé :Une confusion de vocabulaire qui mine l'esprit européen...et fausse bien des débats sur la nature de l'Union européenne.

Une fois encore, le PS français se déchire autour d'un mot qui n'a plus le même sens en français que dans d'autres langues : LIBERAL. Il n'est pas le seul... En Allemagne aussi Die Linke qui a tenu congrès ce week-end sous la houlette hardie et habile d'Oscar Lafontaine relance des polémiques pipées sur ce dérivé du mot-lumière LIBERTE. Et les « altermondialistes » continuent à multiplier écrits et réquisitoires contre ce LIBERALISME qu'ils confondent sans trouble particulier avec l'Hyper-capitalisme, avec l'économie-casino ou avec l'économisme qui dominent de désordre mondial d'une façon très ...antilibérale !

 « Je ne pourrai jamais dire comme l'a dit Bertrand   Delanoë : « je suis libéral, il faut réhabiliter ce mot et ce concept'», a déclaré l'ex-candidate socialiste à la présidentielle sur Canal +. « Faut-il aller jusqu'à réhabiliter ce mot de libéralisme ? Non (...).Le libéralisme fournit de la violence et ce n'est pas utile et ce n'est pas possible d'aller le réhabiliter (...) Le mot 'libéralisme' est le mot de nos adversaires politiques »,

Pour elle, ce mot est « synonyme aujourd'hui de capitalisme débridé et de dégâts, d'écrasement des bas salaires » et « de creusement des inégalités » Autant dire que Ségolène Royal fait de risettes à cette gauche « alter-européenne » qui  a fait manquer le train de la Constitution pour l'Union en axant  leur campagne sur la transformation du mot « libéral » en « gros mot »...

LIBERAL est pourtant un mot des Lumières...donc de ces penseurs de la raison et de l'intelligence ...lumineuse. Jamais il n'aurait dû être ainsi transformé en insulte, en repoussoir. Détourné de sa signification et des valeurs qu'il incarne, comme ses dérivés, Libéralisation et Libéralisme. . N'est-il pas d'ailleurs synonyme de « gauche » aux Etats-Unis ? Cette trahison du vocabulaire est sans aucun doute l'une des signes les plus inquiétants   sur l'état des esprits dans nos démocraties qui subissent de plein fouet la « défaite de la pensée »

Sans doute les indispensables traductions accentuent-elles les difficultés... Les mots n'ont pas le même sens, ni la même valeur, d'une langue à l'autre, surtout quand ils se rapportent plus à des concepts, des idées, des idéaux, qu'à des réalités, des faits, des choses...Il n'est pas « honteux » de s'afficher « libéral » en Belgique, en Allemagne, en Italie. Au Parlement européen il existe un groupe « libéral ».

En France, l'étiquette politique « libérale » ne fait pas recette sans doute pour des raisons historiques. Le mot a été caricaturé ou détourné à la fois par ceux qui s'en sont réclamés en oubliant les r7gles au4il i ;pose et par ceux qui l'ont diabolisés...Colbertistes d'un coté. Les Collectivistes de l'autre. Dirigisme et étatisme d'un coté, utopies égalitaristes de l'autre.

Trois confusions relèvent particulièrement de ce que Michel Rocard appelle justement un «déficit de culture économique et politique» : libéralisme, capitalisme, libre-échangisme...

Ce qui est nommé «politiques néo-libérales» et «néo-libéralisme» désigne en fait l' «hyper-capitalisme», ce «capitalisme financier et prédateur» qui n'est ni dans les traditions chrétiennes-démocrates, ni dans les socialistes, humanistes, personnalistes qui ont fait ce que «l'Europe» a de meilleur en elle.

Nous ne le disons pas assez; Les États-Unis, par exemple, ne  sont pas une puissance «libérale», mais un empire «capitaliste». Les «néo-conservateurs» de Londres, de Chicago et d'ailleurs, ne sont pas des «libéraux» mais des... conservateurs. Le marché et la démocratie ne sont pas synonymes: la Chine l'illustre trop bien.

