« Un jour, comme il s’était endormi, la nuque contre le tronc de son arbre, un beau rêve lui vint. »
Peut-on suivre ses rêves à une époque où les exigences du quotidien envahissent l’espace et le temps? Pour répondre à cette question, je vais me tourner vers un conte traditionnel. Ce conte a été rendu célèbre par Paulo Coelho dans son livre l’Alchimiste*. Personnellement, j’aime la version d’Henri Gougaud, écrivain, poète et conteur, car elle offre une profonde lecture de ce que veut dire « suivre son rêve. »
Je vous laisse découvrir ce conte intitulé Les Deux Rêveurs (publié dans les Contes de sages soufis*, de. Seuil), et je vous retrouve après pour que l’on puisse en discuter.
Dans la ville d’Ispashan, en Perse, vécut autrefois un paysan très misérable. Il n’avait pour tout bien qu’une humble maison basse couleur de terre ensoleillée. Devant cette maison était un champ de cailloux, au bout de ce champ une source et un figuier. C’était là tout son bien.Cet homme, qui travaillait beaucoup pour peu de récolte, avait coutume, quand le cadran solaire à demi effacé sur sa façade indiquait l’heure de midi, de faire la sieste à l’ombre de son figuier. Or, un jour, comme il s’était endormi, la nuque contre le tronc de son arbre, un beau rêve lui vint.
Il se vit cheminant dans une cité populeuse, vaste, magnifique. Le long de la ruelle où il marchait nonchalamment étaient des boutiques foisonnantes de fruits et d’épices, de cuivres et de tissus multicolores. Au loin, dans le ciel bleu, se dressaient des minarets, des dômes, des palais couleur d’or. Notre homme, contemplant avec ravissement ces richesses, ces beautés, et les visages avenants de la foule alentour, parvint bientôt, dans la lumière et l’aisance de ce songe béni, au bord d’un fleuve que traversait un pont de pierre.
Vers ce pont il s’avança et soudain fit halte, émerveillé, au pied de la première borne. Là était dans un grand coffre ouvert, un prodigieux trésor de pièces d’or et de pierres précieuses. Il entendit alors une voix qui lui dit: « Tu es ici dans la grande cité du Caire, en Égypte. Ces biens, ami, te sont promis. » À peine ces paroles allumées dans son esprit, il s’éveilla sous son figuier, à Ispashan. Il pensa aussitôt que Dieu l’aimait et désirait l’enrichir. « En vérité, se dit-il, ce rêve ne peut être que le fruit de son indulgente bonté. » Il boucla donc son baluchon, cacha la clé de sa masure entre deux pierres du mur et s’en alla sur l’heure en terre d’Égypte, chercher le trésor promis.
Le voyage fut long et périlleux, mais par grâce naturelle le bonhomme avait le pied solide et la santé ferme. Il échappa aux brigands, aux bêtes sauvages, aux pièges de la route. Au bout de trois rudes semaines, il parvint enfin à la grande cité du Caire. Il trouva cette ville exactement comme il l’avait vue dans son rêve: les mêmes ruelles vinrent sous ses pas. Il chemina parmi la même foule nonchalante, le long des mêmes boutiques débordantes de tous les biens du monde. Il se laissa guider par les mêmes minarets, au loin, dans le ciel limpide. Il parvint ainsi au bord du même fleuve que traversait le même pont de pierre. À l’entrée du pont était la même borne. Il courut vers elle, les mains déjà tendues à la fortune, mais presque aussitôt se prit la tête en gémissant. Là n’était qu’un mendiant, qui lui tendit la main en quête d’un croûton de pain. De trésor, pas la moindre trace.Alors notre coureur de songes, à bout de forces et de ressources, désespéra. « À quoi bon vivre désormais, se dit-il. Plus rien de souhaitable ne peut m’advenir en ce monde. » Le visage baigné de larmes, il enjamba le parapet, décidé à se jeter dans le fleuve. Le mendiant le retint par le bout du pied, le ramena sur le pavé du pont, le prit aux épaules et lui dit: « Pourquoi veux-tu mourir, pauvre fou, par un si beau temps? »
L’autre en sanglotant lui raconta tout: son rêve, son espoir de trouver un trésor, son long voyage. Alors le mendiant se prit à rire à grands éclats, se frappa le front de la paume, et le désignant alentour comme un bouffon faramineux: « Voilà bien le plus parfait idiot de la terre, dit-il. Quelle folie d’avoir entrepris un voyage aussi dangereux sur la foi d’un rêve! Je me croyais d’esprit malingre, mais auprès de toi, bonhomme, je me sens sage comme un saint derviche. Moi qui te parle, toutes les nuits, depuis des années, je rêve que je me trouve dans une ville inconnue. Son nom est, je crois, Ispashan. Dans cette ville est petite maison basse couleur de terre ensoleillée, et la façade pauvrement ornée d’un cadran solaire à demi effacé. Devant cette maison est un champ de cailloux, au bout de ce champ une source et un figuier. Toutes les nuits, dans mon rêve, je creuse un trou profond au pied de ce figuier, et je découvre un coffre empli à ras bord de pièces d’or et de pierres précieuses. Ai-je jamais songé à courir vers ce mirage?
