Il est difficile d'imaginer une situation plus pittoresque et plus agréable que celle de la petite ville de Semlin dans le Tyrol. En parcourant les rues de cette localité, on est surpris de la propreté élégante et coquette des habitations, on se croirait dans un des ces bourgs de la Hollande, toujours verdoyants et fleuris. A Semlin, chaque maison à son parterre, une entrée avec des fleurs, des arbustes, de l'eau et du gazon ; toutes les habitations possèdent en outre, un jardin cultivé avec le plus grand soin ; c'est l'honneur du logis. On voit aussi, auprès de ces demeures, de larges et hautes volières, en forme de kiosques ou de pagodes, et toutes remplies d'oiseaux au plumage varié. Jadis, près de la ville, du côté de la forêt, on voyait une maison d'apparence simple mais aisée ; un vaste jardin s'étendait devant sa porte et, dans ce jardin, on voyait une volière dans laquelle étaient renfermés des oiseaux de toutes les espèces qui habitaient le bois voisin. Cette demeure était occupée par une famille de braves gens qui devaient à leur travail une existence heureuse.
Le père, la mère, tous deux dans la force de l'âge, deux filles en bas âge et un garçon, vivaient unis, pleins de santé, et ne désirant rien au delà des biens modestes qu'ils possédaient. Dans le pays, on les appelait les Coffinels. Leur occupation était des plus simples, avec le bois des arbres de la forêt, ols fabriquaient des jouets qui se vendaient aux foires des environs. Dans les mauvais jours, lorsque l'obscurité d'un ciel nuageux empêchait la délicate confection de ces ouvrages, la communauté laborieuses faisait des sabots ; Jehan, l'aîné des enfants, avait une autre occupation : il employait tous ces loisirs à la chasse aux oiseaux qu'il prenait vivants. C'était lui qui avait construit la volière dans laquelle ils étaient réunis. Cette populations ailée était l'objet de sa constante sollicitude ; il en avait le plus grand soin. L'air, l'espace et la lumière leur avaient été habilement ménagés ; chaque jour, Jehan préparait pour les oiseaux les graines qu'ils aimaient le plus, il arrangeait douillettement leur nid et protégeait les couvées. La volière avait son ombrage ; de petits arbres, plantés dans l'intérieur, offraient la fraîcheur et le repos. Jehan connaissait les chants et les habitudes de ses oiseaux qu'il avait étudiés ; il devinait leurs joies et leurs douleurs, il comprenait leurs besoins, leurs voeux, leurs regrets et leurs désirs. On eût dit qu'il entendait le langage de leur gazouillement ; les oiseaux répondaient à ses caresses par les transports joyeux dont ils saluaient toujours sa présence. A Semlin et dans les environs, Jehan avait reçu le surnom de "charmeur d'oiseaux".
Cette vie si paisible de la famille Coffinels fut tout à coup bouleversée par une horrible et subite catastrophe. Un soir, à minuit, un incendie se déclara dans les poutres du plafond. Tous les efforts, pour éteindre ce feu, furent inutiles. Le père, en voulant sauver les deux fillettes endormies, périt dans les flammes, et leur mère parvint à les arracher au danger qu'en s'exposant elle-même à des brûlures qui la condamnèrent à l'immobilité et à la souffrance ; elle sortit du brasier paralysée de tous ses membres.
La souffrance et la misère suivirent bientôt ces désastres : la pauvre famille eût promptement épuisé les faibles ressources qui avaient échappé aux ravages de l'incendie et les secours qu'elle devait à la pitié.
Jehan était surtout frappé par tout ce que cette situation avait d'horrible et de désespéré ; son travail et celui de ses soeurs ne pouvant pas suffire aux besoins de leur mère malade, il cherchait dans sa jeune imagination le moyen de sortir de ce cruel embarras. Il se rappelait sa chère volière qu'il avait vue dévorée par l'incendie ; il se souvenait des cris déchirants que poussaient les oiseaux atteints par le feu ; leur chant rauque, plaintif et désolé ressemblait à un appel de détresse, ils se tordaient sous les flammes qui les consumaient.
Jehan, fortement ému par ces souvenirs, conçut le projet de tirer parti de son habileté à prendre et à élever les oiseaux ; il vit dans cette industrie une source de fortune certaine. Il alla d'abord visiter la forêt qui lui était si familière et sut attirer à lui, comme avant l'incendie, un grand nombre d'oiseaux.
