Ah, les notes à l’école ! Le sujet est un vrai marronnier et revient donc dans l’actualité avec une obstination de douanier en mal d’amende. On se souvient qu’en mai dernier, Benoît Hamon, tout juste ministre de l’Éducation Nationale, avait émis des petits couinements au sujet des évaluations que subissaient les élèves. Comme la question, en souffrance depuis au moins dix ans, n’a toujours pas trouvé de réponse définitive, elle est donc remise sur le tapis par l’autre nulle nulle autre Najat Vallaud-Belkacem, la remplaçante du stagiaire précédent.
Il faut dire qu’un paquet de penseurs imbibés de principes forts et de fulgurances philosophiques se sont penchés sur la douloureuse question des notes à l’école : faut-il vraiment ce genre de barbaries, au XXIème siècle ? Ne peut-on trouver de méthode simple pour faire entrer ce gros savoir-ci dans ces petites têtes-là sans en passer par des évaluations, des grilles, des moyennes, des notes et des classements ?
En tout cas, parmi ces penseurs, citons Idriss Aberkane qui a pondu un petit papier dans Le Point, qui illustre assez bien l’état du « débat » sur la question, si tant est qu’on puisse appeler débat le chapelet de poncifs enfilés comme des saucisses industrielles qu’on nous présente à chaque fois pour faire comprendre au lecteur que la notation, c’est mal, que l’évaluation, ça stigmatise, et que l’école est de nos jours encore fort méchante.
Au passage, des élèves, certains parents, des profs et toute la nomenklatura éducationnelle qui gravite autour, penseurs-philosophes et producteurs de saucisses compris, trouvent donc les notes vilainement stigmatisantes, mais aucun de ceux-là ne s’est interrogé sur l’abominable stigmatisation que des milliers de jeux vidéos offrent pourtant avec des notes, des évaluations et des rankings à tire-larigot et qui n’ont jamais déclenché le moindre gémissement de la part de nos élèves plus du tout effarouchés (et qui en redemandent même)… Comprenne qui pourra.
Accessoirement, l’édito d’Aberkane se permet d’aligner, dès son début, des comparaisons tout à fait idoines entre la note à l’école et, je cite en vrac, « les sacrifices humains », « la peine de mort » ou l’esclavage, comparaisons qui méritent à elles seules d’aller le lire, ne serait-ce que pour l’effet comique (même s’il est involontaire). Car selon l’auteur, « l’école tue ». Oui, selon notre vibrant penseur, le suicide de certains élèves est en grosse partie dû à la notation. Pas étonnant qu’il milite donc pour sa disparition, rapide et sans appel, d’autant qu’à l’appui de sa thèse, il rappelle finement que Bouddha ou les penseurs grecs ne notaient pas (en oubliant au passage qu’ils évaluaient tout de même les élèves, ne lui en déplaise).
Reste un petit souci : le grand penseur multi-diplômé ne propose aucune alternative. Les notes c’est mal, parce que ça fait bobo au cerveau, passons-nous en donc, point final, circulez, y’a plus rien à dire. Soit. Mais pour l’aspect pratique, chou blanc.
Heureusement, comme je l’expliquais en introduction, Aberkane est dans l’air du temps. S’il fait des comparaisons hardies qui frôlent le point Godwin par le mauvais côté de la tangente, c’est parce qu’il sait qu’il chante pile-poil dans les mêmes timbres que ceux du gouvernement, et qu’il ne détonera pas trop. Il n’a pas besoin de convaincre Najat qui a déjà bien compris que la note formate les petits cerveaux et les enferme dans l’irresponsabilité (selon l’implacable raisonnement d’Aberkane). Elle propose donc de les supprimer, se conformant ainsi au souhait du philosophe + éditorialiste + entrepreneur + scientifique. Mais si notre homme, comme Winnie L’Ourson, pense, pense, pense, sans aller beaucoup plus loin, Najat, elle, agit, agit, agit et propose en conséquence quelques méthodes pratiques pour en finir une fois pour toute avec l’évaluation par la note.
Bien sûr, connaissant la sensibilité du sujet, elle procédera avec autant de discrétion que possible. Au début, on mènera des « expérimentations », on remplacera les notes par des pastilles de couleur (de vert à rouge), un peu à la manière dont seront bientôt notés nos aliments. Cela promet des petits moments tendres entre d’un côté, les parents qui, bizarrement, cherchent malgré tout à savoir si leur rejeton est plutôt au-dessus, en-dessous ou dans la moyenne, s’il apprend quelque chose et si on va pouvoir l’orienter vers un métier qui lui évite les affres du chômage, et de l’autre, les enseignants qui auront reçu pour consigne de se faire une idée sur l’élève en question tout en n’en laissant rien paraître, ni envers le concerné, ni envers ses parents, histoire de ne pas tout stigmatiser l’ensemble qui pourrait ensuite partir en sucette.
