Après le succès de son précédent film Le prénom, Matthieu Delaporte surprend tout le monde en quittant la comédie, fut-elle acerbe, pour un registre beaucoup plus sombre. Avec son compère, Alexandre de La Patellière, il signe le scénario d’un film de genre crépusculaire aux frontières entre drame psychologique et thriller virant au slasher à tout instant. Magistralement interprété par Matthieu Kassovitz, Un illustre inconnu est la claque française de la fin d’année.
Sébastien Nicolas (Matthieu Kassovitz) est agent immobilier. Triste, timide et effacé, il observe avec acuité ses clients pendant les visites, conservant en mémoire toutes leurs mimiques et les détails de leur voix. Lorsque que ses clients partent en vacances, il se met dans leur peau, revêtant un maquillage et un déguisement complet, vivant pour quelques jours dans la peau d’un autre.
Henri de Montalte (Matthieu Kassovitz) et Sébastien Nicolas (Matthieu Kassovitz)
Un illustre inconnu débute tel un drame sur le suicide de Sébastien Nicolas. L’homme est maniaque et fait le ménage en profondeur alors même qu’il a prévu de s’endormir définitivement en ouvrant le gaz, la tête dans le four, pour partir dans la seule explosion qu’il aura connu de sa triste vie. Après cette introduction mettant en scène la fin de l’histoire, le générique débute et nous voilà face à l’homme présentant un appartement puis vaguant à ses occupations dans son propre appartement, terriblement vide et aseptisé, comme lui. On se dit alors que nous allons naviguer en plein drame psychologique suivant cette âme en peine n’étant que l’ombre de lui-même, vivant sa vie par procuration. Habilement mis en scène, des détails de prises de vues nous intrigue comme ces zooms sur des détails vestimentaires des clients. On commence à se dire que Sébastien Nicolas pourrait cacher de plus lourds secrets.
Sébastien Nicolas (Matthieu Kassovitz) et Vincent de Montalte (Diego Le Martret)
Un illustre inconnu puise sa force narrative dans ces détails-là, nous transportons peu à peu dans la psyché tourmenté du protagoniste principal. Dès que l’on finit par comprendre que Sébastien aime se travestir et se déguiser en étranger, un sentiment de malaise se fait jour. Un tel homme doit avoir des pulsions incontrôlées, son intérieur est trop propre, la plongée dans sa cave est digne des meilleurs films de tueurs en séries, minutieux, consciencieux, savamment ordonnés dans leur folie. C’est que Sébastien Nicolas semble avoir une longue tradition d’usurpations d’identités. Dans des tiroirs sont rangés ses archives. Que sont devenus tous ces gens ? Voilà la question que l’on se pose inévitablement, Nicolas tue-t-il ? Dans le métro, un ami de sa victime le reconnaît. Perturbé, il va se confesser au prêtre (Philippe Duclos) dont il était l’enfant de chœur. On retombe dans le drame psychologique car Sébastien Nicolas se sent sale, n’aime pas ce qu’il entreprend. On le sent au bord de l’inévitable. Il n’a pour l’instant agressé personne.
Sébastien Nicolas (Matthieu Kassovitz)
Un illustre inconnu, c’est donc un film sur l’altérité, sur la possibilité d’être transparents aux yeux des autres et du monde, sur l’impression de n’avoir rien accompli, de n’avoir comme le dit lui-même Sébastien Nicolas qu’exister sans vivre. C’est surtout un film sur la transgression et son acceptation. Tout le dilemme qui habite Sébastien Nicolas se joue entre la morale chrétienne qu’on lui a inculqué et des désirs, que l’on pourrait juger pervers, d’être un autre. Sa folie nous inquiète, ses actions sont terrifiantes. Mais n’avons-nous jamais rêver d’une autre vie ? L’intérêt de tout film de genre réussi est de polariser des sentiments universels en les transportant à la limite de la morale, histoire de nous faire réfléchir sur la relativité de celle-ci. Enfermé dans sa vie pathétique, en désaccord avec ce qu’elle lui a imposé, Sébastien Nicolas devient un autre homme en se révélant à travers autrui. Le dernier acte de cette quête insensé que nous ne divulguerons pas ici nous réconcilie avec Sébastien Nicolas en faisant poindre chez ce personnage inquiétant l’existence de sentiments que nous cherchions désespérément jusqu’alors. Reste qu’Un illustre inconnu a l’intelligence de laisser aux spectateurs une drôle d’impression. Ne vient-on pas de nous démontrer que l’on peut trouver un salut dans ce que d’aucun appellerait une déviance ?
Marie-Josée Croze
Un illustre inconnu est fortement conseillé par la rédaction d’Une Graine dans un Pot. À la croisé des genres, le film de Delaporte prend des colorations fantastiques sondant la noirceur de l’âme humaine autant qu’il cherche à la libérer de ces carcans. Un illustre inconnu accompagne tous ces personnages sans jamais les juger, toujours sur la tangente, à la lisière de ce que la morale commune pourrait appeler le bien ou le mal.
Boeringer Rémy
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