<
Senchishak c. Finlande (requête no 5049/12)
Dans un arrêt de la 4ème chambre rendu le 18 novembre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a dit, à l’unanimité, qu’il n’y aurait pas violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme si Mme Senchishak, la requérante, était expulsée vers la Russie.
Marina Senchishak, est une ressortissante russe née en 1942 et résidant à Espoo(Finlande).
Elle arriva en Finlande en décembre 2008 munie d’un visa touristique pour séjourner avec sa fille, qui vivait en Finlande depuis 1988 et avait obtenu la nationalité finlandaise. Peu après son arrivée, Mme Senchishak demanda un permis de séjour, invoquant ses attaches familiales. Elle allégua devant les autorités de l’immigration et les juridictions administratives que, paralysée du côté droit depuis 2006 à la suite d’une attaque, elle ne pouvait obtenir des soins médicaux adéquats en Russie et qu’elle dépendait donc de sa fille en Finlande, son mari étant décédé en 2007 et son autre fille ayant disparu – elle est présumée décédée – depuis 2003.
Les autorités de l’immigration refusèrent un permis de séjour à Mme Senchishak et ordonnèrent son renvoi vers la Russie. Le recours de la requérante contre son expulsion fut finalement rejeté en septembre 2011 par le tribunal administratif d’Helsinki, qui jugea en particulier qu’elle pouvait bénéficier de soins médicaux adéquats en Russie et qu’elle n’était donc pas totalement dépendante de sa fille en Finlande. D’après le tribunal, la requérante pouvait obtenir l’aide financière de sa fille et celle-ci pouvait aisément rendre visite à sa mère en Russie, leur ville d’origine – Vyborg – se trouvant à proximité de la frontière finlandaise.
La Cour administrative suprême refusa finalement à Mme Senchishak l’autorisation de la saisir en juin 2012 ; aucun sursis à l’expulsion ne fut ordonné, mais la mesure d’expulsion fut finalement suspendue sur la base d’une mesure provisoire adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme en janvier 2012 au titre de l’article 39 de son règlement.
Devant la CEDH, Mme Senchishak affirmait que son expulsion emporterait violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale)au motif qu’elle n’aurait pas accès à des soins médicaux en Russie car, selon ses dires, il lui serait impossible d’obtenir une place dans une maison de retraite et qu’elle serait séparée de sa fille, sa plus proche parente en vie.
Concernant l’article 3 (interdiction de traitements inhumains ou dégradants)
La Cour a examiné la question de savoir si Mme Senchishak risquait de subir de mauvais traitements si elle était expulsée vers la Russie, compte tenu de la situation générale dans ce pays et de la situation personnelle de l’intéressée.
La situation générale en matière de droits de l’homme en Russie n’est clairement pas de nature à donner lieu à une violation de la Convention européenne si Mme Senchishak était renvoyée dans ce pays, dixit la Cour.
La Cour ne voit non plus, dans la situation personnelle de l’intéressée, aucune circonstance qui serait de nature à empêcher l’expulsion de celle-ci vers la Russie. À l’instar du gouvernement finlandais, elle estime que la requérante n’a pas fourni d’éléments à l’appui de son allégation selon laquelle elle n’aurait pas accès à un traitement médical en Russie, considérant l’existence d’établissements de santé privés et publics et la possibilité d’obtenir une aide extérieure. En ce qui concerne le renvoi lui-même, la Cour s’est assurée que l’état de santé de la requérante serait pris en compte et qu’un transport approprié – par ambulance par exemple – serait organisé. Dès lors, elle conclut que, dans les circonstances actuelles, il n’y a pas de motif sérieux de penser que Mme Senchishak serait exposée à un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants si elle était expulsée vers la Russie.
Quant à l’Article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale)
La Cour rappelle que, d’après la jurisprudence afférente à la Convention et relative aux mesures d’expulsion et d’extradition, la notion de « vie familiale » doit être interprétée comme se limitant au noyau familial. Notamment, les relations entre des parents âgés – des adultes ne faisant pas partie du noyau familial – et des enfants adultes ne relèvent pas du champ d’application de l’article 8, à moins qu’il n’ait été démontré que les premiers sont à la charge des membres de leur famille.
Eu égard à cette jurisprudence, la Cour estime qu’il n’existe aucun facteur additionnel de dépendance autre que des liens normaux d’affection entre Mme Senchishak et sa fille. En particulier, observent les magistrats européens, la fille de Mme Senchishak est en mesure de fournir une aide financière ou autre à sa mère, eu égard à la proximité entre son lieu de résidence en Finlande et la ville d’origine de la famille en Russie.
Dès lors, la Cour dit, à la majorité, que l’article 8 ne trouve pas à s’appliquer dans le cas de Mme Senchishak et déclare cette partie du grief irrecevable.
Sur l’Article 39 (mesures provisoires)
La Cour décide également, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure devant elle, de maintenir la mesure provisoire indiquée au gouvernement finlandais en vertu de l’article 39 de son règlement, à savoir qu’il ne doit pas expulser Mme Senchishak jusqu’à ce que le présent arrêt soit devenu définitif ou jusqu’à nouvel ordre.
Pour aller plus loin: Arrêt SENCHSHAK c. Finlande
Pas de problèmes de droits de l'homme dans la Russie de M. Poutine?
+Elisa Viganotti
Avocat de la famille internationale