Que ce soit de la part de la première intéressée, qui en a fait un argument de campagne, ou du Tunisien lambda qui, semblerait-il, fait tout juste la découverte de ce spécimen curieux qu’est la femelle de l’homme, l’approche est patriarcale et ne fait qu’entériner, volontairement ou involontairement, la marginalisation des femmes en politique. Certes on pourrait arguer que le fait est suffisamment exceptionnel pour mériter d’être souligné, mais si les femmes n’étaient pas reléguées au rang de citoyens de seconde zone, ce fait serait un non-évènement.
Il ne s'agit pas ici d’exiger que chacun signe des deux mains son programme en sirotant ses paroles mais de s'interroger sur cette démarche qui consiste à systématiquement justifier son accord ou son désaccord avec Kannou par une référence à son sexe. Je vote Kannou parce que c’est une femme. Je soutien Kannou mais ce n’est pas juste parce que c’est une femme. Je n'ai pas adhéré au discours de Kannou mais je ne dis pas ça parce que c’est une femme. Je ne voterai pas pour Kannou, c’est une femme… Si le même traitement avait été réservé aux autres candidats, le débat politique ne n'aurait jamais dépassé le stade de l’observation biologique et la campagne électorale se serait limitée à un cours d'anatomie.
Bien évidemment il aurait été totalement absurde et inconcevable de réduire les autres candidats à leur masculinité car celle-ci va de soi. Elle est la norme et la mesure de toute chose. L'homme est le noyau fondamental de la société, au centre de tout, depuis la cellule de base qu’est la famille, jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat. La femme, elle, n’est que l'appendice qui s’y rattache, accessoire, complémentaire. Fille de jusqu’à femme de, elle est non-individualisable et donc non-autonome et non-décisionnaire. D’où la singularité et la cocasserie d'une femme en lice pour la Présidence de la République. Kannou candidate, ou un ornithorynque candidat, ne peut être qu'un objet de curiosité qui appelle les mots d’esprit convenus et les clins d’œil complices.
Dans un tel environnement anti-féminin, Kannou la femme ne pouvait que barrer le passage à Kannou la candidate. En étant cet objet décoratif posé à l’entrée des présidentielles elle ne pouvait accéder au débat d’idées qui se déroulait à l’intérieur. Ramener sa candidature à une candidature d’une femme pour les femmes c’est creuser encore plus le fossé des stéréotypes genrés où les femmes seraient une sous-population cantonnées à des besoins et des préoccupations minoritaires qui ne sont pas celles de la société officielle composée d’hommes.
Commenter la candidature de Kannou à travers le prisme du genre est une preuve supplémentaire, s’il en fallait une autre, que la société tunisienne est foncièrement misogyne. S’il est fort probable que le score de Kalthoum Kannou soit aussi anecdotique que sa candidature, celle-ci aura au moins eu le mérite de rappeler que si en Tunisie la démocratie est en marche, la phallocratie, elle, est bien ancrée.