De retour à l'humble demeure, Jehan, qui s'était pourvu d'osiers, fit une grande cage, qui pouvait contenir beaucoup d'oiseaux ; le surlendemain, elle était pleine de captifs voletant, chantant et s'ébattant aux rayons de soleil. Le printemps était revenu, et avec lui le réveil de la nature ; le bois était en fête, et tout favorisait les efforts du petit oiseleur. Il apprit à ses deux soeurs à faire elles-mêmes de petites cages ; puis il les envoya en ville vendre des oiseaux. Un semaine lui suffit pour établir ce commerce et pour en tirer quelques profits ; avec ce qu'il put conserver de ces premiers fonds, Jehan acheta de quoi construire une nouvelle volière, dont les dimensions devaient de beaucoup surpasser celles de l'ancienne, et, lorsqu'elle fut achevée, il s'occupa à le peupler des plus charmants oiseaux qui habitaient les bois.
Il en vint de tous les plumages ; fauvettes et pinsons, chardonnerets, mésanges, linots, bouvreuils, geais, pies, tourterelles, merles et ramiers, toutes les espèces y furent conviées ; les pièges et les embûches de Jehan étaient infaillibles. Son observation devint plus attentive ; bientôt l'instinct des oiseaux n'eut plus de secrets pour lui. Il s'appliqua et il parvint à donner aux différents espèces une éducation adaptée à leurs dispositions naturelles ; tous obéissaient à sa parole ; les uns sifflaient, d'autres chantaient ou se taisaient à son commandement ; il leur enseigna des airs, et certains tours des plus divertissants.
Jehan ne fut pas seulement un oiseleur ; ce fut le premier instituteur des oiseaux. Les sujets qu'il formait étaient fort recherchés à la ville ; ils se vendaient à des prix élevés, et l'aisance rentrait dans la famille de Jehan. Le bien-être qu'il put procurer à sa mère fut sa première et sa plus douce récompense.
Encouragé par ces heureux résultats, le petit oiseleur forma le dessein d'une éducation générale ; il étudia l'instruction qu'il donnait à ses oiseaux, et il entreprit de les réunir dans un enseignement commun. Il rencontra,dans une de ses excursions, un gros chat noir ; sans s'effrayer de toutes les idées funestes que la superstition populaire attache à ce compagnon des vieilles sorcières, Jehan l'appela de sa plus douce voix, le séduisit, le fascina, s'en empara et le conduisit au logis.
On le nomma Mob.
Quelques jours furent employés à l'accoutumer à la vue et au bruit des oiseaux : on l'emmena graduellement à jouer avec eux, puis à les caresser et à souffrir leurs attaques ou leurs provocations sans se fâcher.
L'intelligence et la douceur de Mob étaient admirables, et ses progrès furent rapides.
Les oiseaux furent plus difficiles à former.
Lorsque Jehan fut sûr de la douceur de Mob, il n'hésita pas à le placer dans la volière, tout au beau milieu ; l'inquiétude et l'agitation des oiseaux furent d'abord extrêmes ; le matou se prêtait gravement à leurs jeux ; selon les leçons du maître, il feignait tour à tour la colère et la défense. Il mettait ses ennemis en fuite, puis il revenait à eux de la plus tendre façon et c'était, dans la volière, une allégresse générale.
Mob y était merveilleux de maintien, hypocrite et patelin ; les oiseaux se livraient aux plus folles démonstrations, et jamais l'ordre du chef n'était méconnu.
Ce spectacle obtint un succès immense.
Le petit oiseleur ne s'en tint pas là ; il dressa deux corps d'oiseaux à des exercices militaires ; l'un était composé de merles, et l'autre de pies. Il leur donna un uniforme, des armes, et il en fit des artilleurs, qui se rangeaient autour de leurs canons ; ces oiseaux, partagés en deux bandes, combattaient et échangeaient des décharges d'artillerie ; toutes les phases de la bataille, la défaite et la victoire, dans tous leurs détails, étaient reproduites avec la plus scrupuleuse exactitude.
Ce spectacle encore plus extraordinaire que le premier attira la foule ; la renommée de Jehan augmenta leur valeur et il gagna des sommes considérables.
Il put doter très largement ses deux soeurs et procura à sa famille une vie calme et heureuse.
René MIGUEL
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