Mais que s'est-il passé au Carré Sainte-Anne ? Explosions, débris, éclats, trous noirs...en entrant dans cette ancienne église devenue un haut lieu de l'art contemporain, le visiteur se retrouve confronté à un paysage post apocalyptique. Ce n'est pas la première fois que le Carré Sainte-Anne nous plonge dans un monde parallèle. On se souvient notamment de l'installation After the dream, de Chiharu Shiota dont je vous ai parlé l'année dernière. Pourtant la tâche doit être ardue, pour un artiste, de s'approprier un lieu à l'architecture si prégnante. Mais à chaque fois que l'un d'eux y parvient, le résultat est époustouflant. C'est à nouveau le cas avec « Le soleil comme une plaque d'argent mat » d'Abdelkader Benchamma.
Derrière ce titre obscur se cache l'univers virtuose d'un artiste qui l'est tout autant. Par l'intermédiaire du dessin, Abdelkader Benchamma nous entraîne dans un monde de sciences fiction, de phénomènes astrophysiques, de métamorphoses. Ces dessins monumentaux ont été conçus in situ, ils prolifèrent dans l'espace et déroulent devant nos yeux un paysage en noir et blanc dont les éléments s'entrechoquent, mutent, se transforment perpétuellement. Immergés dans cet autre monde, cet environnement aux formes familières sans être tout à fait identifiables, chaque pas en avant nous fait perdre nos certitudes. Chaque tentative de nous accrocher au réel se solde par un échec. Nous avançons à tâtons pour finalement lâcher prise et nous laisser happer par l'inconnu. Ainsi, comme une montagne dressée au milieu de l'espace d'exposition, une avancée escarpée de parpaing permet au dessin de se détacher du mur. Une montagne disais-je, mais à première vue seulement, car ces volutes noires fumées, une fois qu'on s'en approche pourraient tout aussi bien représenter les nuages d'une explosion, les feuillages d'un arbre, ou être simplement abstraites. Toute l’œuvre de l'artiste se trouve ainsi sur le fil, à la tangente entre le réel et l'irréel.
Abdelkader Benchamma, Paréidolie #2, 2014
Feutres et marqueurs sur papier
Réalisation in situ. Courtesy de l'artiste
Il s'agit d'un travail raffiné, mais qui gronde, dont on ressent la puissance latente, la force comme un bruit sourd. En expérimentant différentes techniques, différentes encres noires (celles d'un stylo, d'un fusain, d'un feutre...), l'artiste parvient à donner un effet de matière à ses dessins. La densité et la brillance d'une encre de marqueur donnent aux œuvres Paréidolie #2 et Rorschach in marble X un aspect minéral étonnant. A la manière d'un orfèvre, Abdelkader Benchamma retranscrit sur ces deux œuvres grâce à son tracé minutieux ce qui semble être les sillons et les veines de plaques de marbre. Si ses dessins sont parfois denses, précis, dans le détail, ils peuvent aussi être plus flous, plus diffus, plus gestuels, notamment grâce au fusain, qui permet des représentations plus dans la sensation, le mouvement, le fluide. Plus qu'un paysage figuratif, tout cela contribue à créer un environnement, une atmosphère.
Une journaliste de France Culture en évoquant le travail d'Abdelkader Benchamma a parlé d' « explosion graphique ». Dans ses dessins, tout s'envole, tout éclate, tout se déverse, rien n'est figé, même pas le marbre qui semble s'étaler comme une tâche d'encre, même pas les montagnes qui gonflent et se transforment en nuages de fumée. Abdelkader Benchamma bien qu'il soit déjà un artiste reconnu a été pour moi une très belle découverte. Son travail brillant fait de lui une grande figure du dessin contemporain, médium qui semble avoir encore de beaux jours devant lui.
Ophélie.
Infos pratiques :
"Le soleil comme une plaque d'argent mat" Abdelkader Benchamma
Jusqu'au 30 novembre 2014
Carré Sainte Anne
2 rue Philippy à Montpellier
Ouvert tous les jours (sauf le lundi)
de 10h à 13h et de 14h à 18h
ENTREE LIBRE !