par Jean-Christophe CAMBADELIS, Premier Secrétaire national du Parti Socialiste
Nous l’avions redouté, j’avais alerté au mois d’août, nous y voilà exposés : la déflation est là. Et sans doute pour longtemps. C’est en effet une décennie de prix bas, de croissance très faible, de chômage durable qui s’annoncent si tous les gouvernements d’Europe ne prennent pas l’exacte mesure de la spirale déflationniste qui vient. Il ne s’agit plus d’en discuter l’éventualité, mais d’y répondre de manière urgente.
La Banque centrale européenne (BCE), dont la mission principale, il faut le rappeler, est de maintenir la stabilité des prix aux alentours de 2 % d’inflation, doit elle aussi admettre cette nouvelle réalité. Les prix continuent de chuter depuis deux ans, l’inflation atteignant 0,4 % seulement pour l’année 2014. La déflation est sur notre continent. Paul Krugman, Prix Nobel d’économie, vient de s’en alarmer. Il ne s’agit pas d’un scénario, d’une menace, mais d’un fait, brut et têtu, déjà observable en Espagne, en Slovénie, en Bulgarie, en Hongrie, en Grèce, en Italie aussi, économie majeure du continent, où les prix ont atteint en août dernier leur plus bas niveau depuis 1959.
Le danger pour l’économie européenne est évident si on ajoute à ce constat un taux de croissance anémié qui devrait plafonner à 0,8 % pour cette même année. A cela, nous devons bien entendu associer les terribles chiffres du chômage qui s’élève à 11,5 % dans la zone euro, avec des pointes plus qu’alarmantes en Grèce (26,4 %), en Espagne (24 %) et au Portugal (13,6 %). Aux prix trop bas, à la croissance trop faible et au chômage trop élevé, il faut ajouter la modération salariale et les politiques budgétaires parfois trop restrictives.
Et puis, comment ne pas citer le vieillissement de notre continent, qui pousse à l’épargne et qui accentue une tendance lourde de rétraction de l’activité. Au final, l’Europe tourne au ralenti et menace de stopper pour longtemps son développement, risquant donc de sombrer dans une petite crise permanente et auto-entretenue. Face à ce danger, l’Europe semble comme tétanisée, voire paralysée. Ce manque de réaction politique serait une funeste erreur, comme le cas japonais en a fait la malheureuse démonstration depuis les années 1990.
Euroscepticisme et populisme
Les Européens ne doivent pas seulement regarder en direction du Japon, ils peuvent également se retourner vers leur histoire. Vers l’Allemagne des années 1930, dont la chute de l’activité accéléra la montée du nazisme. Vers la France et la politique décidée par Laval aussi, qui, à partir de 1935, ne manqua pas de fragiliser notre pays dans un moment pourtant crucial. Ne sous-estimons pas les conséquences et donc les enjeux.
Plus nous tardons à répondre à la déflation, plus elle s’installera durablement sur notre continent, plus la misère s’étendra, plus l’euroscepticisme prospérera et au final plus le populisme s’enracinera.
Des pamphlets se multiplient au nom du déclin des nations, remettant au goût du jour un nationalisme ethnique. La déconstruction républicaine est déjà dans de nombreuses têtes. Le déclinisme a pignon sur rue, le pessimisme militant règne en maître et le dénigrement est à la mode chez nos élites. Quant à l’islamophobie, le phénomène est continental, ce n’est pas le terrorisme des enragés du djihad qui va le faire baisser. Les peuples s’installent dans une spirale dépressive que rien n’arrête. Les défis qu’il faut affronter sont perçus comme une remise en cause.
Pendant qu’à un autre pôle, la société de marché veut liquider l’Etat social, l’intérêt général est vécu comme un carcan insupportable et le développement durable une servitude. Les vieilles nations européennes percluses de dettes et revenues de tout se rêvent comme un ensemble de Suisses renonçant à l’Histoire, n’exigeant que protection contre le métissage et sanctuarisation des retraites. La jeunesse s’en désespère. Elle s’en va, s’enrôle ou se désole, ce qui ne présage rien de bon. La déflation va accélérer tout cela ruinant encore un peu plus l’idée du progrès qui fut les lumières de l’Europe.
On sait lorsqu’une déflation débute, mais on ne sait jamais quand elle s’achève.
C’est précisément cela qui en fait une redoutable menace. Il ne s’agit cependant pas de sauver uniquement le niveau des prix en Europe, mais l’idée d’Europe elle-même et d’une certaine conception de la démocratie. L’Europe ne doit pas être synonyme de lent dépérissement et d’appauvrissement généralisé. Sans tarder, il s’agit donc de s’opposer à la pente déflationniste. Car, n’en doutons pas : la volonté politique pour la relance et la nouvelle croissance, avec comme maître mot l’investissement et le juste échange, est l’antidote à l’austérité, le vaccin contre la déflation et le remède au populisme.
En un mot, nous avons besoin d’une prise de conscience, d’un sursaut continental.