Chronique « Les Gardiens du Louvre » : Laissez vous guider par la « Victoire de Samothrace »…
Scénario et dessin de Jirô Taniguchi,
Public conseillé : Ado / Adultes,
Style : Ballade initiatique
Traduit du japonais par Ilan Nguyen,
Paru chez Futuropolis, le 21 novembre 2014, 136 pages couleurs, 20 euros.
L’histoire
Mai 2013. Un dessinateur japonais (Jirô Taniguchi ?) est en visite à Paris pour la troisième fois. Cloué au lit par une terrible fièvre, les cinq jours de visite, qu’il avait prévu dans les principaux musées parisiens, semblent compromis.
Avec quelques anti-douleurs, l’homme se recouche et tombe dans un rêve halluciné, peuplé de formes flottantes inconnues. Le lendemain, son état s’est amélioré. Affamé (c’est bon signe), il se risque dans les rues de Paris et dans un bistrot.
Revigoré, l’homme marche jusqu’au Louvre et y pénètre, malgré le flot continu des touristes. Dans l’aile « Denon », plus tranquille, l’homme est pris de vertiges.
Après avoir perdu connaissance, il se réveille au milieu d’une galerie vide, accueilli par un étrange guide, un fantôme du musée…
Une commande
Comme De Crécy (“Période glaciaire”), Marc-Antoine Mathieu (“Les Sous-sols du Révolu”), Etienne Davodeau (“Le chien qui louche”) et Enki Bilal (“Les Fantômes du Louvre”) avant lui, le mangaka (très apprécié du public adulte français), signe un album avec le musée du Louvre.
Cette commande (co-éditée par Futuropolis & Louvre éditions), réalisée après un mois d’immersion, est une “pure création française” et non pas une adaptation, édité initialement au Japon. Si la lecture est de droite à gauche (création d’un japonais oblige), le format de l’album est aux dimensions franco-belge (grand format classique cartonné) et bénéficie d’une mise en “couleurs directes” par Taniguchi « himself ». Une première !
Ce que j’en pense
Amateur des classiques “Le Journal de mon père”, “Quartier lointain”, “Un ciel radieux”, “Un zoo en hivers”, j’attendais avec intérêt ce nouvel album du maître mangaka. Malgré les nouveautés (format, couleur, commande…) “Les Gardiens du Louvre” ne marquent pas de rupture avec l’univers de l’auteur.
Taniguchi re-visite ce lieu avec tout son univers, sa touche “fantastique japonaise” très présente, (ses “gardiens” me font penser aux “kami”), son coté contemplatif, en restant très accessible.
Entre le héros solitaire, les déambulations comme moteur du récit et les passages oniriques, on retrouve dans “Les gardiens du Louvre” toutes les thématiques chères à cet auteur, mais surtout la coloration et le plaisir particulier d’une lecture d’un album de Taniguchi.
Emporté dans un état second (provoqué par la fièvre), son personnage, son “double de papier”, appréhende un autre niveau de compréhension, entre “rêve et réalité”.
Grâce à cet artifice, le dessinateur se projette dans le monde des tableaux. Corot, Van Gogh, tout est possible. Il peut côtoyer les grands maîtres, “se balader” dans leurs monde pictural ou revivre un moment historique du musée.
Grâce à cet album, un peu documentaire, mais surtout personnel (un vrai point de vue d’auteur) Tanigichi nous fait comprendre le lien particulier qui unit les japonais à l’art européen.
Le dessin
Avec sa mise-en-page très aérée (4 à 6 cases par planches) “Les Gardiens du Louvre” permettent d’admirer pleinement le dessin classique de Taniguchi. Si vous avez aimé la subtilité de ses planches en noir et blanc, vous allez être enchanté !
L’album est servi par des “couleurs directes” (aquarelles). Le procédé est aussi rare chez cet auteur que réussi, impressionnant ! Avec cette technique, les teintes nuancées et subtiles complètent un trait très fin.
Les passages “en immersion” dans les tableaux changent de style (trait forcé, couleurs floues…) pour épouser celui du tableau. C’est beau, tout simplement !
Enfin, les décors (de rues ou l’intérieur du musée) sont d’une finesse incroyable. Au point que je me demande comment il l’a obtenu ce résultat ? Dessin d’après photo, photos retouchées numériquement ? Etrange…