Une autre confusion bien entretenue en France vient du fait que l'on considère le mot libéral comme un synonyme de conservateur. Pourtant même Hayek, penseur libéral, traçait radicalement la différence entre les libéraux et les conservateurs : le libéral ne croit pas aux solutions collectivistes, totalitaires, autant de « droite » que de « gauche ». « Le libéral n'impose tout simplement pas ses valeurs aux autres ».

Dans cette perspective, l'hyper-capitalisme qui accroît les inégalité et voit la finance devenir une fin en soi et non un moyen, cet « économisme » comme dit Jean-Claude GUILLEBAUD qui fait que l'Homme lui-même est « marchandisé » est anti-libéral. La société actuelle « d'individualisme possessif de masse » n'est pas libérale.

Il est temps de ré-apprendre que le mot «libéral» se rapporte à la Liberté et aux Libertés.

Si «J'écris ton nom: LIBERTÉ», comment puis-je oser raturer, déchirer, insulter les mots «libéral» ou «libéralisme»? Si les mots sont piègés, c'est la plupart du temps parce que, par facilité, donc par paresse, par ignorance ou méconnaissance, par souci de caricaturer, par soumission aux «doxa» à la mode, on les coupe de leurs racines et on pratique ces amalgames et ces confusions qui font tant de ravages...

Le Conseil de l'Europe a été bâti sur l'idéal libéral, cet idéal de LIBERTE qui prend valeur et sens grâce au Droit, un Droit fondé sur ces droits de l'Homme que contestent tous les anti-libéraux, tous les ennemis de la Liberté et des libertés, de droite et de gauche.

L'Union européenne a été construite sur l'idéal libéral, cet idéal de LIBERTE qui prend valeur et sens grâce à la paix, à la sûreté intérieure et extérieure, à une prospérité partagée, à une organisation sociale qui concilie épanouissement individuel et solidarité collective.

Que la géo-finance internationale et cette «économie casino», favorisées par les nouvelles technologies, une «globalisation» mal maîtrisée et une mondialisation... insuffisante, porte atteinte à ces mariages de la Liberté et de la Solidarité, du Droit et de la Justice, des intérêts particuliers et de l'intérêt général, c'est une évidence.

Que les «maîtres du monde» (qui ne siègent ni à Bruxelles ni à Strasbourg) aient tendance à oublier que l'Homme doit rester ou être mis au centre de toute activité, c'est une réalité flagrante.

Que les combats doivent être intensifiés, à tous les niveaux, pour instaurer plus de justice dans tous les secteurs, et pour placer l'Homme au cœur de toute action humaine, c'est un constat incontestable.

Mais la diabolisation du mot « libéral » et la mode de « l'anti-libéralisme » trahissent en fait des peurs et des refus. Trois   sont souvent tues :

1)  Une peur de la LIBERTE qui rime avec RESPONSABILITE. C'est tellement plus facile de pratiquer une culture d'opposition, de revendication, de contestation, qu'une culture de l'action, de l'amélioration, d'un progrès qui ne devienne pas synonyme de régression.

2) Une peur de l'économie de marché, une méfiance devant cette économie de la liberté  qui dans un partie de l'opinion (de récentes sondages le confirment) est plus subie qu'applaudie, qu'on accepte avec résignation plus qu'avec conviction. Parce que nos démocraties européennes ne se donnent pas les moyens de la transformer en « économie sociale de marché ». Où tous les acteurs, conformément aux idées des Lumières, y trouvent intérêt et...justice. Grâce à des règles du jeu bien définies (mais trop oubliées) Le libéralisme n'est pas le laxisme.

3) Pire peut-être la caricature du mot « libéral », en France plus qu'ailleurs, traduit un refus de la démocratie pluraliste. Le philosophe Pierre Legendre a raison de souligner que nous n'avons pas assez approfondi la question de « ceux qui démocratiquement renoncent à la démocratie ». Comme il a raison de dire qu'Hitler a été vaincu par les armes et non par les arguments ». Comme ont raison ceux qui, tel Alain Besançon, soulignent que les mirages des fausses « démocraties » dites faussement « populaires » restent dans bien des têtes qui se rassurent à peu de frais en estimant que le communisme d'Etat né du stalino-impérialisme soviétique n'est qu'un détournement d'idéal.

