En 1968, Douglas Englebart, pionnier de l’informatique moderne, réalisait une démonstration de technologies autrefois avant-gardistes, mais qui sont entrées désormais dans notre quotidien: la souris, la visioconférence, le traitement de texte, etc. Parmi ces technologies qui allaient changer le monde, il en est une dont les travers sont peut-être aussi importants que les bénéfices: le copier-coller (alias copy/paste, à prononcer “pââââste” à la française, c’est encore mieux). Popularisé par la première interface du Macintosh (Pomme-C/Pomme-V) puis par le fameux Ctrl-C-Ctrl-V de Microsoft Windows, le copier-coller fait partie de ces pratiques qui ont lentement glissé de l’univers de l’informatique vers notre vie de tous les jours.
Pourtant, je m’interroge régulièrement sur les bénéfices réels du copier-coller, et voici pourquoi.
1 La prolifération des erreurs
Copier-coller, c’est d’abord contribuer à la prolifération des erreurs. Ayant passé plusieurs années à développer du code dans différents environnements au sein d’un grand éditeur de logiciel, je peux en témoigner. Combien de bugs, combien d’erreurs, auraient pu être évités si leur auteur n’avait pas simplement recopier quelques lignes de code trouvées ailleurs, contribuant à diffuser l’erreur de conception (ou de programmation) qui se trouvait dans le morceau de code initial?
Et il n’y a pas que dans le monde feutré des développeurs que les méfaits du copier-coller sévissent. Combien de fois n’avons-nous pas copié la présentation commerciale élaborée pour tel client, pour l’utiliser auprès d’un autre, en oubliant de modifier les informations essentielles, comme le nom de l’entreprise initialement concernée?
2 Le plagiat banalisé
Copier-coller, c’est en fait piquer la production d’un autre, sans même avoir besoin de citer ses sources. C’est emprunter sans rendre: tiens, j’ai trouvé ça ailleurs, je le reprend, tel quel, sans trop me poser de questions.
Le copier-coller ne garde pas de traces de vos méfaits. Il est sournois, vos lecteurs ne s’en rendent pas compte (ou presque, cf. le point 4 à lire après le point 3). Copier-coller, cela devrait être interdit dans certaines sociétés: dans les lieux publics, à l’école, dans l’entreprise, à la télévision. On devrait même se l’interdire à soi-même, pour le bienfait de l’âme.
3 Une insulte à l’intelligence
C’est cette démarche de copier sans se poser de questions qui pose vraiment problème. Copier-coller, c’est s’abstenir de réfléchir, pour comprendre qu’est ce qui a changé d’un contexte à l’autre. Ce qui convenait autrefois convient aujourd’hui, ce qui convient à un autre te convient à toi: c’est le statu quo érigé en dogme. Nul besoin de faire évoluer, puisqu’on l’a déjà fait ailleurs.
Le copier-coller est en fait une dictature, celle du modèle unique, le “one size fits all” cher aux adeptes du productivisme et de la rentabilité. Faire différent, cela coute cher, en temps, en ressources, en argent: faire identique, c’est beaucoup plus simple et plus économique, puisqu’on se libère du coût de l’intelligence…
4 Une insulte à l’intelligence
C’est cette démarche de copier sans se poser de questions qui pose vraiment problème. Copier-coller, c’est s’abstenir de réfléchir, pour comprendre qu’est ce qui a changé d’un contexte à l’autre. Ce qui convenait autrefois convient aujourd’hui, ce qui convient à un autre te convient à toi: c’est le statu quo érigé en dogme. Nul besoin de faire évoluer, puisqu’on l’a déjà fait ailleurs…
Vous venez de lire ce paragraphe, et vous vous dites: non, ce n’est pas vrai, il n’a pas osé nous faire le coup du copier-coller? Et bien si, au contraire, quelle meilleure démonstration trouver que de reproduire ce paragraphe à l’identique, vous montrant par la-même qu’en reproduisant le même texte, vous seriez incité à passer au paragraphe suivant, sautant par la même occasion ces quelques lignes, que vous reviendrez lire par la suite.
5 L’insoutenable légèreté de la répétition
Copier-coller, finalement, c’est se contenter d’un mode de vie répétitif, sans imagination, sans créativité, un mode de vie productiviste à l’extrême, où le gain de temps prévaut, par opposition au gain d’intelligence. C’est répéter la même séquence sans se poser la question de la fin de cette séquence. Un artiste peut-il procéder par copier-coller? Que dirions-nous d’une oeuvre qiu se répète à volonté, en deux clics? Où résiderait son originalité, sa différence?
Douglas Englebart ne se rendait peut-être pas compte, à cette époque, de l’immense régression qu’allait instaurer le copier-coller dans nos sociétés modernes. Copier-coller, cela ne devrait servir qu’aux situations extrêmes: dans tous les autres cas, il vaut mieux copier-améliorer.
PS: un grand merci à Pierre Blanc, dont la lecture du livre “On nage comme on manage m’a permis de mettre une date sur cette “mère de toutes les démonstrations”, dont voici une vidéo piochée sur YouTube. Le copier-coller intervient vers la 4e minute.
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