« Une mesure très pragmatique, la suppression de l’école obligatoire, et son remplacement par un service d’éducation non obligatoire à partir de l’âge de huit ans. »
L’audace selon François Bégaudeau, écrivain : « Supprimer l’école obligatoire… »
Quelle est votre conception de l’audace ?
Dans les domaines qui me concernent, c’est-à-dire des activités artistiques et un peu intellectuelles, l’audace pour moi consiste à déplacer les formes habituelles, à emmener les récepteurs – lecteurs, spectateurs – hors des sentiers battus et des formes académiques. Et, au contraire, à ouvrir l’autre à des modes de pensée nouveaux. Lorsqu’on évolue dans le monde de la pensée, et a fortiori dans la littérature, on peut se permettre beaucoup plus de choses que dans la vie réelle. Pour moi, l’art n’est pas là pour rassurer mais pour dire les choses le plus justement possible. J’aime que la pensée des autres me trouble, me déporte vers des territoires moins balisés, où le mode d’emploi reste à trouver. C’est le cas d’« Ici commence la nuit », d’Alain Guiraudie, publié chez P.O.L, que je viens d’achever : ce livre va dans des zones sexuelles ou de désir qui ne sont pas attendues.
Qu’avez-vous fait de plus audacieux dans votre carrière ?
Je pense que, dans mes livres, je prends le risque de ne pas être aimé par tout le monde. Je n’ai pas peur de diviser, de dire juste ce que j’ai à dire sans souci de plaire. Par exemple, dans mon abécédaire « D’âne à zèbre », j’ai essayé dans l’article sur le racisme de montrer la puissance du racisme, la jouissance qu’il y a pour certains à être raciste. Dans cet abécédaire, j’explique aussi pourquoi, selon moi, le mérite est une valeur vide, une position totalement à contre-courant dans un univers qui repose sur la méritocratie. Dans le même esprit, mon prochain ouvrage, « La Politesse », qui sortira en mars, suit un écrivain qui circule dans le monde culturel. Par ce biais, je tente de montrer les petites ruses du milieu, le maintien sous perfusion de certaines structures…
Quelle est la mesure audacieuse qu’il faudrait prendre en France aujourd’hui ?
Je m’inscris dans la pensée de Frédéric Lordon, économiste et vrai penseur de gauche : je crois que l’on pourrait sortir de l’euro. On constate tous que l’on est dans une impasse. On peut se demander si ce n’est pas plus absurde de continuer comme on le fait. Deux autres mesures me tiennent à coeur : d’une part, l’instauration d’un revenu inconditionnel de base à vie pour tout le monde, ce qui serait une mesure vraiment audacieuse, ; de l’autre, une mesure très pragmatique, la suppression de l’école obligatoire, et son remplacement par un service d’éducation non obligatoire à partir de l’âge de huit ans. Jusqu’à cet âge, l’école a la vertu de soulager les femmes… Mais elle n’est pas une fabrique d’audace : elle est davantage faite pour discipliner que pour faire bouger les codes et créer des gens audacieux.