d'après L’ORDONNANCE de Maupassant
Le cimetière était rempli d’officiers.
On venait d’enterrer
La femme du colonel Dubreuil.
Elle s’était noyée deux jours avant
Dans le lac Léman..
Le colonel, un homme déjà âgé,
Restait près du cercueil.
Il avait épousé
La fille d’un camarade décédé,
Le colonel Michel Bourdet.
S’approchant de Dubreuil, le général Carel
Saisit le bras du colonel
Et l’entraina :
-« Allons, il ne faut pas demeurer là.
C’est fini. Le clergé est parti. »
Le colonel obéit et rentra chez lui.
Alors qu’il ouvrait son portail,
Sa servante se précipitait :
-« On vient de vous apporter un pli.
Je l’ai posé dans votre cabinet,
Sur votre table de travail. »
Le colonel l’ouvrit :
Père,
Permettez-moi
De vous appeler encore père,
Comme autrefois.
Un jour, comme vous m’embrassiez,
Je vous ai appelé malgré moi ‘’Père’’.
Vous étiez pour moi un vrai père.
Vous avez ri
Et vous m’avez dit :
’’ Appelle-moi toujours ainsi, Elvire.
Cela me fait plaisir.’’
Cette lettre, quand vous la recevrez,
Je serai enterrée.
Je vais vous dire avec sincérité
Pourquoi je me suis tuée.
Alors peut-être pourrez-vous me pardonner.
Vous m’avez épousée par générosité
Et je vous ai aimé.
Puis un jour, je vous ai trompé.
J’étais devenue une femme perdue.
(Vous ne devinerez pas qui est ’’ lui ’’.
Je suis bien tranquille là-dessus)
Un jour, j’étais avec ’’ lui ’’
Quand nous avons été surpris
Par votre ordonnance, Henri.
Je me suis enfuie et je suis rentrée.
Une heure après,
Dans l’entrée,
Henri me proposait :
-« Je ’’ lui ’’ transmettrai
Toutes les lettres que vous me confierez. »
Alors j’ai compris que ’’ lui ’’.
Avait acheté son silence.
Je remettais donc à Henri
Ma tendre correspondance.
J’eus confiance en lui
Jusqu’au jour où il m’a avertie
Qu’il allait me dénoncer
Si je ne lui cédais pas.
Il me menaçait de vous remettre
Une partie des lettres
Qu’il avait vilainement gardées
J’ai eu peur pour Henri.
(Vous l’auriez tué, n’est-ce pas ?)
J’ai cru l’acheter en me donnant à lui.
Je ne cherche pas à m’excuser.
Ce que j’aurais dû prévoir est arrivé.
Il m’a aimée. Il m’a prise
Et reprise.
Il fut mon amant, comme ’’ lui ’’.
’’Je dois mourir’’, me suis-je dit.
Vivante, je n’aurais pu vous confesser
Pareille indignité.
Je vais aller nager. Je ne reviendrai pas.
Adieu, papa !
Faites ce que vous voudrez
Et veuillez me pardonner. ‘’
Le colonel fit aussitôt appeler
Son ordonnance :
-« Henri, as-tu conservé
Des correspondances
Écrites par ma femme à son amant ? »
Et, le menaçant
De son pistolet, lui ordonna :
-« Rends-les-moi
Et donne-moi
Son nom. » -« Mais, mon colonel,…
Je ne peux pas ! » -« Vite, je ne plaisante pas. »
-« Eh bien !...C’est le capitaine Loisel. »
À l’énoncé de ce nom,
Dubreuil se tira une balle au milieu du front.