La saison des prix littéraires a ceci d'heureux qu'elle met l'accent sur des romans dont la lecture pourrait nous échapper tant est grande, infinie, toujours insatisfaite, la sollicitation éditoriale. Doté du prix Femina, Bain de Lune de l'écrivain haïtienne Yanick Lahens semble à nos yeux, LA révélation de la cuvée 2014. Un sésame de lecture qui met en lumière la sympathique et éclectique maison d'édition dirigée par Sabine Wespieser.
Polyphonique, exotique, incantatoire, par moments féérique à la manière d'un conte, le roman décline sa narration en Haïti, patrie de Yanick Lahens, et un vingtième siècle - un rien atemporel - traversé par quatre générations de femmes.
Ecrits en italiques,certains chapitres ont pour voix, déclinante, celle d'une jeune femme mourante, échouée sur la plage, victime expiatoire de faits violents. Ils interrompent, énigmatiques, le fil de la narration portée par une de ses parentes, membre de la communauté familiale des Lafleur, établie à Ti Pistache, non loin du village d' Anse Bleue.
Tout commence par le coup de foudre qui assaille Tertulien Mésidor tandis qu'il rencontre, au marché de Ti Pistache, la jeune et ravissante Olmène Lafleur, tout frais jaillie de son adolescence. Mais Messidor et Lafleur paraissent aussi irréconciliables que les clans Montaigu et Capulet au temps de Roméo & Juliette. Evitant d'emblée l'écueil d'un remake shakespearien, Yanick Lahens explore, avec la perspective de cette liaison, l'âme des protagonistes, les racines familiales, moeurs et croyances qui confèrent au récit une singularité remarquable, fluide, chantante et harmonieuse dans l'authenticité d'une écriture, pétrie d'idiomes et d'une onomastique savoureuse.
"Une lignée naîtra de cet après-midi brûlant. D'un seigneur que le désir obligeait à plier les genoux et d'une paysanne qui s"ouvrait à un homme pour la première fois."
Une lecture envoûtante, qui enveloppe le lecteur d'une sorte de cocon maternel et bienfaisant.
Bain de Lune, Yanick Lahens, roman, Ed. SabineWespieser, sept 2004, 274 pp