Les détournements de vocabulaire, surtout quand il s'agit du mot  « Liberté», sont en fait le miroir d'un détournement du regard: ce sont les réalités qui sont souvent difficiles à regarder. Bien des crises naissent des conflits entre l'imaginaire, qui nourrit la pensée idéologique, et le réel. Ce réel, on peut le changer en bien, grâce à des idéaux et à des idées qui partent des réalités et ne les nient point. C'est sans doute à gauche, aujourd'hui, qu'il importe de réhabiliter le plus le mot LIBÉRAL

 John Kenneth Galbraith écrivait : «   La philosophie libérale est profondément humaniste et optimiste, elle croit au potentiel de l'individu et aux bienfaits de la conjonction des actions humaines (...). Le libéralisme est l'antithèse de l'impérialisme, c'est l'humilité de se dire qu'on n'est pas parfait et que l'on n'a pas à imposer ses valeurs, même celles qui ont trait à la démocratie, aux autres. (...) La philosophie libérale est aussi essentiellement créatrice, axée vers l'avenir »[1]

Autant dire qu'elle n'est ni de droite ni de gauche. Si tant est que ces distinctions aient encore un sens aujourd'hui alors que les vraies frontières séparent ceux qui ont confiance en l'Homme et ceux qui basent leur comportement sur la méfiance, ceux qui ont un esprit d'ouverture et ceux qui un esprit de fermeture, ceux qui pensent que l'Homme est   authentiquement une Personne, avec tout ce que cela implique, et les autres, ceux qui transforment l'individu en numéro, en machine, en objet. Mais nous entrons là dans un autre débat....

Daniel RIOT

 


[1] Nouvel Etat industriel, Gallimard, Paris, 1968, et des Mensonges de l'économie, Grasset, Paris, 2004

REPERES

LIBERALISME ET LBERALISME

Les difficultés sont aggravées aussi par la confusion des genres : On confond trop volontiers libéralisme politique, libéralisme moral et libéralisme économique. Les trois ont des racines communes mais ils ne sont pas synonymes. Qui plus, en France surtout, on leur donne souvent des significations qu'ils n'ont pas.

Le libéralisme moral se fonde sur les vertus de la tolérance : ce qui ne veut pas dire qu'il se traduise par un laxisme sans borne. La tolérance suppose les limites du tolérable. Le « fais ce que veut » de L'abbaye de Thélème du bon Rabelais   s'arrête au respect de la liberté des autres. L'Homme est un animal social. En cela le libéralisme n'est pas l'individualisme. « L'humain est un être qui n'est pas a priori indépendant : il est un être social, intégré dans cette société et c'est ce caractère "social" qui est le moteur naturel de l'interaction humaine et de la coopération volontaire. », comme l'écrit Hayek dans « Vrai et faux individualisme ». Le libéralisme est un humanisme voire un personnalisme.

Le libéralisme politique n'est pas non plus la loi de la jungle et du plus fort. Avec dépérissement de l'Etat.... John RAWL, par exemple, n'est pas assez lu. Il n'y a pas de libéralisme politique sans droit et sans état de droit. Car c'est le droit qui donne   du sens aux valeurs qui fondent le « vivre ensemble ». Or qui dit droit dit structures et procédures d'arbitrage et moyens de les imposer.

Le libéralisme économique est plus difficile à définir puisqu'il a inspirés des doctrines différentes. Entre sa version classique qui s'est constitué en théorie aux XVIIe et XVIIIe siècles, sous l'influence des philosophes des Lumières, principalement britanniques (John Locke, David Hume, Adam Smith) et français (Turgot, Condillac, Montesquieu) et sa version dite de l'école de Chicago de Milton Friedman, en passant par l'utilitarisme de Bentham ou les adeptes du « darwinisme social » qui déformaient déjà, à leur manière, le mot Libéral...

