Entretien avec Pierre-Patrick Kaltenbach, ancien magistrat à la Cour des comptes, spécialiste du milieu associatif, président des Associations Familiales Protestantes. Pierre-Patrick Kaltenbach nous avait accordé cet entretien en février 2013, dans le cadre des Dossiers du Contribuable « Associations : le scandale des subventions » (numéro épuisé). Pierre-Patrick Kaltenbach est décédé en mars 2014.
Sur ce thème, nous vous recommandons la lecture du nouveau numéro des Enquêtes du contribuable « Associations : comment elles vivent de l’argent public » (parution le 1er décembre 2014).
Pierre-Patrick Kaltenbach, quelles sont les caractéristiques du système associatif français ?
Dans son ensemble, le système public français se caractérise par le refus de définir, de dénombrer, de rendre compte. Le système associatif affiche la même opacité. Récemment, les rapports des députés Morange (2008) et Perruchot (2011) ont tenté d’apporter un éclairage sur les ressources du monde associatif (1) comme sur le financement des syndicats (2). Tous les deux ont été enterrés à l’unanimité.
A quoi et à qui servent les associations françaises ?
Les associations « dépendantes » peuvent être liées aux urnes, aux guichets sociaux, aux corpora¬tions… Les associations subventionnées servent de courroie de transmission aux pouvoirs publics. Elles constituent l’outil de l’ensemble « corporatif et étatiste » alimenté par l’argent public. On retrouve là l’exception française avec ses partis politiques sans adhérents, ses syndicats sans syndiqués, ses églises officielles sans fidèles, ses journaux sans lecteurs et ses associations sans bénévoles.
A partir de quand les associations françaises ont-elles commencé à se multiplier ?
L’explosion a commencé en 1975. Elle est concomitante du premier choc pétrolier. Entre 1975 et 2000, on est passé de 10 à 15000 associations déclarées annuellement à 60, 70000. Entre 1980 et 1990, il y a d’abord eu la vague culture, santé, jeunesse, loisirs puis une autre vague, écolo, bio, sans oublier le patrimoine, l’antiracisme…
Ces associations ont-elles un point commun ?
Oui, le refus de la transparence et de la séparation des pouvoirs. L’article 16 de la Constitution de 1791 (3) est nié. Le mouvement associatif aidé (800000 salariés, 40000 employeurs) s’est constitué en MEDEF de l’aide publique opaque. Face à ce « prolétariat » on dénombre seize millions de bénévoles et six millions de donateurs écartelés entre « grande surface » et « gagne-petit » de l’associatif, qui n’ont rien de commun avec les salariés de ce milieu. En tant que tel, le peuple associatif n’existe pas.
Politiquement, qui pilote le système associatif subventionné ?
Les classes moyennes protégées. J’entends par là, la fonction publique, ses obligés et tous ceux qui vivent de l’argent public : 25% à 27% de la population active et de l’électorat. Les salariés de l’associatif forment une classe moyenne protégée mais mal payée, féminisée à 70%, précaire, intermittente, exploitée. Elle a pour mission de relayer l’action de l’Etat et des corporations à travers toute la France. Ces salariés sont en quelque sorte les harkis des fonctions publiques.
Comment le monde associatif se perçoit-il ?
Avec l’aide des médias, les « associations » se pensent comme un univers moralement autonettoyant, justifié par leur statut et l’objectif affiché : « Le Bien ». Les « associatifs » se définissent comme les porteurs du Vrai, du Juste, du Beau, et tous ceux qui refusent cette prétention incarnent pour leurs contempteurs ce Mal qu’est le marché.
Quel est le coût des associations subventionnées pour la société française ?
Il faut distinguer entre deux coûts : d’abord le budget nécessaire pour faire tourner l’outil. Puis, la dépense nationale associative, c’est-à-dire l’argent public et privé qui transite sous le pavillon « loi 1901 » (retraites complémentaires formation professionnelle, 1 % logement…). Cette dépense nationale représente 10 à 12 % du PIB français (4).
Comment l’Etat vérifie-t-il que l’argent public versé aux associations est bien employé ?
Tout le problème est là : l’Etat s’y refuse. Sinon, la politique associative française sortirait de son triple déficit, de connaissance, de cohérence et de gouvernance, comme c’est le cas en Angleterre grâce au « Charity Act ». Mais la « Charity Commission » mobilise autant de moyens financiers et humains que la Cour des comptes… La transparence démocratique a un coût. La « Charity Commission » emploie 500 personnes qui examinent annuellement le détail des comptes. En cas d’anomalie, les coupables sont radiés de l’emploi associatif, à vie. Elle a une éthique : le patron du système anglais est toujours un homme de l’opposition, tout comme l’était Didier Migaud, l’actuel président de la Cour des comptes, nommé par Nicolas Sarkozy.
Vous avez proposé un système de certification des associations. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit de demander à un organisme indépendant de certifier les comptes des associations qui en font la demande, afin de fournir une véritable garantie de transparence financière et organisationnelle. Lorsque que j’étais à la Cour des comptes, l’Arc, l’Armée du salut et le Téléthon ont, par exemple, demandé cette certification fournie par le bureau Veritas. Puis nous avons dû utiliser l’Afnor (5) et, désormais, la société Ideas.
Que peuvent faire les politiques pour le secteur associatif ?
En cette fin 2012, les pouvoirs prétendent retrouver notre confiance. Qu’ils commencent par la plus civile et la plus tocquevillienne de nos libertés : l’association. Et qu’ils nous proposent un parti dont les structures, procédures et disciplines aient un parfum de séparation des pouvoirs.
Propos recueillis par Didier Laurens
(1) Rapport de Pierre Morange, député des Yvelines, sur la gouvernance et le financement des structures associatives, 1er octobre 2008.
(2) Voir notre précédent numéro, Dossiers du Contribuable n°10 « Enquête sur la CGT ».
(3) « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »
(4) Soit près de 200 milliards €. Viviane Tchernonog évalue le chiffre d’affaires du secteur associatif à 70 milliards d’euros, dont la moitié provient des subventions.
(5) Association de Loi 1901 reconnue d’utilité publique, l’Association française de normalisation est placée sous la tutelle du ministère chargé de l’Industrie. L’Afnor est une association faux nez de l’administration. Elle a touché, en 2011, 15,4 millions d’euros de subventions provenant de huit ministères différents.