– Non, je suis, moi, un homme raisonnable. Je suis resté à mendier tranquillement ma pitance sur ce pont fort passant. Songe, mensonge, dit le proverbe. Où Dieu t’a mis tu aurais dû demeurer. Va, médite et sois à l’avenir moins naïf, tu vivras mieux. »
Le paysan, à la description faite, reconnut sa maison et son figuier. Le visage tout à coup illuminé, il embrassa le mendiant éberlué par cet accès subit d’enthousiasme et retourna à Ispahan, courant et gambadant comme un homme doué de joie inépuisable. Arrivé chez lui, il ne prit même pas le temps d’ouvrir sa porte. Il empoigna une pioche, creusa un grand trou au pied de son figuier, découvrit au fond de ce trou un immense trésor. alors, se mettant la face contre terre: « Dieu est grand, dit-il, et je suis son enfant. »Ce conte illustre quelques points essentiels sur la recherche du bonheur.
Le bonheur ne se trouve pas toujours là où l’on pense le trouver
Tout d’abord, notre idée de ce qui va nous rendre heureux, notre bonheur, ne se trouve souvent pas là où l’on pense le trouver. Le paysan pense trouver le trésor (qui symbolise la richesse qu’elle soit affective, sociale, ou financière…) au Caire, mais finit par découvrir qu’il se trouve ailleurs. De même, notre perception de ce qu’il nous faut pour être bien n’est pas toujours en accord avec la réalité. De nombreuses personnes atteignent leur objectif (réussite au travail, vie de couple…) pour finalement se rendre compte que cela ne les rend pas forcément plus heureuses.
En suivant ce songe, le paysan ne découvre pas le trésor là où il pensait le trouver, mais finit tout de même par le trouver grâce à une succession d’évènements: son rêve, son voyage, sa décision de se jeter dans le fleuve, sa discussion avec le mendiant. S’il n’avait pas initialement cru en son rêve, il n’aurait pas pu atteindre son trésor.
Faire le pas et se laisser guider
Je trouve là l’aspect le plus intéressant de ce conte: il faut une mise en action, même si cette dernière nous conduit initialement dans une direction inconnue, pour enfin trouver notre bonheur. Enfin, le paysan découvre son trésor chez lui, mais il lui a fallu partir loin de son environnement familier pour pouvoir faire cette découverte.
Cela fait écho avec notre besoin de sortir de notre zone de confort, de nos habitudes, et surtout d’une vie vécut en mode automatique avec peu de conscience. Nous sommes nombreux à vivre comme le mendiant qui se contente de ce qu’il a, et ne croit plus en une vie plus profonde et plus riche.
La joie dans le quotidien
Le bonheur ne se trouve souvent pas dans une vie extraordinaire où l’on devrait briller de mille feux (socialement, professionnellement…), mais dans le quotidien. Tout comme le Candide de Voltaire, le paysan d’Ispahan trouve son bonheur dans son jardin. Mais tous les deux ont dû d’abord s’extraire de leur cadre familier.
Nous devons de même sortir de nos habitudes – et pas besoin pour cela d’aller à l’autre bout de la terre, même si parfois c’est une bonne idée! – en commençant par développer un regard neuf sur notre vie et en redécouvrant ce à quoi l’on inspire, nos rêves.
Il faut commencer par faire le calme en soi pour se réécouter et refaire confiance en son intuition: S’asseoir immobile et prendre le temps de tourner l’attention vers sa respiration et vers ses ressentis.
Tous les jours avant son songe, le paysan dormait sur son trésor sans le savoir. Nous avons déjà en nous les ressources pour vivre heureux. Libérons-nous du flot habituel des pensées, pour découvrir en deçà notre nature véritable. La méditation est idéale pour cela.
Ce blog, les méditations guidées et le stage de 3 semaines sont là pour vous aider à pratiquer la méditation. Des questions ou un commentaire? Merci d’utiliser la zone sous l’article.
Sources et note: Contes des sages soufis* d’Henri Gougaud aux éditions Seuil ; Peinture du bazar du Caire par Godefroy Hageman (1820-1877) ; Photo haut de page: Marek Wykowski ; *Indique un produit affilié (PLM touche une petite commission de la part d’Amazon si vous achetez le produit.)
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