La collection Signé des éditions du Lombard est devenue, au fil du temps, un label incontournable pour tout amateur de BD. Elle vient de célébrer cette année ses vingt ans, un anniversaire fêté comme il se doit avec la publication de nombreux albums destinés à devenir des classiques. Quelle meilleure occasion pour voir d’un peu plus près les coulisses de la collection ? Nous avons ainsi rencontré Gauthier Van Meerbeeck, directeur éditorial des Éditions du Lombard pour l’interroger sur sa collection et son métier.
En quelques mots, quelle est la promesse de la collection Signé ? À quoi doit s’attendre un lecteur qui découvre un titre de la collection en librairie ?
Aujourd’hui la promesse est double. Il s’agit tout d’abord d’albums qui doivent pouvoir se distinguer d’emblée. Je ne dis pas ça par opposition aux autres albums du Lombard mais dans le sens où nous sollicitons toujours, pour Signé, des auteurs très confirmés. Il faut qu’ils aient atteint un certain niveau de notoriété. Cette promesse de qualité est la clé d’entrée.
L’autre promesse, c’est de proposer un travail complet et immédiat. La collection publie uniquement des « one shot » c’est-à-dire des histoires complètes en un seul volume ou des diptyques, c’est-à-dire des histoires publiées en deux volumes. Dans une époque qui connaît une profusion non-maîtrisée de nouveaux projets, de nouvelles séries, qui ont justement du mal à émerger dans ce marché difficile, à se poursuivre, voire à se clôturer, notre promesse c’est de dire qu’en un ou deux tomes maximum, le lecteur aura une histoire complète et une fin. Il n’aura pas à attendre 10 ans la fin de sa série.
Est-ce à dire que l’auteur vient vers vous avec un projet déjà assez abouti ?
C’est une règle que l’on tend à appliquer à l’ensemble de nos projets au Lombard. Il est assez fréquent de voir arriver des auteurs avec un concept très fort, un pitch très intéressant, ce que l’on appelle un « high concept ». On s’aperçoit souvent que cela ne va pas beaucoup plus loin et que derrière ce concept fort, l’auteur propose finalement un déroulement très attendu, et que la fin n’est pas à la hauteur du concept initial, ce qui est pour moi, pire que tout.
Pour Signé, il faut que l’auteur ait une vision très complète de son histoire et de là où il veut en venir, de la façon dont il veut finir son histoire
Je pense que la force d’un label vient de son exigence de qualité et cela implique d’être parcimonieux. On ne peut pas sortir un chef d’œuvre tous les mois dans une collection.
Pour les 20 ans de la collection, nous avons en effet proposé un programme assez riche avec pas moins de 8 nouveautés. L’idée était de marquer le coup ! Nous comptons nous en tenir par la suite à la publication de 4 ou 5 titres par an. Je pense que la force d’un label vient de son exigence de qualité et cela implique d’être parcimonieux. On ne peut pas sortir un chef d’œuvre tous les mois dans une collection.
En 20 ans comment avez-vous vu évoluer la collection ?
Il y a eu une certaine évolution – que l’on revendique tout à fait parce que cela a abouti à des albums dont nous sommes fiers -, qui a consisté à accepter des projets de grande qualité, que l’auteur ait ou non le niveau de notoriété que nous attendions à l’origine de la collection. Si la qualité seule était au rendez-vous, le projet pouvait aboutir à un album pour Signé.
Aujourd’hui, quelques années plus tard, face à ce constat de marché en surproduction, je pense que nous devons avoir des projets plus définis, plus évidents dans leur ambition et leur propos donc nous tenons à revenir à ce critère de la grande notoriété des auteurs. Nous revenons à une démarche qui a peut-être une certaine part de snobisme, il faut le reconnaître, mais qui est aussi une réponse au marché d’aujourd’hui où il est difficile de se différencier.
Notre projet et notre espoir c’est de continuer à faire de Signé un label fort, un label qui se démarque de la production actuelle.
La crise de la BD a été uniquement créée par ses acteurs, par ses éditeurs.
Le Lombard appartient depuis quelques années au groupe Media Participations qui possède également Dargaud et Dupuis. Est-ce que la collection est sensible aux changements de direction qu’il peut y avoir au Lombard ? A-t-elle toujours su garder son identité ?
