Cela fait quelques jours qu’on entend, pas trop fort mais de façon répétée, le petit Macron émettre quelques doutes sur l’impact positif des 35 heures sur le modèle économique français. Comme d’habitude, ce n’était pas fortuit, et cela répondait à un besoin : celui de préparer, par voie de presse, l’opinion publique à une remise en question de ce dogme socialiste…
Et, on peut le dire, c’est quasiment une révolution qui se joue doucement, en coulisse d’une actualité débridée, puisqu’enfin, certains de nos dirigeants gouvernementaux se disent qu’il faut peut-être remettre à plat l’idée enfantine selon laquelle le travail est un gros gâteau mou de taille fixe dont il faut couper des parts toujours plus petites pour que tout le monde en ait. Rappelons que cette fantaisie, apparue lors d’une discussion à bâtons rompus entre dirigeants du PS à la fin des années 90, histoire d’avoir quelque chose à proposer aux législatives de 1997, n’était soutenue par aucune théorie économique solide (que du contraire, même) et consistait surtout à fournir du grain à moudre aux socialistes dont l’absence de programme crédible commençait tragiquement à se voir. Depuis, la France se trimbale cette usine à gaz légale incompréhensible qui aura permis d’envoyer un message fort à tout le reste de la planète (« ici, on travaille peu »), avec des résultats en terme de création d’emplois particulièrement mitigés pour le dire pudiquement.
Utilisant le prétexte d’un rapport franco-allemand dont des petits bouts croustillants ont déjà commencé à fuiter commodément dans la presse, le gouvernement français a donc décidé d’annoncer jeudi prochain des mesures pour la croissance, en tentant d’assouplir ces fameuses 35 heures et, dans la foulée, en proposant un gel des salaires. Bien évidemment, Macron et Sapin ont tenu à préciser que le rapport n’est pas « finalisé », ce n’était que le travail de deux économistes, ouh là là ne vous emportez pas, ce n’est pas officiel, tralali tralala, on se calme, histoire de se laisser une marge de manœuvre avant de déclencher la furie d’à peu près tout le monde en France.
On voit mal, en effet, comment ces deux principales propositions pourront passer comme une lettre à la poste. Outre les inévitables frictions qu’elles déclencheront au parlement avec des frondeurs qui trouveront là une occasion supplémentaire de se distancer d’un gouvernement de plus en plus urticant, on peut s’attendre à des moments homériques lorsqu’il s’agira de mettre tout ça en pratique. En fait, si l’on s’en tient à l’historique navrant des actions effectives de Macron et de Sapin, tout laisse penser que l’idée de départ d’une remise à plat du temps de travail risque de se retrouver diluée dans les petites compromissions, les arrangements et autres tergiversations habituelles qui forment la marque de fabrique législative de ce quinquennat.
Concernant les 35 heures, reste à savoir si cette dilution sera dans des proportions homéopathiques (du Macron dilué à 30CH, il ne doit pas rester grand-chose en solution) ou si on pourra encore espérer détecter des traces réelles de réforme, qu’un libéral cohérent ne peut qu’appeler de ses vœux. Rappelons que, dans un pays normalement géré (et non gêné) par l’État, le temps de travail devrait être décidé entre les différentes parties prenantes d’un contrat de travail (l’employeur, l’employé, et éventuellement, les organisations professionnelles entre elles, dans la mesure où elles sont acceptées par les deux précédentes parties). Et pour le gel des salaires, on se demande là encore comment l’État va pouvoir l’imposer autrement que sur celui de sa fonction publique, avec tous les risques afférents de gel des services…
Quant à l’impact de telles propositions, il dépendra à l’évidence de la vigueur de ce qui sera réellement appliqué mais il sera, au mieux, assez faible. Comme le font justement remarquer les Allemands sans langue de bois dans un article de Quatremer paru récemment, pour le moment, les gesticulations françaises sur le thème des réformes ne sont que poudre aux yeux, et on ne s’est toujours pas attaqué aux dépenses de l’État.
« J’espère que la France va se bouger le cul, sinon elle risque d’entraîner la zone euro par le fond »
« Les Français ont l’impression qu’ils vivent en permanence des réformes structurelles, mais c’est faux, il n’y en a quasiment pas, comme le montre l’absence de baisse des dépenses publiques. »
Le constat par les Allemands de piétinement des dirigeants français, et les petites tentatives timides de Macron de sonder l’opinion publique sur ces propositions montrent en tout cas que les uns et les autres ont maintenant pris conscience de l’ampleur et de l’urgence des actions concrètes à mener. D’ailleurs, ils sont rejoints, tout aussi discrètement, par une certaine base parlementaire. On apprend ainsi qu’un certain Alain Tourret, pourtant bien à gauche (PRG), a lui aussi émis quelques propositions pour le moins détonantes.
Rapporteur sur le budget de la Fonction publique depuis 2012, le député radical de gauche du Calvados a présenté le vendredi 7 novembre son rapport dont le but est d’examiner la politique des effectifs, les rémunérations et l’organisation du travail des 5,37 millions agents publics au regard de l’évolution de leurs conditions de travail depuis 2002 et des contraintes budgétaires actuelles. Et en terme de propositions donc, force est de constater que le petit gars n’y va pas avec le dos de la cuillère : au milieu d’une quinzaine de propositions facile à gober puisqu’essentiellement paperassières, on trouve ainsi une réduction voire un gel des effectifs des collectivités territoriales, la possibilité d’une rupture conventionnelle des contrats de travail dans la fonction publique, et la réintroduction de la journée de carence des fonctionnaires.
Là encore, on ne peut qu’être surpris de cette franchise et de la dose de courage qu’il faut pour proposer ce genre de choses alors que le pays, tout entier, est en train de s’arc-bouter dans un tétanos terminal sur un passé depuis longtemps révolu, et alors que ses dirigeants ont absolument tout fait, sur les cinq dernières années notamment, pour temporiser la moindre action décisive au point d’élever la procrastination politique au rang d’art. On peut d’ailleurs soupçonner, comme pour Macron, Sapin et leurs petits camarades allemands inquiets, que l’urgence générale (qui doit par moments friser la panique en hauts-lieux) commence à percoler doucement chez les uns et les autres, d’autant que s’accumulent des rapports alarmants (en dernier, un du sénat sur les finances publiques désastreuses).
Mais là encore, on peut s’attendre à un décalage notoire entre les intéressantes propositions, les bonnes résolutions et la mise en pratique.
C’est assez triste à dire, mais de la mesure de ce décalage dépendra l’avenir du pays. S’il est faible, c’est que, malgré les frictions, les grognements et les oppositions du pays, le gouvernement et quelques députés un peu moins déconnectés de la réalité que les autres, finissent par entamer les démarches qu’il faut. Seront-elles suffisantes ? Probablement pas, mais ne pas les faire, c’est la faillite assurée. Et si ce décalage est fort, si la pratique revient à des bricolages millimétriques comme toutes les magnifiques réformes tentées jusqu’à présent, on aura une preuve supplémentaire de l’absence totale de courage et de conviction des dirigeants et de l’appareil politique.
Macron va tenter des trucs, promis. Je lui souhaite bon courage. Mais je ne miserai pas ma chemise dessus.
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