J’ai participé à une nouvelle liste de volontaires pour les élections du comité de notre quartier. Un groupe de personnes de tous âges et de tous horizons qui voulaient faire « bouger les choses » face à un comité qui nous semblait endormi et bien loin des réalités que vive la majorité des habitants dès lors qu’ils ne sont pas retraités ou aisés. Ces mères de famille, entrainées dans la course folle de la vie moderne, ces étudiants que la ville tolère sans les choyer, ces commerçants plus attachés à la convivialité d’un centre-ville qu’à la déshumanisation des centres commerciaux, ces gens un peu bizarres qui n’ont pas notre accent, ni notre bronzage, ces déçus de tous poils qui ne croient plus en rien si ce n’est de survivre, ces jeunes en situation d’extrême précarité, ces vieux – oui, osons le mot et cessons de nous cacher derrière une langue de bois – seuls, perdus, ignorés, qu’il ne faut surtout pas approcher de peur de ne pouvoir se détacher d’une conversation qui ne tonifie que l’autre. Et combien d’autres, aux préoccupations quotidiennes parfois dramatiques que nos nantis et nos notables n’évoquent qu’avec mépris, ou plus charitablement lors d’une absence extatique un soir à l’église...
Je me suis donc engagé avec la ferme volonté de faire bouger les choses dans mon quartier. Le comité précédent s’était, à mon sens, préoccupé essentiellement de la voirie. La seule action relative à un autre sujet dont il s’enorgueillit fut une participation à l’exposition « Agen vu par ses peintres » dont nous doutons, peut-être à tort, qu’il soit à l’initiative de cette belle manifestation. Certes, la voirie a son importance, mais il nous semble que les habitants ont bien plus d’’importance, et pas seulement pour leur cadre de vie quotidien, même si celui-ci reste l’une des assises du bonheur. En tant qu’habitant, ce comité n’avait jamais été à l’écoute de mes suggestions, de mes recommandations. Je l’avais ainsi sollicité sur les nuisances et l’incivilité qui régnait à la jonction des rues Lafayette et Camille-Desmoulins. Sans résultat. Il fallut un incident deux ans plus tard pour l’on s’attaque au problème. Avec mes colistiers nous avons battu la campagne, sans doute de façon peu efficace. Qui étions –nous ainsi pour nous présenter auprès d’une population à mille lieux d’une démarche civique alors que le bébé pleure, que la soupe est sur le feu, que ce n’est plus l’heure de déranger les gens, que Pujadas rassure à la télé d’improbables chaumières, qu’il faut préparer le contrôle du lendemain, que l’on ne s’intéresse pas la politique – mais Madame, cela n’a rien à voir – que le dialogue ripe sur d’autres considérations qu’il faut écouter afin de ne pas renier ses propres convictions…
Le réseau ! Il nous manque le réseau ! Et comment faire sans lui…
Il est déjà difficile de tenter de bousculer un « establishment » mais sans réseau, c’était mission impossible. Le jour des élections, l’évidence noya toutes nos espérances. Pas un électeur n’entrait sans que la partie adverse ne salue, qui par le prénom, qui par le titre, évoquant parfois des souvenirs remontant à la prime enfance ; certes un monde révolu, mais des faits intangibles de ce quartier, n’en déplaise à ces jeunes qui croient tout savoir ou à ces jeunes retraités qui s’imaginent faire ici comme à Paris !
Il nous manquait le réseau pour ébranler la citadelle. Et pas ceux que les jeunes possèdent sur leur portable et leur ordinateur[1]. La méthode de la proportionnelle voulue par la municipalité venait sabrer nos velléités. Il suffisait aux sortants de posséder une simple et unique voix de plus pour rafler 5 sièges sur 9. De toute façon, nous en étions loin, la votation était sans appel, nous ne possédions qu’un quart des voix. Les 4 derniers sièges étant ventilés en fonction des suffrages, nous devions nous estimer heureux de voir notre tête de liste intégrer le nouveau comité de quartier. « Mais avec un quart des votes, nous aurions dû avoir un quart des sièges ! » Et non, la démocratie agenaise n’aspire pas à un quelconque courant d'air, déjà qu’elle est en zone inondable (nous ne dirons pas par quoi).
Le lendemain, quelque peu aigri, je le reconnais, un ami me questionne dans la rue. « Alors ? »Je lui livre les faits, tentant de rester impartial. Il tente de me réconforter : Bah, vous ferez mieux la prochaine fois » J’éclate de rire. Il me regarde étonné. « Excuses moi. » Et je lui explique alors mes doutes. « Les membres du comité sont indéboulonnables. Ils se serrent les coudes. Les seuls changements qu’il y a eu viennent du fait que deux d’entre eux ont déménagé. Crois-tu qu’ils auraient fait un appel aux bonnes volontés ? Crois-tu qu’ils auraient fait une réunion d’information ? Croix-tu qu’ils auraient appelé les postulants déclarés en mairie ? Non, ils ont simplement fait appels à quelques amis bien disposés à leur égard. Tu sais, je crois que tant que ce type de scrutin perdurera, les comités n’ont guère de soucis à se faire ».
En disant cela, je pensais alors que c’était surtout une belle claque pour la démocratie participative. Plus grand monde n’est dupe. Le partage et l'exercice du pouvoir n’est plus un leurre.
Et mon ami de rajouter « La mairie ne devra pas s’étonner si la participation continue de s’effondrer ».
[1] Il est intéressant de lire d’ailleurs les dialogues qui s’y sont déroulés. Voir par exemple ici