Plus tard, devront disparaître ces gommettes colorées un peu trop facilement transposables à des notes et toute évaluation de la part des institutions. L’élève, blob mou voyageant d’une classe et d’un enseignement à l’autre, sera chargé de faire présence, d’absorber ce qu’il peut comme il le peut, et de s’en tenir à son impression générale, éventuellement en en discutant avec ses camarades (ou en utilisant le 50/50 ou l’appel du public, au choix). Il parviendra à l’âge adulte en ayant été soigneusement protégé de toute évaluation, ce qui le mettra, c’est évident, dans les meilleures dispositions lorsqu’il devra trouver un emploi par exemple. Le succès est assuré.
Il est à noter que c’est avec l’arrivée de Hollande qu’on a pu constater l’accélération de cette farouche volonté d’en terminer avec les notes, que ce soit par des pastilles de couleur ou en enfumant l’élève dans un épais nuage cotonneux de mots doux, comme « évaluation positive » ou « notation bienveillante ». Ce qui tombe bien, finalement : entre les associations de parents d’élèves qui, elles aussi, militent pour le changement voire la disparition des notations, et le «sans note», qui fait l’objet de plusieurs milliers d’expérimentations dans le second degré, on n’a pas fini d’avoir des retours qui seront — devinez quoi — très positifs.
On peut cependant se demander pourquoi une telle bataille contre les notes s’est engagée. Certes, si les programmes scolaires sont progressivement vidés de leur substance, noter devient un exercice futile et autant s’en passer. Mais admettons que l’appauvrissement des programmes est un autre problème sans lien : pourquoi cette bataille étrange contre les notes ? Bien sûr, il y a des foules d’arguments contre les méchantes notations qui détruisent la créativité des moutards. Mais pourquoi ce sujet revient régulièrement sur la table, et notamment ces vingt dernières années ?
Peut-être est-ce parce que la note, avec tous les défauts qu’elle peut avoir, renvoie une double image, celle de celui qui est noté, bien sûr, et celle de celui qui note ? Si l’on écarte le fait, malheureusement vérifié, que les professeurs font, de plus en plus souvent, des fautes (et que supprimer la note revient à leur éviter la douloureuse constatation qu’ils ont corriger la copy de l’éllève en laiçant des cokilles), on peut néanmoins noter qu’un enseignant dont les classes ont une moyenne plus faible que ses collègues sera décrié par ces derniers et ses élèves, quand bien même il a peut-être raison, et qu’il devra donc faire face à une pression sociale (et parfois, physique) dont il se passera volontiers si les notes disparaissent.
La note produit aussi, malencontreusement, un marqueur de la valeur du système. Lorsqu’un exercice de bac repasse, d’une année à l’autre (ou disons, lorsqu’une décennie les sépare), la comparaison est non seulement possible, mais elle est aussi fort douloureuse pour le système actuel qui ne peut que constater que le niveau dudit bac s’est effondré. Et ça, personne ne veut l’entendre : comme on ne veut pas que ce système d’apprentissage produise des erreurs, des rebuts ou un affaiblissement, que dans la société du Bisou Universel, tout le monde a Le Droit d’avoir un Travail, tout le monde a donc Le Droit d’avoir Un Bon Diplôme. Et comme les capacités des uns ne correspondent pas aux capacités des autres, que c’est visible comme le nez au milieu du visage lorsqu’on applique le thermomètre des notes, si l’on supprime le thermomètre, on supprimera la différence, et le Bisou Universel gagnera une nouvelle bataille. Youpi.
Bien sûr que le système de note est totalement arbitraire et, à ce titre, très imparfait. Bien sûr que ce n’est en rien un système immuable, qu’il faudrait conserver à tout prix alors même que ses faiblesses s’accumuleraient. Mais ce n’est pas ces faiblesses-là qui sont combattues par les abolisseurs de réel à la sauce Aberkane et Belkacem. Non, ce que ceux-là veulent entreprendre, et qui explique assez bien pourquoi le sujet est remis, constamment, sur la table, c’est la suppression de l’évaluation (qu’elle soit à base de notes ou de gommettes, de pastilles ou que sais-je), c’est l’abolition du jugement. Juger, c’est établir un ordre, c’est, par essence, estimer une valeur, c’est comparer, mesurer, distinguer, bref, tout ce que nos égalitaristes ont en horreur.
Et avec l’égalitarisme et la disparition du jugement, le système d’évaluation disparaît doucement dans les marécages gluants de réformes successives, tout se vaut et tout le monde peut alors arriver au meilleur des résultats (puisqu’il n’est pas évalué, il est forcément le meilleur, comme tous les autres).
Décidément, c’est magique.
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