Dans ce groupe assez important qu’est Média-Participations, il y a une vraie liberté laissée à l’éditeur. La collection Signé et son contenu ont toujours fait partie des décisions du directeur éditorial. C’est une collection que je gère depuis trois ans mais qui a été créée par Yves Sente il y a 20 ans. Ni lui ni Pôl Scorteccia ou Arnaud de La Croix qui lui ont succédé n’ont jamais reçu d’instructions à son sujet. Depuis sa création, cette collection est le reflet d’une vraie vision d’éditeur.
Ce n’est malheureusement jamais une garantie de succès mais la chance que nous avons avec Signé c’est que cette collection est devenue un véritable label et que les libraires et le public lui font confiance.
Il ne s’agit pas de se réinventer en termes de format ou de narration. Ces codes de base, ce sont les auteurs franco-belges qui les pratiquent le mieux.
Pensez-vous vous adresser aux mêmes personnes qu’il y a 20 ans ? Quel est le lecteur type de Signé ?En 20 ans, le public comme les auteurs se sont diversifiés et féminisés, ce qui constitue une excellente nouvelle. Il y a vingt ou trente ans, il y avait encore très peu de dessinatrices même si quelques grands noms émergeaient. En dehors de la collection, on voit ainsi arriver au Lombard de nombreux projets labellisés « girly », une tendance que je trouve d’ailleurs parfois un peu réductrice, mais que nous accompagnons volontiers quand la qualité est là.
Chez Signé, le sexe de l’auteur ou du public visé n’est jamais un critère. Je trouverais bien qu’il y ait plus de variété, plus de femmes parmi les auteurs de la collection mais nous n’accepterons jamais un projet parce qu’il vient d’un homme ou d’une femme.
Le public de la bande dessinée est un public qui se renouvelle. Il est assez varié, assez étendu. De façon caricaturale, on peut dire que la BD franco-belge « classique » dont nous nous revendiquons s’adresse avant tout à un public de 35 ans en moyenne quand le public plus jeune est très consommateur de manga et, de plus en plus, de comics.
Vous imposez-vous cependant certaines contraintes dans la diversité des genres abordés ? Vous refusez-vous certaines choses ?
Non, nous n’avons jamais aucune contrainte de genre. L’idée des albums vient systématiquement des auteurs, nous n’imposons rien. Bien sûr, quand un projet relève d’un genre qui n’avait jamais été abordé dans la collection, nous en sommes plutôt contents parce que cela montre une vraie diversité.
La notoriété des auteurs et la qualité du projet proposé sont les deux seules choses qui comptent, peu importe qu’il s’agisse d’un western, d’une comédie romantique ou d’un drame intimiste. Ce n’est pas, là non plus, un critère pour nous.
Le numérique c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup à observer mais qui ne m’intéresse pas du tout à produire.
Peu d’auteurs étrangers publient dans le cadre de la collection. Est-ce qu’il y a une raison à cela ?
Des auteurs étrangers peuvent tout à fait être publiés dans la collection mais il est vrai que nous publions principalement des auteurs belges ou français. Cela tient avant tout au mode d’expression et au respect des codes du genre qui sont au cœur de la collection Signé. Il ne s’agit pas de se réinventer en termes de format ou de narration. Ces codes de base, ce sont les auteurs franco-belges qui les pratiquent le mieux. Signé doit garder son approche assez classique, assez traditionnelle.
C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup à observer mais qui ne m’intéresse pas du tout à produire pour le moment. Je crois que le développement et la commercialisation de BD au format numérique est un chemin inévitable, c’est un futur certain, mais beaucoup moins immédiat pour le livre – et a fortiori pour la BD – que pour la musique ou le cinéma. L’erreur serait de démarrer trop tôt et de démarrer avec des projets qui ne sont pas encore commercialisables dans le sens où ni l’auteur ni l’éditeur ne sont aujourd’hui en mesure de gagner leur vie avec des projets comme le turbo-média par exemple. Ces projets extrêmement intéressants et originaux que l’on trouve sur internet sont immanquablement des projets gratuits.
Là où je trouve que cela peut être intéressant c’est en termes de promotion. Dans le cadre de la publication de Melvile, un one-shot publié hors collection, l’auteur, Romain Renard était venu avec l’ambition de proposer un véritable contenu annexe en numérique, c’est-à-dire avec un accès à des musiques, des interviews ou des images. Mais tout ce dispositif, assez riche, n’avait qu’un seul but : vendre du papier.
On dit souvent que la durée de vie d’un roman est de trois ou quatre mois en librairie. Passée cette période, il est retiré des rayons. En est-il de même pour la bande dessinée ? Quelle est la durée de vie d’une BD ?
