Le football français,
héritier de l’immigration. Le documentaire magistral
d’Éric Cantona.
Ouvriers. «L’immigration est un sujet qui me touche. J’ai voulu me servir du football pour regarder l’histoire, bref, raconter l’immigration à travers ce sport.» Éric Cantona parle, posément, il se veut concis et direct – nous l’aimons aussi pour sa franchise, son intelligence et la fermeté de ses convictions. Il n’a rien à vendre, ne souhaite surtout pas se justifier ; il s’en moque d’ailleurs. Ce qu’il veut, avec autant de relatives et d’incidentes que nécessaire, c’est expliquer de fond en comble ce qui lui tient à cœur. Le bloc-noteur doit ainsi l’avouer: le documentaire que l’ex-king de Manchester a réalisé (avec Gilles Perez), intitulé Foot et immigration, 100 ans d’histoire commune, diffusé dimanche dernier sur Canal Plus, fut un tel bonheur qu’il n’est pas inutile d’y revenir pour le promotionner encore et encore et inciter tous ceux qui le peuvent à le visionner, par tous les moyens disponibles, replay et autres. Les quatre-vingt-cinq minutes débutent par une idée simple, que nous pourrions résumer ainsi et décliner à nos enfants: au départ, le football était aristocratique, il fallait dribbler pour aller marquer, seul, un but ; après, les clubs ouvriers sont arrivés et le football est devenu un sport d’équipe et de solidarité ; en France, les fils d’immigrés du football ont perpétué cette tradition. Voilà. L’essentiel est dit.
Et nous bénissons l’auteur de l’avoir dit ainsi et pas autrement de son imposante voix. Car l’histoire du ballon rond, dans notre pays, n’est pas que le lieu de la cristallisation des passions sportives les plus massives, elle est aussi, en ampleur, ô combien, le témoin d’une réalité sociale qui épouse la question migratoire, dont elle s’est nourrie pour étoffer ses effectifs. Des années 1930 à nos jours, le football reflète en effet la pluralité de la population française. Le docu de Canto retourne aux origines, par l’image et la parole, en tendresse et en émotion, et rend hommage aux trois plus grands tricolores de l’histoire, trois génies du jeu qui évoluèrent dans les plus grands clubs européens, Raymond Kopa (le «Polonais»), Michel Platini (l’ Italien») et Zinédine Zidane (l’«Algérien»), tous héritiers de vagues d’immigration. Sans parler de tous les autres, les Wisniewski, Piantoni, Tigana, Fernandez, Boli (liste non exhaustive). Et Cantona lui-même, dont la mère raconte face caméra l’arrivée de ses parents d’Espagne, après la prise du pouvoir par Franco…
Histoire. Qu’ils soient fils de mineurs ou de sidérurgistes, fils d’ouvriers, dans le Nord, dans l’Est ou dans les grandes villes et leurs périphéries (Île-de-France, Lyon, Marseille, Bordeaux, etc.), ils ont sculpté nos souvenirs, en contribuant, à l’image de leurs aïeux, «force de travail» ou «chair à canon», à la gloire d’un pays – et singulièrement à celle du sport le plus populaire et le plus universel qui soit. Ce que le football français doit à l’immigration ne réclame qu’admiration et adhésion. En sondant l’histoire familiale de tous ces héros nationaux (oui, nationaux!), Cantona leur permet d’exprimer autant la fierté du maillot bleu que de leurs origines – on ne choisit pas entre sa mère et son père. Nous n’oublierons pas de sitôt les larmes de Zizou, évoquant ses parents. Nous n’oublierons pas le témoignage du père, Smaïl. Nous n’oublierons pas non plus Michel Platini, étonné d’avoir à confesser ceci: «Personne ne chantait la Marseillaise à l’époque! Et on ne se posait même pas la question de savoir s’il fallait la chanter. C’est venu plus tard, dans les années 1990: celui qui ne chantait pas, il n’était pas français…» Par les temps qui courent, le docu de Canto s’avère un pied de nez magistral, une œuvre d’histoire à hauteur d’hommes à mettre – d’urgence – devant tous les yeux. Le bénéfice n’est pas négligeable, celui de renvoyer aux vestiaires les Zemmour et autres Finkielkraut!
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 21 novembre 2014.]