L’année dernière c’était Matthew McConaughey qui avait littéralement explosé – et s’envole actuellement à une hauteur stratosphérique dans Interstellar -, notamment grâce à ses rôles dans Mud et Dallas Buyers Club – et avait trouvé sa consécration en décrochant l’Oscar du meilleur acteur en début d’année, un peu après le succès de True Detective. Cette année, c’est au tour de Jake Gyllenhaal de briller. Ce dernier, qu’on avait découvert avec Donnie Darko, se prouve capable d’exceller dans tous les rôles qu’il interprète : adolescent schizophrène, journaliste dessinateur, cowboy homosexuel, ou plus récemment détective (c’en est à se demander si les deux acteurs ne s’imiteraient pas mutuellement). Bien que le terrain de prédilection de Jake Gyllenhaal soit le cinéma indépendant, qu’il retrouve une nouvelle fois ici avec Night Call, cela n’avait pas empêché l’aventurier qui réside en lui de s’essayer au cinéma mainstream avec Prince of Persia (malheureusement, on s’en souvient).
À la réalisation : Dan Gilroy, qui s’était cantonné à l’écriture scénaristique jusqu’alors. On retrouve au casting Rene Russo (épouse de Gilroy) et Kevin Rahm (Mad Men), tous deux co-directeurs d’une chaîne d’information locale, Bill Paxton (acteur fétiche de James Cameron) en journaliste compétiteur et Riz Ahmed (Rick) l’assistant caméraman du personnage de Gyllenhaal. Avec Night Call, dont il fait partie des producteurs, Jake Gyllenhaal a une liberté (presque) totale en terme d’interprétation. Cela lui permet d’enfiler le rôle du journaliste freelance Louis Bloom (Lou) et de lui donner vie à sa manière. Constat : le costume lui va à merveille.
Afin de se préparer pour le rôle, à l’instar des transformations récentes de Christian Bale ou (surprise) Matthew McConaughey, Gyllenhaal a perdu 14kg. En plus de cela, il avoue ne presque pas avoir dormi ni mangé pendant le tournage. Son but ? Faire en sorte que son personnage ait l’air affamé. La faim qui assaille Lou, ce n’est pas celle au sens physiologique du terme mais plutôt un besoin d’être reconnu à sa juste valeur, celle-ci étant bien entendu démesurée. Et c’est bien l’ambition qu’il défend au tout début du film :
« If you want to win the lottery you need to make the money to buy a ticket first. »
Des yeux exorbités, instables et constamment à l’affût, comme si menés par la recherche d’images qui feront le buzz, c’est bien cette impression qui se dégage de Lou. D’ailleurs, le moteur qui le pousse à agir n’est pas nécessairement sa passion pour le journalisme, mais plutôt son besoin obsessionnel d’être reconnu. On le voit bien au début du film, où il ère dans les rues de Los Angeles à la recherche d’un boulot – vendeur de ferraille. Ce n’est que fortuitement qu’il va se reconvertir dans le journalisme : après avoir été témoin d’un accident sur l’autoroute relayé le lendemain matin dans les informations locales, Lou est transfiguré. Il a trouvé son audience, celle qui reconnaitra son talent.
L’idée selon laquelle n’importe qui peut être journaliste – si tant est qu’il possède une caméra, un bon flair et la chance de se trouver au bon endroit au bon moment – va lancer Lou sur cette voie. Ses premiers pas sont un peu hasardeux et maladroits, trainant avec lui un matériel bas de gamme troqué contre un vélo. Au début, Lou va se heurter aux barrières de sécurité et à l’hostilité du quotidien auquel sont confrontés les reporters.
Mais Lou est un autodidacte, il comprend très vite où se trouvent les scoops et ce qu’est une source valable. Ses talents d’orateur et son audace lui confèrent des compétences interpersonnelles qui vont lui permettre dans un premier temps d’établir des relations avec la directrice d’une chaîne d’info locale en quête d’auditeurs et de monter les échelons dans un second temps.
Dans une société au sein de laquelle il est de plus en plus facile de se lancer dans le journalisme sans avoir aucun talent particulier, dans un système néolibéral ultra-compétitif qui donne sa chance à tous, tout est possible pour celui qui réussit à se doter du fameux « billet de loto ». Il suffit juste de tenter sa chance. Touche-à-tout talentueux, Lou va commencer à arpenter les rues de Los Angeles à la recherche d’un scoop dans le milieu du crime. À l’image de son discours final adressé à Nina, la directrice de la chaine d’information locale ; il a bien compris que ce qu’une audience consomme le plus ce sont les faits divers : les meurtres, la drogue et les accidents.
Certains ont fait un parallèle entre Night Call et Drive, le chef d’œuvre de Nicolas Winding Refn. Il est vrai que les éléments s’y prêtent à merveille et l’atmosphère qui se dégage des deux films est parfois identique : un homme conduisant une voiture de course entre les collines de Beverly Hills et Long Beach la nuit se mêlant à des activités plus ou moins licites. Et si scénaristiquement cela ne suffisait pas, c’est vrai que l’homonymie avec le morceau de Kavinsky ajoute du poids dans la balance.
La voiture, c’est le symbole de l’accomplissement du rêve américain. Cela devient évident à la manière dont elle est esthétisée : filmée de l’extérieur, elle est puissante, aseptisée, immaculée et flashy. A la manière dont Bel Ami décrit l’ascension d’un arriviste dans les milieux mondains de Paris et la profession journalistique, Night Call décrit l’opportunisme d’un sociopathe dans le reportage criminel en freelance.
Ce qui est fascinant dans Night Call, c’est la façon par laquelle Gilroy a réussi à déshumaniser l’humain. A travers les yeux aliénés de Louis Bloom, ce ne sont plus des personnes que l’on filme mais des images. Les scènes de reportages sont filmées très subjectivement, se concentrant sur Lou et sa caméra, dépersonnalisant les malheureuses victimes, privées de toute valeur humaine. Alors qu’il arrive sur les lieux d’un accident de voiture – avant même la police – et que la disposition des cadavres ne lui plait pas, il se permet de les déplacer lui même dans un souci esthétique. Il arrive même sur les lieux d’un crime à Granada Hills et assiste à un meurtre. Alors qu’il a capturé les meurtriers sur pellicule, sa personnalité nihiliste et mégalomane le pousse à s’en servir comme d’un appât plutôt que comme d’une pièce à conviction. Le seul obstacle sur la route de Lou, ce ne sont pas ses compétiteurs, ni le personnage de Bill Paxton mais son perfectionnisme.
Comment expliquer ce comportement, si ce n’est par l’hypothèse que Lou est psychologiquement malade ? Même si à l’extérieur, il ne laisse rien voir, il est seul, il n’aime personne (et il l’avoue avant la fin du film) ; ni Nina avec qui il flirte, ni son assistant caméra qu’il n’hésite pas à manipuler, et ce au détriment de la sécurité de ce-dernier. Louis Bloom est un opportuniste dénué d’empathie, insomniaque et compulsif en quête de gloire.
Au final, Night Call dépeint tout ce qu’il y a de plus noir en nous. Le milieu du journalisme criminel, qui se base sur le malheur des uns et fait le bonheur et parfois même la carrière des autres. Parmi ces derniers : Louis Bloom, qui n’hésite pas à utiliser ce malheur comme un moyen lui permettant d’assouvir sa soif de gloire… Cynique, noir, misanthrope, satyre, Night Call est le film de fin d’année qu’il faut voir!