C'est à une centaine d'artistes de street art venus de seize pays qu'a été confié par le directeur de la galerie parisienne Itinerrance Mehdi Ben Chelkh le projet d'occuper presque totalement la surface intérieure (sols, murs et plafonds, soit 4.500 m²) d'un immeuble du 13ème arrondissement à Paris. Au mois d'octobre 2013, sur neuf étages, trente six appartements ont été investis, parfois encore meublés, jusque dans les placards. Les deux niveaux en sous-sol ont été aussi intégrés au projet. Durant sept mois, les artistes se sont engagés de manière bénévole pour réaliser la plus grande expérience de street art jamais réalisée en France.
Chronique d'une mort annoncée
A la différence d'un street art au destin aléatoire, le projet Tour Paris 13 annonçait la couleur : la tour serait détruite dans un délai court après cet investissement artistique d'ampleur. L'occasion était offerte de multiplier l'impact du projet en lui associant des paramètres inédits pour cet art sauvage, ne connaissant jusque là que les réflexes clandestins acquis avec sa pratique subversive.
La Tour Paris 13 se voit alors enrichi par un projet " transmédia visuel et sonore, immersif et collaboratif qui donne le pouvoir aux internautes." Un site internet permet de découvrir les artistes et les voir à l'œuvre, à travers photos, vidéos, textes et enregistrements audio. Une bande sonore originale est également accessible. Ce fonds est enrichi au fur et à mesure des contributions photographiques des internautes. Ceux-ci sont appelés à sauver virtuellement les œuvres de la destruction. Cette investigation internet devient alors l'unique témoignage pérenne de ce projet artistique démesuré.
Tour Paris 13
Le chant du cygne
L'ouvrage qui vient de paraître aux éditions Albin Michel dresse le bilan iconographique de cette aventure unique et vérifie sa dimension pluriculturelle. Car ce sont bien les apports artistiques de toutes origines qui ont transformé l'immeuble Paris 13 en une tour de Babel du Street Art, à commencer par celui du graffeur franco-tunisien El Seed qui, après s'être vu confier le minaret de la mosquée de Gabès, bénéficie avec le mur pignon de la Tour 13, d'une visibilité exceptionnelle. A côté d'artistes français désormais connus ( Seen Hart, C 215, Sambre qui a récupéré les portes et fenêtres laissés par les autres artistes dans les couloirs de l’immeuble pour reconfigurer entièrement une pièce du dernier étage de la tour), le street art du monde entier se rassemble : Arabie Saoudite,Brésil, Italie, Australie, Etast-Unis, Portugal, Chili, Colombie,Iran...
Destruction Tour Paris 13
L'iconographie occupe donc la place essentiel de l'ouvrage qui n'élude pas la destruction de la tour. Ce dernier acte d'une mort programmée donne à l' opération de travaux public une couleur particulière, celle d'une performance chargée de symboles. Les pelleteuses mécaniques ont fait jaillir à ciel ouvert les strates de cette histoire comparable à aucune autre, dévolue à une non-marchandisation, rebelle à toute perpétuation, dédaignant tout cénotaphe vaniteux. Le street art de la tour Paris 13 apparaît comme le chant du cygne pour un mouvement artistique sans maître à penser, sans école, sans dogme, sans table des lois. Une autre histoire commence désormais dans les galeries, les musées, les centres d'art. Mais il faudra lui trouver un autre nom.
Photos :
Tour Paris 13 : source Valeurs actuelles
Destruction de la tour : StevenTunier
"Tour Paris 13, l'évènement Street Art"
Mehdi Ben Cheikh
Albin Michel Novembre 2014
EAN13 : 9782226259035