Par paresse, on résume le libéralisme économique dans la croyance de l'écossais Adam Smith qui en 1776 dans sa «  Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations » voulait  que tout se passait comme si une « main invisible » organisait les échanges et harmonisait les intérêts individuels et collectifs ou aux idées  de. David Ricardo, qui dans   « Des principes de l'économie politique et de l'impôt » (1817), avancera sa célèbre théorie du libre-échange mutuellement avantageux (théorie des avantages comparatifs) pour tous les pays participant au commerce international.

Mais on oublie une chose essentielle : les règles d'or du libre marché définis par les pères du libéralisme ne se réduisent pas à   la suppression des entraves en tous genres. Le « Laisser faire laisser passer » n'est pas laisser faire et passer n'importe quoi n'importe comment Ces règles d'or sont de vraies règles du jeu : transparence du marché, bonne information des acteurs, égalité des chances, obligation du meilleur rapport qualité-prix, absence de situation dominante donc monopolistique

DES REGLES DU JEU A FAIRE RESPECTER

Plus précisément,  ces règles du jeu prennent soin de garantir :

L'atomicité des agents : aucun d'entre eux n'est assez important pour influencer le marché par son seul comportement. Ceci suppose non seulement un nombre élevé d'offreurs ou de demandeurs, mais surtout l'absence parmi eux d'un « gros » agent capable d'agir sur le marché. Le nombre d'acheteurs et de vendeurs est très grand donc l'offre ou la demande de chaque agent est négligeable par rapport à l'offre totale ; aucun agent ne peut fixer les prix. Cette hypothèse exclut notamment la possibilité de rendements croissants à la production, dans la mesure où ils conduisent à la formation de monopoles naturels, pourtant possibles en pratique.

La rationalité des agents : chacun d'entre eux est caractérisé par une « fonction de satisfaction » qui exprime sa satisfaction en fonction des quantités de chaque bien qu'il possède, et son comportement se résume à chercher à maximiser cette fonction. Ce n'est pas seulement  par souci moral, mais par sens de l'efficacité que  l'enrichissement des uns ne doit se faire au détriment des autres. Le juste et l'utile doivent se rejoindre..

L'homogénéité du produit : seul le prix permet de distinguer les produits qui ont tous des caractéristiques identiques. Des produits de qualité différentes appartiennent donc à des marchées différents. Comme des produits qui sont fabriqués dans des conditions différentes.  

La transparence du marché : tous les prix sont connus de tous, ainsi que toutes les quantités disponibles : l'information   de tous les agents sur tous les autres et sur le bien échangé suppose une information gratuite et immédiate et « parfaite ». La théorie montre que le processus de fixation des prix est alors équivalent à la présence d'un « commissaire-priseur », qui centralise les offres et les demandes, et qui calcule le prix d'équilibre, et par conséquent la production et la consommation de chacun. On suppose l'absence d'échange de gré à gré. Et d'autres interventions extérieures « arbitraires »....ce qui n'exclut pas des arbitrages et des dispositifs de « régulation » Il ne devrait  exister  qu'un seul prix pour un seul bien quel que soit le lieu d'achat.

La libre entrée sur le marché : seul le prix décide les agents à entrer sur le marché et aucune autre barrière juridique (brevet), technique (savoir-faire) ou économique (capitaux) ne s'y oppose. ne doit y avoir aucune entrave tarifaire (protectionnisme), administrative (numerus clausus), technique à l'entrée d'un offreur ou d'un demandeur supplémentaire.

La mobilité des facteurs : en fonction du prix qui rémunère chaque facteur, les agents peuvent réorienter leurs capitaux ou leur travail vers les secteurs ou les activités les plus rémunérateurs. La libre circulation des facteurs de production (le capital et le travail)  implique que : la main d'œuvre et les capitaux se dirigent spontanément vers les marchés où la demande est supérieure à l'offre .Et qu'il  n'y a ni délai ni de coût dans leur reconversion.

Cela découle d'un   modèle de concurrence pure et parfaite qui permet de démontrer qu'il existe au moins un ensemble de prix qui permet d'atteindre l'Optimum de Pareto c'est-à-dire un état dans lequel on ne peut pas améliorer le bien-être d'un individu sans détériorer celui d'un autre.

