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Jour 59, Guillaume : THE GO-BETWEENS, 16 Lovers Lane (1988)

Publié le 26 mai 2008 par Oagd
Jour 59, Guillaume : THE GO-BETWEENS, 16 Lovers Lane (1988) 16 Lovers Lane, par François Matton Glissé sous le paillasson, le disque sous bulles m'attend devant chez moi, me vient de St Médard en Jalles, le cachet de la poste fait foi, une « Ville Espace » apparemment. Sur l'enveloppe municipale, une main, que je dirai mal assurée, naïve et hésitante même, a écrit mon nom, mon adresse. J'imagine aussitôt cette personne, dont c'est la main, sous-antidépresseur, je ne sais pas pourquoi, un boulot ennuyeux à la mairie ou, simplement, car tellement de gens en mal d'amour en prennent ces temps-ci dans ce pays. Je ne sais pas non plus pourquoi chab08, pseudo que le vendeur à la main vacillante a choisi pour s'identifier sur ce vide grenier de l'Internet, a décidé de se séparer de cet album. Peut-être a-t-il aimé une femme sur ce disque, une femme aujourd'hui partie. Ce disque renferme-t-il trop de souvenirs passés ? Trop d'émotions ? Ou bien alors plus assez ? S'en est-il lassé, a-t-il simplement voulu s'en débarrasser ? Ou est-ce encore un souci financier qui a déterminé ce pouvoir de vente comme ça, à distance ? Quoi qu'il en soit, mon histoire avec ce disque, 16 Lovers Lane des Australiens The Go-Betweens, commence ainsi. Le boîtier en plastique vient certainement d'être remplacé, il rutile. Le disque compact, bien que lui-même légèrement rayé, fait peau neuve, pour de nouvelles mains, une nouvelle vie. Tant mieux d'ailleurs qu'il soit ainsi paré, présentable, car je m'apprête tout juste à le découvrir, ma connaissance de lui étant restée vierge jusqu'à aujourd'hui. La petite annonce prévenait « bon état, album culte, édition de 1996 remasterisée ». Je me suis préparé à un choc dès la première écoute, comme il est possible que cela arrive parfois, mais je ne suis pas tout seul. J'ai vingt ans de retard sur beaucoup d'autres et, à présent, ce sont ceux-là qui me jalousent, ils savent ce qui m'attend, ils se rappellent ce moment où tout a chaviré, un jour de l'été 88. Je n'adore pas la pochette, qui s'en trouvera certainement plus belle ici une fois revisitée. Mais je la respecte. Ça va parler d'amour, c'est couru. Elle montre trois des membres du groupe, dont seulement un en entier, de la tête au pied : une femme qui regarde dans une direction et semble marcher dans une autre. J'hésite avec Amanda Brown, la joueuse de violon et de hautbois, mais il doit plutôt s'agir de Lindy Morrisson, la batteuse. On ne voit sinon que le buste et la tête de Robert Forster (je réalise seulement plus tard qu'il ne s'agit pas de Robert mais de leur nouveau bassiste blond peroxydé John Willsteed) et le visage baissé du regretté Grant Mc Lennan, mort dans son sommeil d'une crise cardiaque à l'âge de 48 ans, il y a tout juste deux ans. Sylvain en parlait vendredi, Robert et Grant partageaient beaucoup de choses et, surtout, l'écriture des chansons : cinq chacun sur ce disque. Il n'est pas question de choisir son camp, mais Sylvain me disait l'autre jour, lorsque que je lui annonçais sans honte ma découverte tardive et enthousiaste des Go-Betweens via leur Best of, le très recommandable Bellavista Terrace, qu'il cherchait depuis longtemps l'ami qui préfèrerait les compositions de Grant (ayant lui-même toujours été plutôt Robert). Eh bien je crois pouvoir prétendre être cet ami-là. Placé sur la pochette à l'intersection des trois musiciens, le nom du groupe fait office de trait d'union, ce qui tombe plutôt bien car c'est précisément ce que signifie go-between, littéralement ce qui va entre. L'union n'est d'ailleurs