Il faut que la collection connaisse quelques best-sellers pour pouvoir vivre mais tout l’intérêt d’une collection ou justement d’un label comme Signé c’est qu’un album publié en son sein va être moins facilement oublié par les libraires, les lecteurs ou même l’éditeur qu’un one-shot publié hors collection. Être lié à un ensemble de qualité est un atout.
Ceci étant dit, la vie d’un album en librairie peut être très cruelle. La mise en place de l’album peut ne pas dépasser une semaine dans certains cas. À l’inverse, une série qui fonctionne bien est sans cesse relancée par ses nouveautés. À la sortie d’un tome 3 d’une série, le tome 1 de la même série peut se vendre aussi bien qu’au moment de sa publication. C’est le grand avantage de la série qui peut ainsi avoir plusieurs occasions de rencontrer un plus large public quand un roman est condamné à un lancement unique.
Il y a chez les auteurs Signé une maîtrise, une évidence qui fait qu’une fois que le projet est lancé on se retrouve principalement dans un rôle de lecteur.
Cela dépend beaucoup du projet mais notre travail se fait très en amont. Une fois que l’on est d’accord sur le scénario, que l’on connaît la qualité du dessin lorsque l’on reçoit les premières planches, il est ensuite très rare que l’on ait beaucoup de choses à dire sur une narration ou une perspective ratée. Il y a chez les auteurs Signé une maîtrise, une évidence qui fait qu’une fois que le projet est lancé on se retrouve principalement dans un rôle de lecteur. Les discussions sont plus poussées vers la fin du projet lorsqu’il faut se mettre d’accord sur la promotion ou le quatrième de couverture.
En ce qui concerne la couverture justement, j’indique aux auteurs, dès le départ, qu’ils auront le dernier mot. Une fois ce principe posé, cela facilite les échanges. Tout le monde est plus ouvert et détendu. Il y a très peu d’auteurs qui ne sont pas à l’écoute soit de l’éditeur en amont, soit du terrain quand on en parle avec des représentants. Mais sinon, l’auteur a toujours le dernier mot.
La difficulté pour l’éditeur, elle est de mettre en place le bon projet avec le bon auteur mais une fois que ce principe-là est acté, qu’on a le sujet, le boulot revient essentiellement à l’auteur. Par certains côtés, il est ainsi plus frustrant de travailler avec des auteurs confirmés qu’avec des débutants car, du fait de leur expérience et de leur talent, ils sont forcément moins en attente d’un échange que ces derniers.
Avez-vous déjà refusé un projet Signé en constatant que celui-ci allait dans une direction différente que celle que vous envisagiez au départ ?
Cela arrive de temps en temps pour certains projets du Lombard comme dans toutes les maisons d’éditions mais cela n’est jamais arrivé dans le cadre de Signé.
Entre son idée et sa réalisation, combien de temps peut prendre la création d’une BD Signé ?
Ce sont des albums qui ont une pagination un peu plus importante que la moyenne (environ soixante planches quand la plupart des BD en font quarante-six) mais ce sont des auteurs confirmés alors le temps de réalisation des dessins de l’album dépasse rarement un an, c’est-à-dire à peu près le temps moyen de la réalisation d’un album de BD classique. Cependant, dans le cadre de Signé, comme les discussions entre l’éditeur et les auteurs ont lieu parfois longtemps avant la réalisation des premières planches, un projet peut mettre jusqu’à deux ans pour se finaliser.
Les albums sont parfois signés de plusieurs mains. Cela vous arrive-t-il de mettre en relation le dessinateur et le scénariste ?
C’est ce qui s’est passé avec Le Chant du Cygne. C’était à l’origine une idée de Xavier Dorison qui à ce moment précis n’avait pas le temps ou l’état d’esprit pour développer ce projet que je trouvais très intéressant. Je lui ai alors proposé de lui faire rencontrer Emmanuel Herzet. C’était un pari un peu improbable, ils auraient pu ne pas s’entendre mais il se trouve qu’ils se sont bien trouvés, avec une belle complémentarité.
Pour Little Tulip, ce n’est certainement pas moi qui ai inventé cette paire Boucq/Charyn qui ont fait ensemble des albums assez géniaux mais les faire se retrouver 25 ans après autour d’un projet, c’était une aventure à laquelle je suis fier d’avoir participé. L’album est né de cette alchimie très forte entre eux deux et de cette volonté qu’avait François Boucq de traiter du thème du Goulag en y intégrant ses réflexions autour du dessin, du graphisme, de ce que l’art peut apporter dans une vie. Le sujet a immédiatement inspiré Jérôme Charyn qui a fait un scénario qu’a ensuite retouché Boucq. On a là un projet de BD idéal avec deux auteurs qui se retrouvent autant l’un que l’autre dans le sujet traité.
