En 1983, Bob Geldof avait tourné avait tourné The Wall dans le rôle de Floyd Pinkerton et sa carrière en temps que leader du band The Boomtown Rats n'augurait pas bien puisqu'il était banni des ondes et de la scène en Irlande pour chaos, désordre, insubordination et affront en direct à la télévision pendant un interview.
Bob Geldof est un homme extrêmement difficile dont on dit qu'il n'existe que fâché ou très très fâché. Rarement entre les deux. "Confrontatif" comme diraient les chimistes de la langue après 8 bouteilles de vin. Un punk de naissance qui n'a cessé de pousser le cri plaintif primal sous de nouvelles variations de sa naissance à nos jours.
Un an plus tard, en 1984, sa carrière ne va nulle part.
En voyant un documentaire sur l'état lamentable des Éthiopiens, il décide de garder une entrevue que son agent lui avait "booké" avec la BBC et au lieu de parler de ses projets d'album solo, profite de la tribune pour entièrement discuter d'une idée qu'il a d'enregistrer un morceau, de le mettre sur le marché et d'envoyer un large somme des profits à l'Éthiopie afin de faire sa part pour vaincre la famine qui sévit là-bas. Il lance un appel aux artistes d'Angleterre et d'Irlande (son pays d'origine), et leur demande d'offrir une partie de leur temps pour une chanson qu'il composera avec Midge Ure du band Ultravox.
Geldof approche Trevor Horn pour produire le morceau, toutefois Horn est occupé ailleurs. Il lui offre en revanche son studio gratuitement pendant 24 heures. Midge Ure produira et mixera à sa place.
À 9h du matin, les artistes commencent à affluer le jour demandé. Ure et Geldof sont déjà sur place car ils ont préparé le studio et la trame musicale. Les médias ont été avisés et on photographie, filme, interview, Duran Duran (sans Roger Taylor), Spandau Ballet, Paul Young, Culture Club (sans Boy George), George Micheal de Wham!, Kool & the Gang, Sting, Bono et Adam Clayton de U2, Glenn Gregory et Martin Ware de Heaven 17, Phil Collins, Paul Weller de Style Council, Francis Rossi et Rick Parfitt de Status Quo, Jody Watley de Shalamar, Bananarama, Marilyn (qui n'était pas invité mais qui avait besoin de la publicité et qui s'est présenté quand même), Simon Crowe, Pete Briquette et Johnny Fingers des Boomtown Rats et un seul membre d'Ultravox (Chris Cross).
Geldof remarque l'absence de Boy George qui lui avait promis sa présence la veille de et l'appelle à New York, le tire du lit et lui paie un vol en Concorde afin qu'il traverse l'Atlantique et se présente (plus tard) en studio en Angleterre pour enregistrer son petit bout tout seul.
Les divas se font toujours attendre.
Ure profite de la présence de groupe pour d'abord enregistrer le refrain final et faire prendre les photos d'usage pour la promotion. La plupart sont sur des lendemains de veille et Parfitt, de Status Quo a même une bonne quantité de cocaïne bien en vue. Quand il se la fait voler, il défonce la porte des toilettes pour la récupérer. Plusieurs de ces belles têtes ne seront pas à jeûn dans le clip.
Ure fait ensuite chanter tout le monde un par un la chanson au complet. Prenant des notes sur chaque performance et sur chaque moments d'inspiration. Tony Hadley de Spandau Ballet commence. Simon LeBon, Bono et Sting, qui avaient enregistré le corps de la chanson la veille dans le studio personnel de Ure suivent le même manège.
Phil Collins, qui avait amené son kit de drum enregistre son petit bout. On mixera sa partie avec un extrait d'un beat africain en ouverture tiré de l'album The Hurting de Tears for Fears. Rossi et Parfitt de Status Quo sont relégués au rôle de fournisseurs des produits toxiques (drogue & alcool) quand incapables de chanter le segment "here's to you!/here's to them!" qui sera finalement chanté par le trio Gregory/Weller & Sting. Geldof est une nuisance pour Midge Ure car il donne toujours les mauvaises consignes aux chanteurs. Difficile le créateur...
Quand Boy George vient chanter son bout vers 18h, il est ouvertement méprisant envers George Micheal à qui il reproche son homosexualité non avouée. Quand il entend sa voix, il la confond avec celle d'Alison Moyet (Alf vers 2:16). Quand on lui dit que c'est celle de George Micheal, il réplique qu'il sonne horriblement "camp", mais qu'après tout, c'est bien ce qu'il est.
Une face B contenant de messages de David Bowie*, Paul McCartney, des membres de Big Country et de Holly Johnson de Frankie Goes to Hollywood, qui voulaient y être mais n'ont pas pu, est aussi produite. Trevor Horn s'occupe de cette partie en parallèle là où il se trouve.
La chanson est mixée par Ure et Geldof toute la nuit et à 8h00 du matin on est prêt à livrer aux magasins le 45 tours.
Pour des raisons légales on retire le 45 tours presqu'aussitôt mais dès le lendemain, le 29 novembre 1984, il est remis sur le marché et atterrit directement au sommet des palmarès européens. Il y restera 5 longues semaines et vendra 3.7 millions de fois seulement en Angleterre! Ce record de vente pour un single ne sera battu que 13 ans plus tard, à la mort d'une princesse.
Midge Ure est le héros obscur de ce morceau historique/héroïque.
Geldof a réenregistré la chanson récemment pour aider à lutter contre l'ebola.
Je vous en parlais, là.
L'idée originale était enregistrée aujourd'hui, il y a 30 ans.
*Bowie devait chanter la partie de Paul Young et son message sur la Face B allait comme suit: "This is David Bowie, it's christmas and there are more starving people on our planet than ever before. Please give a thought for them this season, and do whatever you can-however small-to help them live. Have a peaceful new year."