LEÇON 5 : Comment utiliser le digital et l’innovation comme vecteur de réinsertion social ?
RLabs, Afrique du Sud
Rencontre avec Clinton Liederman, responsable du bureau de Reconstructed Living Labs (RLabs) à Athlone au Cap.Quand nous sommes arrivés à Athlone, nous nous sommes demandés si nous étions au bon endroit. En effet, dans une ville comme Le Cap, ce n’est pas dans ce quartier que l’on s’attend à trouver des incubateurs et des innovateurs sociaux. Dans ce quartier marqué par la violence, la pauvreté et le chômage sévissent. Et pourtant !
Favoriser la réinsertion via le digital :
Créé en 2008, le RLabs est d’abord un programme de réhabilitation sociale. À l’époque, il offrait à une formation sommaire aux médias sociaux afin de favoriser la réinsertion sociale et professionnelle d’un groupe de 8 toxicomanes, dealers et membres de gangs criminels locaux. L’initiative amène ces 8 premiers participants à créer un blog sur lequel ils racontent leur histoire – c’est ce que RLabs appelle aujourd’hui le « Digital Story Telling ». Ce blog a eu un impact bien au-delà des attentes initiales. Les lecteurs ont retrouvé l’espoir en réalisant qu’il existait des issues positives à leur situation, tandis que les « rédacteurs » ont pu se sentir revaloriser au sein de la société.
Ce sont ces premiers participants qui ont souhaité à leur tour aider la communauté et qui ont commencé à retransmettre tout ce qu’on leur avait appris et à l’enseigner à d’autres : des mères, des personnes âgées, des jeunes âgés entre 10 et 17 ans. Des personnes qui n’ont souvent reçu aucune éducation formelle et qui ont du mal à s’en sortir.
Petit à petit, ces activités ont grandi et RLabs est véritablement né. Son objectif principal est de proposer un environnement propice à l’innovation sociale, où les individus sont soutenus dans leurs initiatives et sont amenés à chercher des solutions pour améliorer la vie de la communauté. L’idée est de créer une « économie de l’espoir ».
Aujourd’hui, le Living Lab de Athlone est un espace de co-working aux murs colorés, équipés avec des outils derniers cris, une connexion Internet et plein de dynamisme. Tous les membres de la communauté peuvent venir y travailler et échanger en toute sécurité, de manière gratuite et libre.
3 piliers à l’action de RLabs aujourd’hui :
1. Le « Training development » : La formation via la RLabs Academy
L’Academy propose de nombreux cours qui sont dispensés aux personnes de manière
gratuite durant le week-end. Trois « filières » sont disponibles : la filière digitale, la filière management, la filière TIC dédiée uniquement aux femmes. La sélection des participants se fait en fonction de leur motivation. RLabs leur accorde des « bourses » qui permettent de les sensibiliser à la valeur de leur formation.Aujourd’hui, plus de 18 700 personnes environ ont reçu des formations gratuites.
2. Le « Community development » : Les conseils en ligne
Deux fois par semaines, RLabs tient une sorte de hotline via une plateforme disponible sur mobile et sur ordinateurs, développée en interne. Cet hotline permet aux personnes intéressées de poser des questions concernant l’addiction à la drogue, le viol, l’exclusion, etc. RLabs se charge de répondre au mieux aux interrogations de chacun et de les rediriger vers les bonnes institutions si besoin.
3. L’Incubation
RLabs possède également son propre incubateur dédié uniquement aux entrepreneurs sociaux : InnovIA. Les critères de sélection reposent sur l’impact potentiel du projet et sa capacité à progresser. Certains incubés sont des participants de l’Academy, d’autres non, et tous ont des antécédents très différents. L’incubation dure 9 mois et possède quatre étapes :
- le partage d’idées ;
- la formation ;
- le financement ;
- la progression.
Chaque entreprise incubée reçoit ainsi 20 000$ pour l’aider à se lancer.
Une des réussites incubées par InnovIA est UUSY, une sorte du réseau LinkedIn pour les chômeurs et les individus sous-qualifiés. Chacun y propose des services. La plateforme comptabilise plus d’un million de connections par mois. Il est intéressant de noter que son créateur a passé 20 ans sans emploi pérenne. C’est ainsi qu’il a pu capter tous les besoins et problèmes de sa population cible.
Une autre initiative : valoriser les bonnes actions via une monnaie virtuelle :
RLabs a récemment développé un projet test de monnaie virtuelle, le Zlato. Chaque bonne action réalisée pour la communauté peu rapporter un revenu dans cette nouvelle devise. Cette dernière peut servir à payer dans les Youth Café mis en place par RLabs. L’idée est d’étendre rapidement ce projet. RLabs est en cours de négociation avec certains supermarchés afin de mettre en place un système où ils payeront directement les produits que les consommateurs pourraient ensuite acheter grâce au Zlato.
Un modèle d’innovation sociale hors du commun :
Ainsi, RLabs s’impose comme un modèle d’innovation sociale très différent de ceux que nous avons l’habitude de rencontrer. Généralement ce genre d’organisation vise à rassembler la communauté « tech ». Elle s’adresse surtout aux personnes éduquées et s’installe en centre ville. Au contraire, RLabs motive les communautés les plus vulnérables à s’engager socialement. Il les aide à trouver des solutions pour leurs problèmes quotidiens et s’est installé au cœur même de leur quartier.RLabs est en effet un mouvement qui repose sur les individus, un mouvement d’espoir, de changement, d’opportunité, d’apprentissage et d’innovation. C’est une révolution sociale !
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