C’est sans doute parce qu’il a commencé sa carrière comme courtier à Wall Street que Jeff Koons a développé un talent de faiseur d’argent et de grand manipulateur du pop art, muant en artiste à cravate et costume austère de business star. Ce personnage, que d’aucuns décrivent comme affable et policée, est en effet l’industriel artistique vivant le plus coté au monde. J’écris "industriel artistique" car Jeff Koons ne met jamais les mains dans la glaise ou dans tout autre matériau, il impulse des idées d’œuvres que ses 130 employés réalisent dans sa manufacture installée à Chelsea près de New York.
L’habilité de cet homme cosmopolite est son sens du commerce et des médias qu’il divertit en épousant par exemple l’actrice porno Cicciolina ; il sait aussi se faire désirer par des grands marchands, des collectionneurs aux poches pleines et des milliardaires exhibitionnistes amateurs de ses hochets géants et kitsch au tarif extravagant. Car l’art de Koons ne se comprend qu’à travers l’étiquette du prix : « Aujourd’hui, c’est le pouvoir de l’argent qui décrète la beauté », déclarait Jérôme Clément, administrateur du musée d’Orsay au Figaro (29 mars 2014). Est-ce vraiment si nouveau ? Les grands mécènes des siècles passés ne décrétaient-ils pas la beauté grâce à leurs bourses replètes et leur égo totalitaire ?
Les créateurs de notre millénaire changent simplement de prisme en se constituant en « brand artist » pour se mettre à disposition des marchés, des marques de luxe (qui les utilisent pour se draper dans un alibi culturel contemporain) et de tout acteur qui entend réenchanter l’obsolescence d'une offre commerciale dans un monde marchand qui croule sous les produits fades et sans vanité. Ainsi, en juillet dernier, le distributeur suédois H&M a fait appel à Jeff Koons pour l’ouverture d’un nouveau flagship à New York. A l’occasion, l’artiste a créé un sac flanqué d’une reproduction en relief d’une de ses célèbres œuvres : le « Balloon Dog ». En novembre 2013, un exemplaire de ce chien gonflé a été adjugé 43,6 millions de dollars, chez H&M, le sac coûtait 39,90 dollars. Une aubaine…
Jeff Koons n’est ni vraiment un génie, ni vraiment un révolutionnaire, mais il marche dans les pas d’artistes dont il a observé le parcours et dont il reproduit la posture marketing, comme Marcel Duchamp, initiateur du ready-made, Salvador Dali, idole du surréalisme, ou encore Andy Warhol, icône du pop art. Aujourd’hui, Jeff Koons renouvèle le genre en étant le promoteur du "glop art", l’art de la négation opportuniste érigée en apothéose de l’épate et de l’anecdote. Rien ne sert de mépriser l’œuvre du brand artist Jeff Koons qui est déjà entré dans l’histoire de l’art et dans de nombreux musées. Pour en saisir l’ampleur et la teneur, une rétrospective commence à partir du 26 novembre au Centre Pompidou ; sur 2.000 m2, une centaine d’œuvres vont attirer les foules à coup sûr, tissant les éloges de ce professionnel du merchandising d’expositions mass market qui aujourd’hui sont à l’art ce que les retail parks sont au shopping, de l’entertainment.
L’expo, l’ersatz © Jeff Koons/Centre Pompidou-H&M;