Arles, ses arènes, ses rencontres photographiques. Mais pas seulement.
Arles, c’est aussi la capitale de la traduction littéraire. C’est ici, début novembre, que se tiennent les Assises de la traduction, qui regroupent les professionnels de la discipline, des passionnés de littérature étrangère et une foule de personnes intéressées par la traduction.
Le thème de cette 31ème édition était « Traduire la guerre », en écho au centième anniversaire du début de la Première Guerre mondiale.
Cette fois encore, conférences, expos, lectures, tables rondes et remises de prix ont animé ces trois jours.
Mais cette année, dans une volonté d’ouverture au grand public, les organisateurs ont tenté une expérience tout à fait inédite, intitulée « Traducteur d’un jour ».
« Vous aimez la littérature italienne ou russe ? Vous ne connaissez pas un mot de ces langues mais vous aimeriez vous glisser dans la peau d’un traducteur ? Alors ces ateliers sont faits pour vous ! », proposait le programme.
Ces ateliers gratuits ont fait le plein. Les participants, férus de littérature pour la plupart, se voyaient remettre un texte traduit mot à mot en français ainsi que son original dans une langue étrangère, en russe ou en italien (on ne pouvait pas participer simultanément aux deux ateliers).
Inter : Comment redonner une âme à ce chaos de mots ? Lesquels choisir, quelle couleur de ton leur attribuer ? Sur quel fil de sens les faire circuler ?
Dans le premier atelier, il s’agissait d’un passage de Guerre et Paix de Tolstoï, 5 pages du célèbre livre à remettre en forme sous la houlette de Paul Lequesne, traducteur de russe.
« Il faut trouver des astuces pour contourner, détourner les mots sans les enfreindre, en restant fidèle, explique-t-il dans une interview accordée à Littexpress, mais il faut en même temps prendre garde, car il y a toujours la tentation de rajouter des mots pour expliquer, expliciter, et l’on finit par y perdre le sens voulu par l’auteur. Dans l’idéal, une phrase ambiguë en russe devrait le rester en français. »
L’exercice est intéressant car il montre à quel point le traducteur est un auteur.
Comment redonner une âme à ce chaos de mots ? Lesquels choisir, quelle couleur de ton leur attribuer ? Sur quel fil de sens les faire circuler ?
« Parfois on a exactement le bon mot, commente Paul Lequesne, mais celui-ci ne sonne pas bien dans la phrase à cause d’une allitération malvenue, par exemple, ou d’une rime inopinée au milieu d’un dialogue trivial. Alors on devra en choisir un autre pour la seule esthétique du texte. On est contraint à toutes sortes de concessions, mais chaque fois c’est comme une défaite. »
Dans le second atelier, la langue de Dante était à l’honneur avec un texte de Evelina Santangelo, extrait de son roman Il giorno degli orsi volanti (Le Jour des ours volants). Cette fois, c’était sous la direction de Dominique Vittoz, Arlésienne et traductrice maintes fois récompensée.
“Traduire, c’est habiter les mots en locataire : on n’est pas chez soi. Et pourtant, on est domicilié là, avoue-t-elle dans un entretien à l’Agence Régionale du Livre, certes, on savoure l’aise de ces quatre murs, mais on la sait précaire, tributaire d’autrui. »
Cette approche de la traduction, sans connaissances linguistiques requises, prend la forme d’un voyage littéraire qui conduit vers une œuvre. Elle démontre que la traduction d’un texte est une œuvre sur une autre.