Cela entraine aussi très concrètement que l'équilibre général tient au respect de conditions qui n'ont rien à voir avec la mythique « main invisible » de Smith qui est sensée « tout réguler comme par miracle. L'existence souhaitée de cet « équilibre général » ( ou pour parler comme au XVIII° siècle « d'un meilleur des mondes économiques possible ») a été décrite (entre autres)   dans les années cinquante par Kenneth Arrow ,et Gérard Debreu qui ont posé des conditions et envisagé des hypothèses qui implique des interventions extérieures, donc judiciaires, fiscales, économiques et  politiques à tous les niveaux

Cela  n'entraîne évidemment pas la suppression de l'Etat, de pouvoirs d'arbitrages, de forces de stimulation. La dénonciation de l'étatisme n'est pas la négation de l'Etat. Dans notre pays centralisé, caractérisé par un « césaro-républicanisme », comme dit Legendre, les vieux débats sur « moins d'Etat ou plus d'Etat » devraient depuis longtemps être dépassés par une question : comment faire un « mieux Etat », comme disait Edgar Pisani

Notes annexes

notions associées : Libertarien, Anarcho-capitalisme, Minarchisme, libéralisme, libéralisme politique, libéralisme théologique, commerce, libre-échange, capitalisme, monnaie privée.

notions connexes : association, entreprise, syndicalisme, impôt, État, gouvernement, service public, individualisme, anarchisme

notions opposées : socialisme, étatisme, protectionnisme, collectivisme, marxisme, corporatisme, féodalisme, Antilibéralisme, Anticapitalisme, Altermondialisme

 

Étymologie et définition succincte

Capitalisme et capitaliste, dérivé de capital, a d'abord signifié l'état de la personne qui possède des richesses. Le sens moderne est donné par Richard de Radonvilliers en 1842. Il est repris par Pierre Leroux (1848), William Thackeray (1854, première apparition en anglais), Pierre Joseph Proudhon (1867), Louis Auguste Blanqui (1869), parmi d'autres. Karl Marx et Friedrich Engels parlent de forme capitaliste de production («kapitalistische Produktionsform»), puis dans Le Capital de capitaliste.

Au début du XXe siècle, le terme est de plus en plus utilisé, comme avec Max Weber dans L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme en 1904.

L'analyse de l'émergence du capitalisme selon Max Weber est maintenant la référence : le capitaliste (pour des raisons que Weber analyse comme religieuses) renonce à consommer ses biens tout en voyant dans leur quantité un indicateur de conduite de sa vie.

Il s'organise donc de façon rationnelle et méthodique dans le seul but de produire, et il accumule et investit ses biens pour en produire de plus en plus, non pas dans un but de consommation future ou de sécurité, mais dans une logique de pure croissance. C'est là, et seulement là, qu'il apparait une rupture majeure par rapport aux systèmes antérieurs, qui fonctionnaient (à l'exception des plus primitifs) également au moins en partie sur la recherche de profit et l'accumulation de capital.

C'est en 1906 que Werner Sombart parle de capitalisme moderne, celui dont il est question ici.

Le capitalisme est à l'origine un concept, sociologique, d'analyse du fonctionnement économique de certaines sociétés. Ce n'est que beaucoup plus tard, sous l'influence et en réaction à des critiques (spécialement la critique marxiste et ses dérivées) qu'il est apparu des théoriciens politiques partisans du capitalisme.

On oppose alors le capitalisme

*à l'économie primitive, où les échanges sont marginaux et chaque groupe exploite la nature pour son propre compte.

*à l'économie de potlatch, où les échanges, même importants, ne visent pas à une accumulation de capital (ni parfois même à la consommation : il arrive que les biens soient détruit purement et simplement à l'issu de l'échange), mais à une démonstration symbolique de puissance statutaire.

*à « l'ancien régime » (et au féodalisme), où c'est le statut personnel des individus qui détermine leurs droits, y compris économiques, de sorte que la propriété est une notion inadaptée (par exemple le seigneur n'est pas propriétaire de son fief, il est détenteur de droits complexes plus ou moins cessibles et exploitables selon un droit très variable d'un lieu à un autre).

