Le titre un peu surprenant renvoie directement au film de Jonas Mekas « Reminiscences to a journey to Lithuania » dans lequel le cinéaste évoque la perte du pays de l’enfance et de la jeunesse en utilisant des séquences tournées dans divers lieux. Tous les endroits filmés sont appréhendés à travers le filtre du souvenir et non pour ce qu’ils représentent réellement dans l’actualité contemporaine. Ainsi on passe de New-York à Seminiskiai, puis à Hambourg et enfin Vienne. Mekas tente de filmer ce qui n’est plus, ce qui rappelle par évocation, ressemblance, ce qui ne peut être montré.
Sur un plan anecdotique, la série de photos qui composent « Reminiscences » a été initiée dès 1991 alors que mes enfants étaient petits. À cette époque, je les accompagnais très souvent à la pêche au bord de la rivière. J’ai commencé alors en collectant de menus objets trouvés sur les berges à reformuler des images, des évocations de mes périples autour du monde. Formes volontairement très modestes, dépouillées de tout artifice, assemblées, redressées, sublimées par le cadrage… comme autant de petits tremblements mémoriels. Dépourvues de toute mélancolie, ces modestes constructions d’objets mis en scène cherchent autant à rappeler qu’à échapper au territoire de mes archives photographiques où elles existent dans des formes plus documentaires. Images d’images, régurgitations et ressassements, elles débordent de leur cadre initial.
Les souvenirs que j’évoque ne peuvent être transmis qu’à travers ces photographies aux formes pauvres, aux objets sans particularités notables, à cet éloignement que crée la métaphore, l’association par analogie. Reste le souvenir comme une flamme fragile, lancinante qui se réactive à la moindre sollicitation mais qui désigne aussi ce qui ne sera jamais plus. Au voyage dans l’espace physique du monde se substitue maintenant un autre itinéraire parcourant la mémoire du monde, ce qui reste une fois que l’entropie des jours est passée par là.
« Reminiscences to journeys to… » (depuis 1991)
Alain Marsaud