plus possible depuis la disparition de Grant, ce pourquoi Robert, désormais, va solo.   16 Lovers Lane : est-ce les amants qui avaient 16 ans ou bien les ruelles dans lesquelles il faisait si bon se perdre qui étaient au nombre de 16 ? Mon niveau d'anglais ne me le dit pas. J'aime alors à penser que, oui, on va se remémorer notre adolescence, et l'on va s'y oublier comme à travers des méandres. Peut-être est-ce une référence directe à Londres et ses fameux quartiers en lacets, une allusion à la période londonienne du groupe dont il sort tout juste, retourné au pays peu avant l'enregistrement de cet album après cinq années d'éloignement (You down by the river / London no longer exists chante Robert sur Love is a Sign). Et finalement, Lovers Lane, serait-ce tout simplement la rue de leur enfance à Brisbane ? Qu'importe, les chansons déroulent leurs textes épistolaires, chacun pourrait y puiser des formules idéales pour quitter ou conquérir à nouveau l'être cher. Les titres déjà parlent d'eux-mêmes, You Can't Say No Forever ou Was There Anything I Could Do, qu'est-ce que j'aurais bien pu faire, sous entendu pour la retenir de partir, chanson que je connais maintenant sur le bout des doigts car elle introduisait justement le Best of. J'avais trouvé familier le récit de ce type qui parle de sa petite amie qui rentre à la maison et qui est heureuse, qui rentre à la maison et qui est triste, et qui, plus tard dans la chanson, redescend de sa montagne, dit au revoir à son gourou, retourne dans sa chambre et se perd dans des trucs voodoo, mais non, je ne dis pas que je lui en veux, les gens ne savent pas ce qu'ils veulent. Une journée s'est écoulée, une place de choix, centrale sur la rotonde arrière du bus articulé, offrant presque un point de vue phallique ou de tête chercheuse avec cette impression de chenille qui ondule de tout son long devant moi à travers la ville, apparaît comme la place parfaite pour écouter cette fois l'album au casque, avec titre et durée qui défilent sur l'écran digital. Je ne me le suis pas avoué tout de suite, mais je m'étais trompé hier. Ce n'est pas l'album de la première écoute. Ni du coup de foudre qui menace de retomber comme un soufflé. Son apparente perfection pop m'avait rendu méfiant, tout se combinait trop bien. Les arrangements lisses, les petits soli de guitare acoustique semblaient trop sereins et policés, jamais menacés par le reste. Au bout de quelques écoutes, l'harmonie générale se lézarde, devient heureusement fragile, faillible, en partie grâce aux textes de Robert et de Grant et leur art de les poser. La très bonne combinaison du tout, son ergonomie sophistiquée, sa densité confortable permet juste à celui qui écoute les confessions croisées des deux amis, de trouver lui aussi sa place, de se fondre, de se laisser ballotter sans déranger.   Au contraire de la « princesse de la pop » Kylie Minogue, les Go-Betweens ne se sont pas vus remettre les insignes de chevalier des ordres et des lettres. Et pourtant, ils flottent au-dessus des cimes de la « Aussie Pop » (on appelle comme ça la pop venue d'Australie), leur nom circule encore sur quelques lèvres, leurs disques sont comme des sésames qui ouvrent des horizons nouveaux. En préambule du livret du Best of, Robert s'avouait bien incapable de prodiguer quelque conseil que ce soit au néophyte quant au disque le plus approprié pour aborder leur œuvre. Mais, de mémoire, il ajoutait, rusé et drôle, qu'il était inconcevable de commencer par l'un de leurs derniers albums sans avoir au préalable acheté les trois premiers. Pour ma part, grâce à Chab08, ma première acquisition aura été le sixième.

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