*au communisme, qui désigne d'une manière générale une théorie d'organisation politique, sociale et économique sans classe sociale censée bénéficier de la mise en commun des moyens de production et des biens de consommation pour répondre aux besoins de chacun (cependant, peu d'expériences de société communiste ont été réalisées).

*au socialisme d'État, où la propriété privée est réduite au minimum, et où tout le capital productif est géré collectivement. Toutefois, dans ce contexte économique, on trouve aussi le terme de capitalisme d'État, que certains socialistes utilisent pour désigner l'économie où l'État est seul et unique propriétaire de capital, ce qui n'en fait, de leur point de vue, qu'un capitalisme totalitaire (nota: l'expression est née avant la diffusion des idées de Weber, ce qui a un impact direct sur le sens à donner au mot "capitalisme" : il faut entendre le sens de 1750-1850, et non le sens moderne)

Il faut insister sur le fait que l'accumulation de capital se produit toujours dans toutes les sociétés, et que donc elle n'est pas déterminante dans ces oppositions.

On notera par ailleurs que les formes politiques sont rarement "pures" en pratique, de sorte que le capitalisme coexiste très largement avec les autres systèmes. Certains théoriciens préconisent même explicitement des formes mixtes, avec des dosages variés selon le domaine et le but.

Le capitalisme est dépendant du système politique et législatif en place : une des bases nécessaires est l'existence d'une protection juridique de la propriété privée et de moyens pour faire respecter cette propriété (Justice, Police, Armée). Il est communément admis qu'un État est nécessaire pour remplir ce rôle. On notera à cet égard qu'en réalité, le capitalisme fonctionne très largement (et même essentiellement, pour le grand commerce international) sur la base d'un arbitrage privé, où l'État n'intervient qu'à titre d'acteur potentiel en dernier ressort (sachant qu'il ne faut pas négliger l'effet économique d'une simple possibilité d'intervention). On notera aussi que les anarcho-capitalistes considèrent que l'État est illégitime et dangereux, et qu'on peut parfaitement s'en passer en s'appuyant sur le droit naturel, sa propre capacité de défense, et des organismes privés.

FORMES DE CAPITALISME

De nombreux auteurs distinguent plusieurs formes de capitalisme, selon la nature des moyens de production qui prédominent ou qui leur semblent prédominer dans une société. Ils repèrent ainsi, selon les circonstances historiques :

*un capitalisme à base foncière, exploitant les rentes constituées par les différences de rendement agricole ;

*un capitalisme minier, interférant avec la politique internationale quand le contrôle des ressources relève du pouvoir politique ;

*un capitalisme industriel, exploitant un stock de machines onéreuses concentrées dans des manufactures ou usines ; la place accordée aux travailleurs est alors variable, elle peut se réduire à un rôle d'objet sans plus d'importance qu'un cheval ou qu'un tas de charbon, ou obtenir plus de respect et de considération comme dans le fordisme;

*un capitalisme financier portant sur des biens abstraits (actifs financiers) non directement liés aux équipements de production. Cette forme moderne (et souvent mal comprise) du capital, le capital financier, est l'objet d'anathèmes nombreux, y compris de la part de capitalistes.

La mutation des conditions de production fait appel de plus en plus au capital-savoir

On parle aussi de deux formes archétypiques de capitalisme:

*le "capitalisme rhénan", caractérisé par un poids majeur des banques (détentrices de près de la moitié des actions des sociétés cotées, et très influentes sur les autres entreprises), et une influence importante de syndicats puissants

*le "capitalisme anglo-saxon", désignant une forme où ce sont les actionnaires individuels, souvent regroupés dans des fonds d'investissement, dont les fonds de pension pour les futurs retraités, qui ont l'influence déterminante.

Il faut aussi, de plus en plus sans doute parler de « capitalisme à la russe » ou « à la chinoise » où l'hypercapitalisme se marie avec un anti-libéralisme politique