Un Signé par Franquin, cela aurait été magistral.
Je serais présomptueux de le dire. Je pense qu’Yves Sente aurait aussi bien que moi édité Little Tulip. On a cependant toujours envie de le croire un petit peu ! Peut-être cela se dessine-t-il sur le long terme. Aujourd’hui j’essaie d’être sur les traces de l’esprit de la collection.
Il y a cependant toujours des rapports particuliers entre les éditeurs et les auteurs. Pierre Dubois et René Hausman, les auteurs de Capitaine Trèfle, sont des amis, des gens avec qui j’avais envie de travailler. De ce rapport particulier qui peut exister entre un éditeur et un auteur peut naître l’envie d’un projet.
Y a t-il un auteur que vous auriez aimé avoir dans la collection ?Je pense à beaucoup d’auteurs mais j’ai peur de ne pas être original, de ne citer que des grands noms. Un Signé par Franquin, cela aurait été quelque chose d’assez magistral. J’aurais aimé voir ce qu’aurait donné un projet, une approche moins humoristique, plus réaliste de son travail. Ne l’avoir jamais rencontré, c’est l’une de mes plus grandes frustrations.
Quel est le livre qui selon vous, représente le mieux la collection ?
Lorsque la collection a été créée par Yves Sente, il était en discussion avec Cosey et le premier album publié a été Zélie Nord-Sud. Assez rapidement s’est imposée l’idée de republier, dans le cadre de la collection, un album qui avait déjà été édité au Lombard : À la Recherche de Peter Pan. C’est selon moi, symboliquement, l’album fondateur de la collection car c’est cette collaboration entre Yves Sente et Cosey qui est véritablement à l’origine de son esprit, de ses grandes lignes.
Quelle est la rencontre la plus marquante que vous avez été amené à faire en tant qu’éditeur ?
Les rencontres les plus marquantes sont quasiment systématiquement celles avec les auteurs. Je suis arrivé dans le métier en étant un vrai amateur – pour ne pas dire passionné – de BD et ce sont peut-être mes premières rencontres avec des auteurs professionnels qui m’ont le plus marqué.
Avec le temps je dirais que ce sont les rencontres amicales que l’on peut faire qui sont les plus marquantes. C’est un vrai plaisir de travailler avec certains auteurs et de prendre un peu de temps pour discuter en dehors des projets. Ce sont ces échanges que l’on retient.
Quand je lis un roman, c’est en tant que pur lecteur, notamment parce que je crois assez peu aux adaptations.
Je ne voudrais pas donner l’impression de me plaindre mais le côté un peu pervers de ce métier d’éditeur BD c’est que le soir ou le weekend on a moins envie de lire un album de bande dessinée parce que l’on passe sa journée plongé dedans. C’est devenu mon quotidien, mon métier et en-dehors de mon travail je lis désormais plus de romans.
Quelles sont vos lectures du moment, justement ? Avez-vous des ouvrages à recommander à nos membres ?
J’ai lu récemment un roman historique que j’ai trouvé assez magistral qui s’appelle La Religion de Tim Willocks. C’est une sorte d’épopée autour du siège de Malte. C’est d’une ampleur historique assez phénoménale. Je viens d’apprendre d’ailleurs, et j’en suis un peu jaloux, qu’il allait être adapté en BD par la concurrence ! C’est un vrai grand roman d’aventure.
Est-ce que vous arrivez à avoir un œil de lecteur et non plus d’éditeur lorsque vous lisez un ouvrage ?
Quand je lis un roman, c’est en tant que pur lecteur, notamment parce que je crois assez peu aux adaptations. Il y a souvent une redondance qui m’intéresse assez rarement. Bon, pour La Religion cela pourrait donner quelque chose d’intéressant. C’est un projet que je vais suivre avec curiosité.
Pour revenir à la BD, j’ai trouvé très réussi Les Vieux Fourneaux chez Dargaud. Sinon, en ce moment je lis beaucoup de comics et je trouve assez exceptionnelle la série de comics Fable qui ne connaît pas en France le succès qu’elle mérite.
Merci à Gauthier Van Meerbeeck et Marie Leflahec.
Découvrez la collection Signé aux éditions du Lombard sur le site de l’éditeur.